Les shadoks étaient-ils partisans de la sobriété heureuse ?

VOTRE TRIBUNE DE LA SEMAINE. Le gouvernement fait feu de tout bois pour freiner la hausse des prix des carburants alors que les Français partent en vacances. Objectif : limiter l'inflation et les revendications salariales. Mais après les Gilets Jaunes du prix à la pompe, on risque de voir la colère sociale se porter sur la flambée des prix de l'électricité.
Philippe Mabille
(Crédits : DR)

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« On a perdu le mode d'emploi ! » Dans la macronie, on commence tout juste à comprendre toutes les implications de l'absence de majorité à l'Assemblée nationale. A défaut d'un accord de coalition à l'allemande - pour rappel, il a fallu deux mois pour construire un pacte de gouvernement outre-Rhin -, on devrait connaître, sinon ce dimanche, du moins en début de semaine prochaine, la composition du cabinet Borne 2. On l'attend plus politique, et représentatif de cette majorité, non pas plurielle, mais "mouvante", que la cheffe du gouvernement va devoir tenter de piloter, au cas par cas, projet par projet.

C'est que ce quinquennat Macron 2 n'en finit pas de commencer et  les Français surtout les plus modestes s'impatientent de voir voter le « paquet pouvoir d'achat » alors que les juillettistes entament la grande migration des vacances d'été. Bonne nouvelle, la ristourne de 18 centimes sur les carburants sera prolongée, sans doute même au-delà du 1er septembre, Bruno Le Maire ayant évoqué la fin de l'année. Dans un bras de fer avec TotalEnergies, menacé par la Nupes et le RN  - qui parle de « profiteurs de guerre », expression reprise par le chef de l'Etat lui-même ! - du bâton d'une taxation de ses « surprofits » encore majoritairement pétroliers, l'Etat a obtenu que le groupe présidé par Patrick Pouyanné fasse un geste de 12 centimes cet été pour amplifier la baisse des prix à la pompe. Que sur les autoroutes...

Si Macron cherche coûte que coûte à faire baisser les prix des carburants, il n'est pas prêt à céder à la demande de ses oppositions multiples : ni baisse de la TVA sur l'essence et le diesel à 5,5% comme réclamée par le RN, ni plafonnement à 1,50 euro le litre d'essence comme l'exige le communiste Fabien Roussel. C'est que tout cela va coûter un « pognon de dingue », comme l'a dit un certain Emmanuel Macron (à l'époque à propos de la politique de lutte contre la pauvreté, jugée inefficace). Et, à Bercy, BLM, le numéro 2, peut-être futur numéro 1 d'un futur gouvernement, flanqué d'un Gabriel Attal droit dans ses bottes de ministre des comptes publics, renvoie dos à dos LFI ou le RN en les sommant de dire comment ils financent leurs surenchères lors de l'examen à venir, mi-juillet, de la loi sur le soutien au pouvoir d'achat. Ces mesures, qui vont porter à plus de 50 milliards le total des dépenses consacrées depuis cet hiver pour contenir l'inflation, vont d'ores et déjà absorber la quasi-totalité de la cagnotte fiscale de 55 milliards d'euros que va encaisser l'Etat grâce à la forte croissance de 2021. Mais cette manne inespérée apportée par de meilleures recettes fiscales (impôt sur les sociétés et TVA) et sociale (hausse des embauches) est un fusil à un coup qui n'aura qu'un temps. Elle ne permet pas de pérenniser un quoi qu'il en coûte généralisé consacré à compenser la flambée des prix en France. Bien que celle-ci soit inférieure de moitié à l'inflation moyenne de la zone euro, la peur d'un retour des Gilets Jaunes « puissance n » impose d'agir vite et fort. Macron n'a qu'une seule exigence : ni hausse des impôts, ni augmentation de la dette. Pour le reste, tout reste ouvert.

Bonne nouvelle pour l'hôte de l'Elysée : dans son bras de fer avec la Nupes et le RN, personne ne prendra la responsabilité de bloquer le vote de la loi sur le pouvoir d'achat. Le chef de l'Etat aurait beau jeu de prendre les électeurs à témoin. Et pourquoi pas de brandir l'arme de la dissolution. Sur les textes les plus consensuels ou les plus urgents, qu'il s'agisse du climat ou du pouvoir d'achat, Elisabeth Borne chargée de construire un gouvernement d'action trouvera toujours une majorité, même relative. Preuve que la Constitution de la Vème République est bien faite et reste relativement souple et adaptable, y compris en temps de crise politique. On peut craindre néanmoins une paralysie de l'exécutif sur d'autres sujets plus difficiles, comme la retraite à 65 ans, dont on n'entend plus trop parler d'ailleurs.

