L'IPO réussie de Arm, une bouée de sauvetage pour SoftBank

Embourbé dans les investissements ratés et les dettes, SoftBank jouait gros jeudi avec l'introduction en Bourse d'un de ses principaux actifs, le géant des puces électroniques Arm. Heureusement pour l'entreprise japonaise, le titre a fini en hausse de près de 25% dès sa première journée. Mais les doutes subsistent quant à la capacité du cours de l'action à se maintenir à ce niveau.
François Manens
Avec une première journée clôturée à +25%, Arm a réussi son entrée en Bourse.
Avec une première journée clôturée à +25%, Arm a réussi son entrée en Bourse. (Crédits : Toru Hanai)

L'introduction en Bourse de Arm a suivi le scénario idéal pour son ex-actionnaire unique SoftBank, qui se séparait de 10% de ses parts. Alors que l'entreprise avait fixé le prix de départ de l'action à 51 dollars, le titre a clôturé à 63,59 dollars, soit 24,7% de plus ! L'opération valorise ainsi le géant des puces électroniques, qui reste détenu à plus de 90% par l'entreprise japonaise, à près de 60 milliards de dollars. Il s'agit de l'IPO tech la plus importante depuis l'arrivée sur les marchés publics du Chinois Alibaba en 2014.

Derrière ce succès, un soupir de soulagement pour SoftBank et son dirigeant fondateur Masayoshi Son. Depuis une dizaine d'années, l'entreprise japonaise multiplie les investissements hasardeux, au point d'accuser plus de 30 milliards de dollars de pertes sur la dernière année fiscale. Grâce à l'opération, le groupe récupère environ 5 milliards de dollars de liquidités, de quoi éponger une partie ses dettes. Mieux, elle expose au public un exemple de réussite de ses investissements, alors qu'elle a raté la vague de l'intelligence artificielle générative. Mais attention à la suite : l'IPO a bénéficié de plusieurs mécanismes financiers à son avantage, qui pourraient jouer sur la volatilité du cours à long terme.

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IPO atypique

« Difficile de qualifier cette introduction de blockbuster. Certes, c'est un gros montant, et la valorisation est importante. Mais Arm n'a pas de croissance, ses promesses sur l'IA restent incertaines, et l'entreprise coûtait déjà cher avant de sortir de la cote lors de son rachat par SoftBank. Ce n'est pas un retour en position de force », résume Jacques-Aurélien Marcireau, co-responsable de la gestion actions chez Edmond de Rothschild.

Arm commercialise la propriété intellectuelle de ses architectures de puces, utilisées dans 99% des smartphones, dans l'internet embarqué ou encore dans les data centers. En résumé, c'est un véritable géant technologique, incontournable dans certains secteurs, mais pas (encore, du moins) dans celui très populaire de l'intelligence artificielle, contrairement aux déclarations de Masayoshi Son.

Le choix de revenir en Bourse maintenant paraissait donc plutôt risqué. L'entreprise est en légère décroissance annuelle à 2,68 milliards de dollars de chiffre d'affaires (-0,7%), malgré des ventes de licences record. Et si elle dégage des bénéfices, ces derniers sont en baisse de moitié sur le dernier trimestre, à 102 millions de dollars, par rapport à l'an dernier. De plus, aucune annonce majeure n'accompagne l'IPO du groupe : pas de nouvelle architecture ou de nouveau méga-contrat. Concrètement, SoftBank ne fait qu'introduire sur les marchés une entreprise bien installée.

Le succès à court terme peut-il être pérennisé ?

En conséquence, si une partie des investisseurs misent sur une croissance de long terme, puisque les architectures Arm sont présentes dans des milliards de puces, sa valorisation pourrait être largement surestimée. D'après le Financial Times, qui compare la situation de l'entreprise par rapport au reste du marché, la véritable valorisation de l'entreprise britannique se situerait plutôt autour des 30 milliards de dollars, une valeur inférieure au prix d'achat concédé par SoftBank en 2016. En 2020, Arm avait accepté une offre de rachat de la part de Nvidia à 40 milliards de dollars, mais l'opération a fini par tomber à l'eau à l'été 2022, suite à l'action des régulateurs.

Le succès du premier jour d'Arm à Wall Street signifierait donc que le marché achète la promesse de SoftBank sur l'IA et l'indexe sur la réussite époustouflante de Nvidia. Mais ce premier jour pourrait aussi être gonflé par des conditions temporaires, qui ne suffiront pas à consolider le cours de l'action dans la durée. « SoftBank ne pouvait pas se permettre que l'introduction se passe mal », relève Jacques-Aurélien Marcireau. Et pour cause, Masayoshi Son désigne Arm comme le joyau de son portefeuille d'actions, et une entreprise qu'il veut accompagner sur le long terme. Un échec aurait touché sa crédibilité comme investisseur, et aurait potentiellement pu entraîner un effet domino sur le reste de ses participations.

