C'était en juin 2020, au moment où les compagnies aériennes préparaient leur redécollage après deux mois d'arrêt quasiment complet liés aux différents confinements en Europe. Alors que certains Etats commençaient à sortir le carnet de chèques pour aider leurs compagnies, Edward Wilson, le directeur général de Ryanair lâchait à La Tribune : « Je pense que la honte de prendre l'avion devrait concerner les contribuables français qui ont volé au secours d'Air France. C'est une honte d'avoir donné de l'argent à une compagnie qui utilise des vieux avions ».
Dans la foulée, la compagnie partait en en croisade contre les milliards d'euros d'aides versés par les Etats aux compagnies aériennes européennes pendant le Covid-19. Et aujourd'hui, Ryanair vient de remporter une victoire contre la Commission européenne et subséquemment contre Air France-KLM. La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) vient de trancher en faveur de la low cost irlandaise et de sa filiale Malta Air sur la validité des huit milliards d'euros d'aides diverses accordées par l'Etat français à Air France au début de la crise sanitaire. Une victoire de prestige pour Ryanair, mais qui pourrait n'être que symbolique.
Dans son communiqué, la CJUE est claire : « Le Tribunal annule les décisions de la Commission approuvant les aides financières de la France en faveur d'Air France et d'Air France-KLM ». Plus concrètement, elle considère que les deux aides versées par Paris à Air France n'auraient pas dû être validées par la Commission européenne en l'état car elles ont également bénéficié au groupe Air France-KLM et à sa filiale néerlandaise KLM et non au seul marché intérieur.
Huit milliards d'euros d'aides invalidés
En effet, en avril 2020, Bruxelles a validé un prêt garanti par l'Etat (PGE) à destination d'Air France à hauteur de 90 % à hauteur de quatre milliards d'euros et un prêt direct d'actionnaire de trois milliards d'euros de la part de l'Etat français, à la condition que la compagnie française en soit la seule bénéficiaire.
De même, la Commission a entériné en mars 2021 la recapitalisation d'Air France et de sa maison-mère Air France-KLM à hauteur de quatre milliards d'euros - via une augmentation de capital d'un milliard d'euros et en la conversion du prêt d'actionnaire en quasi-fonds propres via des obligations hybrides perpétuelles - par la France. Mais là aussi, Bruxelles avait posé comme condition que cela profite à la compagnie française et la holding, mais pas aux autres entités du groupe dont KLM.
Dans les deux cas, la Cour de justice « conclut que la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation en excluant la holding Air France-KLM et ses autres filiales, y compris KLM et les filiales de cette dernière (décision Air France), d'une part, et KLM et ses filiales (décision Air France-KLM et Air France), d'autre part, du périmètre des bénéficiaires des mesures d'aide notifiées ». Elle estime ainsi que les aides versées par la France ont eu des effets économiques subséquents pour l'ensemble du groupe français. Elle a donc publié des arrêtés pour « annuler la décision de la défenderesse (en l'occurrence la Commission européenne) [...] et condamner la défenderesse aux dépens ».
Ryanair crie victoire...
Ryanair s'est immédiatement réjoui de la nouvelle via un de ses porte-paroles : « L'intervention de la Cour est un triomphe pour la concurrence loyale et les consommateurs dans l'ensemble de l'UE. » Celui-ci n'a pas manqué d'en ajouter une couche sur « l'approche laxiste de la Commission européenne en matière d'aides d'État depuis le début de la crise de la Covid-19 a permis aux États membres de signer des chèques à durée indéterminée à leurs compagnies aériennes zombies inefficaces au nom d'un prestige national défraîchi. »
La compagnie irlandaise estime ainsi que « plus de 40 milliards d'euros de subventions publiques discriminatoires ont été accordés aux compagnies aériennes de l'UE », pointant directement « les dommages causés à la concurrence par les gouvernements suédois, danois, allemand et italien qui ont favorisé leurs compagnies aériennes locales au détriment d'autres compagnies aériennes de l'UE, en violation du droit européen ».
Bien que n'étant pas directement attaqués dans cette affaire, Air France-KLM et Air France ont réagi. Ils ont indiqué qu'ils « prennent note des deux arrêts rendus aujourd'hui par le Tribunal de l'Union européenne », qu'ils « examineront attentivement ces arrêts pour en évaluer les implications » et « étudieront l'opportunité de former un pourvoi en annulation devant la Cour de justice de l'Union européenne ».
... mais risque de ne pas gagner grand chose
S'il est encore trop tôt pour savoir quelle sera la stratégie du groupe français et sa filiale, il est possible qu'ils ne se lancent pas dans une nouvelle procédure. En effet, cette décision apparaît avant tout symbolique dans la mesure où toutes ces aides ont déjà été remboursées à l'Etat, intérêts compris. La demande de Ryanair « à la Commission européenne d'ordonner à la France de récupérer immédiatement ces aides d'État illégales de plusieurs milliards d'euros auprès d'Air France-KLM » semble donc caduque. Cela n'a d'ailleurs a priori pas été le cas dans les affaires similaires gagnées par Ryanair face à la Commission, la low cost s'étant aussi fait déboutée un certain nombre de fois.
D'ailleurs, dans une affaire similaire datant de 2021, sur les aides de l'Etat néerlandais en faveur de KLM, la Cour de justice avait donné raison à Ryanair en annulant la décision de la Commission européenne, mais au vu « des conséquences particulièrement préjudiciables pour l'économie et la desserte aérienne des Pays-Bas » dans le contexte de la pandémie, elle avait « décidé de tenir en suspens les effets de l'annulation de la décision attaquée jusqu'à l'adoption d'une nouvelle décision par la Commission ».
La solution qui se dessine pour l'instant semble être là aussi l'adoption par la Commission européenne d'une nouvelle décision conforme aux remarques de la Cour de justice de l'Union européenne. Air France-KLM et France ont d'ailleurs indiqué qu'ils « contribueront à tout échange entre l'Etat français et la Commission européenne en vue de l'adoption d'éventuelles nouvelles décisions d'approbation ».
Ryanair demande également « des mesures correctives adéquates pour réparer au moins en partie les dommages causés à la concurrence par cette aide massive de l'État », mais la CJUE n'a émis aucune indication en ce sens.
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