Condamné à des cautères sur une jambe de bois, le gouvernement va donc s'attacher à démontrer qu'il fait de son mieux pour aider les plus modestes. Le chèque alimentaire d'urgence de 100 euros versé à 9 millions de foyers n'a qu'un but : gagner du temps et éviter d'être débordé par la colère sociale. Pour l'heure, la guerre en Ukraine est le bouc émissaire idéal mais pour combien de temps avant que la fronde ne se retourne vers l'Etat ou les entreprises, qui font face à une montée inédite des revendications salariales.

Conscient que le compteur tourne, Emmanuel Macron, qui vient d'achever ce 30 juin sa présidence tournante de l'Union européenne, se met à son tour, après son ministre de l'Economie et des Finances, à tirer à boulets rouges sur le fonctionnement du marché européen de l'électricité, basé sur le prix du gaz, bien plus cher... « Honnêtement ce sont les Shadoks, ce qu'on on est en train de vivre », a dénoncé le président de la République en référence à ces personnages d'une série d'animation à l'humour volontiers absurde, diffusée en France à partir de la fin des années 60 avec la voix célèbre de Claude Piéplu.

C'est que nous n'en sommes qu'au début de la flambée des prix de l'électricité, relève Marine Godelier : la facture risque de tripler cet hiver et ça pourrait faire mal. Et cela va continuer avec la hausse des investissements nécessaires pour passer d'une économie carbonée à une énergie verte. RTE, le Réseau de Transport d'Électricité, va devoir dépenser des sommes colossales pour transporter toujours plus d'électricité en France, explique Juliette Raynal.

Le choc de la vérité des prix de la transition énergétique est donc à venir. D'où la montée du débat sur la  sobriété. Dans une initiative commune inédite, les patrons des trois énergéticiens français, EDF, ENGIE et TotalEnergies, ont appelé il y a une semaine les Français à économiser l'énergie pour éviter des pénuries cet hiver alors que la Russie réduit progressivement ses livraisons de gaz.

Outre qu'il est cocasse de voir des vendeurs d'énergie inciter leurs clients à la sobriété, alors que c'est plutôt le rôle de l'Etat que de promouvoir « la chasse au gaspi » comme dans les années 1970, le défi pour les énergéticiens est surtout désormais d'investir pour accroître leur production, a souligné Thierry Breton, le commissaire européen au marché intérieur. L'Europe en est à importer des excédents d'électricité en Ukraine...

La crise énergétique conduira-t-elle à remettre en cause la lutte contre le réchauffement climatique ? Bruxelles ne veut pas s'y résoudre. Les 27 pays européens ont d'ailleurs approuvé cette semaine la fin des voitures thermiques neuves à partir de 2035, ainsi que le futur marché européen du carbone, malgré le risque que représente son extension au transport routier et au chauffage des logements. Une bombe sociale sans aucune garantie d'efficacité dans la lutte pour le climat, estime Marine Godelier.

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Philippe Mabille

Directeur de la rédaction

Twitter @phmabille

Philippe Mabille

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Commentaires 4
à écrit le 02/07/2022 à 11:27
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Les hommes remarquables n'ont pas a vouloir se faire remarquer! On ne peut en dire autant de McKron!

à écrit le 02/07/2022 à 11:21
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"RTE, ..., va devoir dépenser des sommes colossales" oui mais on paie déjà 8% de la facture pour ça, il parait que ça sera 8 à 10% donc peu d'impact de notre côté (mais le 10 est peut-être optimiste). Sur 6 ans l'abonnement électrique avait pris +50%...

à écrit le 02/07/2022 à 11:02
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Toutes ces mesures de "soutien" du pouvoir d'achat sont absurdes et inutiles, puisque leur montant est pris ... dans la poche des français ! Et oui, rien ne se perd, rien ne se crée, c'est un principe fondamental de la physique, et donc de l'économie...

le 03/07/2022 à 14:26
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En effet acec les augmentations de prix c est 55 milliard de plus de revenu en taxe tva etc... donc facile de se faire passer pour genereux en distribuant 1 a 5 milliards

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