SoftBank a fui les risques

Au vu de l'enjeu, l'entreprise japonaise a donc mis en place des garde-fous. Première précaution : elle s'est assuré en amont de l'opération le soutien des plus grands clients d'Arm comme Nvidia, Samsung, Apple ou encore Alphabet (Google). Ils s'étaient engagés à acheter pour au moins 735 millions de dollars et jusqu'à un milliard de dollars d'actions. En plus de garantir des investissements, ces promesses ont permis à Arm de prouver sa neutralité technologique et sa capacité à fédérer l'écosystème.

Deuxième précaution : SoftBank n'a introduit que 10% des parts de l'entreprise, alors qu'en moyenne sur les dix dernières années, les entreprises introduisent entre 16% et 29% de leurs actions, d'après la plateforme financière Dealogic. Et encore, d'après le New York Times, Masayoshi Son visait plutôt autour des 5%, avant d'être contraint par ses créanciers, dont les collatéraux [l'actif déposé auprès du débiteur en cas de défaillance de l'emprunteur, ndlr] s'appuient sur ses parts dans Arm, à mettre plus sur le marché.

L'intérêt ? « Plus le flottant [la quantité d'actions disponibles sur le marché, ndlr] est réduit, plus l'entreprise a la possibilité de faire monter artificiellement le prix », rappelle Jacques-Aurélien Marcireau. L'exemple du constructeur automobile vietnamien VinFast, entré en Bourse pendant l'été, illustre bien la situation. En ne proposant que 1% de son capital aux marchés publics, l'entreprise a atteint 85 milliards de dollars de valorisation le jour de sa première clôture, soit plus que des géants sectoriels comme Ford ou General Motors malgré des performances financières moindres. Un mois plus tard, son action a chuté de plus de 50%, au point de descendre bien en dessous du prix fixé. En conséquence, la valorisation du groupe s'est effondrée. Le flottant introduit par Arm est plus important que celui de Vinfast, mais son faible volume comporte aussi des risques de volatilité du cours.

Enfin, SoftBank pouvait aussi espérer le soutien indirect des banquiers d'affaires, ces conseillers en investissement qui gagnent des commissions en fonction des placements de leurs clients. Plus généralement, c'est tout un pan du secteur financier qui avait intérêt à ce que l'introduction d'Arm se passe bien, afin d'espérer une reprise des IPO.

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SoftBank, embourbé dans une suite d'échecs

L'IPO offre à SoftBank un sursis, mais il est loin d'être sorti d'affaires. L'entreprise japonaise a construit son succès au début des années 2000 avec des excellents placements, notamment dans le géant chinois de l'e-commerce Alibaba et dans les télécoms locales. Fort de ce pedigree, l'entreprise a créé en 2017 un fonds d'investissements de plus de 100 milliards de dollars pour investir sur la tech de demain. Le Vision Fund naissait avec à son capital plusieurs acteurs controversés, dont le fonds souverain de l'Arabie Saoudite (à hauteur de 50 milliards de dollars). Suite au succès à court terme de ce premier fond, Masayoshi Son a doublé la mise en 2019, avec un Vision Fund II doté de 108 milliards de dollars cette fois. Et en parallèle, son entreprise a continué d'investir sur ses propres fonds.

Mais le Vision Fund n'a pas tardé à subir son premier revers majeur, avec l'effondrement de WeWork en 2019. Puis ce fut le tour de l'entreprise de robot à pizza Zume, de la chaîne d'hôtels indienne Oyo, ou encore du fiasco FTX. Résultat, sur la dernière année fiscale, les pertes du Vision Fund s'élevaient à 30 milliards de dollars. Et encore, le fonds n'a pas reconnu toutes ses moins-values pour l'instant.

En parallèle de ces paris désastreux, SoftBank a plus globalement raté le virage vers l'intelligence artificielle générative. L'entreprise japonaise a bien placé des pions sur l'IA, mais sur celle de petite échelle, embarquée dans les appareils électroniques. En 2018, Masayoshi Son déclarait même aux investisseurs qu'il se concentrait sur une thématique, l'IA, comme le rappelle le Wall Street Journal. Et depuis 2020, SoftBank se présente comme « l'entreprise d'investissement de la révolution de l'IA ».

En cinq ans, l'entreprise a dépensé 140 milliards de dollars sur plus de 400 startups. Le problème ? Selon PitchBook, SoftBank n'a des parts que dans une des 26 licornes [startups valorisées à plus d'un milliard de dollars, ndlr] de l'IA générative. Clou du désastre : SoftBank avait eu la bonne idée d'acheter quatre milliards de dollars d'actions Nvidia en 2017, qu'il a vendu en 2019 suite à une mauvaise passe du cours, avec une plus-value négligeable. Depuis, le cours de l'action a été multiplié par onze. Désormais,  Masayoshi Son indique qu'il veut garder sa participation « le plus possible, le plus longtemps possible ». Mais les finances de son entreprise pourraient bien bouleverser ce plan.

François Manens

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Commentaire 1
à écrit le 16/09/2023 à 23:22
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Encore une bulle spéculative de produit dérivé (cf. ADR) à sous-jacent douteux (cf. 10 % de flottant et conflit avec sa filiale chinoise) après SPAC (cf. pertes post-fusion) et ETF crypto (cf. détournement de fond FTX).

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