Ces robots "intelligents" qui envahissent la distribution (dans les coulisses de la logistique)

A l’instar d’Amazon qui livrera le dimanche soir, les (cyber)marchands promettent à leur clients de leur apporter très vite des millions de références possibles tous les jours et de plus en plus tard. Un défi logistique qui se traduit en coulisses par l'adoption de robots et autres machines "auto-apprenantes".
Marina Torre
En 2012, Amazon a acheté Kiva Systems, qui conçoit ces robots capables de soulever des étagères.

Les cybermarchands se sont lancés dans une course effrénée. Livrer vite, très vite. Si possible le jour même de la commande. Préparer en moins de deux heures des colis contenant des produits de toutes tailles, toutes formes, parfois très rares. Assurer des retours gratuits ou presque. Ce, quelle que soit la période de l'année. Et désormais même le dimanche. Telles sont les nouvelles exigences pour les distributeurs qui s'accordent au rythme endiablé des grands spécialistes de la vente en ligne comme Amazon.

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Des flux physiques "bien tangibles"

A cela s'ajoute une multitude de nouvelles manières d'attirer le client en magasin et de conclure les ventes comme le drive, le click & collect ou encore l'e-reservation. Des promesses a priori alléchantes, et pour l'instant relativement peu coûteuses pour les consommateurs, mais un défi logistique d'envergure. Qui se traduit, en coulisses, par une révolution dans l'organisation des flux logistiques.

"L'intérêt des clients [pour ce type de services] est bien intégré par les enseignes, Il faut désormais rendre tout cela effectif à des coûts les plus intéressants possibles", note Christophe Kühner, vice-président responsable du marketing au sein de l'entreprise Generix Group.

Ce dernier a mené une étude sur l'adoption de ces nouveaux services par les plus grandes enseignes françaises dans la grande distribution alimentaire, le jouet, la maison, l'habillement, la beauté et le bricolage. Il constate que pour les acteurs de la distribution, "le gros enjeu du moment" consiste à concrétiser ces nouvelles pratiques en transformant l'organisation des "flux physiques bien tangibles" jusqu'ici plutôt séparés en différents canaux.

Entrepôt géant

Les entrepôts tendent habituellement à s'étendre plutôt en hauteur, ce qui doit permettre d'économiser de la surface immobilière. Mais les nouveaux systèmes robotisés privilégient plutôt des extensions horizontales.

Des robots dans l'entrepôt

Cette mise en pratique commence dans les entrepôts des grands distributeurs. Avec l'installation de convoyeurs, les lieux de stockages des distributeurs ont depuis longtemps déjà commencé à s'organiser comme des sites industriels. Désormais, des tâches que l'on pensait jusqu'alors réservés aux humaines commencent à se robotiser.

Ces machines nouvelles générations renversent l'organisation des plateformes logistiques. C'est le cas par exemple en France avec les robots de la société Scallog qui soulèvent des étagères pour les "apporter" aux préparateurs de commandes. Et réduire ainsi le temps de préparation.

"L'une des entreprises que nous équipons parvient à réaliser 550 'picking (prélèvements) de produits par heure contre 150 auparavant", assure son cofondateur, Olivier Rochet. Si ses robots peuvent soulever un poids de 600 kg, cette solution impose des formats standardisés et s'adapte surtout à des produits de petite taille.

Scallog

Les robots conçus par la société française Scallog, sur le modèle de ceux de employés par Amazon.

Il s'agit en fait d'une adaptation du concept mis en oeuvre par Kiva Systems, une société de robotique américaine acquise par Amazon en 2012 et qui, inonde les entrepôts géants de ce dernier.

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Ocado tente de vendre sa solution logistique

Pour accélérer la cadence, bien d'autres solutions sont testées ou mises en oeuvre. Le site britannique Ocado, qui a automatisé ses entrepôts, tente même d'exporter son modèle en louant ses services à d'autres distributeurs. Son système baptisé "Smart Plaform" a même été étudié par des chercheurs de la célèbre Harvard Business School.

Mais le mouvement va bien au-delà de la robotisation des entrepôts. Déplacer les produits dans les différents canaux de vente cités plus haut, implique en effet des systèmes informatiques très lourds.

Juste pour se faire une idée, 676 millions de colis ont été livrés en France l'an dernier selon les données du cabinet Xerfi. Cela représente plus de 10 par habitants.Et une commande, donc un colis, peut contenir en moyenne entre 1 et plus de 50 articles selon les catégories de produits concernées. Le tout devant ensuite être dispatché soit dans les magasins, soit chez les particuliers, souvent dans des villes congestionnées. Dans la seule région Île-de-France, plus d'1 million de livraisons et d'enlèvements seraient réalisés chaque jour (1)!

 Convertis au "Machine Learning"

Une massification des données sans précédent qu'une flopée de systèmes informatiques tentent de déchiffrer à l'aide de leurs précieux algorithmes. Pour ceux qui les développent, un sésame: "l"intelligence artificielle". Ou, dans le cas présent: le fameux "machine learning" qui fait figure de nouveau graal chez les professionnels de la logistique.

Ces machines "auto-apprenantes" sont censées être capables, en moulinant des milliards de données, de déterminer des relations entre elles qu'un être humain aurait peut-être mis beaucoup plus de temps à observer. Puis d'en déduire des formules réutilisables dans d'autres cas.

"C'est une façon de programmer les ordinateurs qui leur confère la capacité de découvrir par eux-mêmes des modèles de comportement des données", explique Manuel Davy, ancien chercheur au CNRS et président de Vekia, une entreprise lilloise qui fournit des solutions de gestion des approvisionnements.  "C'est plus puissant que des méthodes utilisées jusqu'alors quand des gens devaient remettre à jour les modèles à la main", ajoute le statisticien.

Même les dirigeants de Google, y croient dur comme fer. Eric Schmidt, le président exécutif d'Alphabet, la maison-mère du géant américain y voit même "la prochaine grande transformation" de l'économie, bien au-delà de la simple application dans la distribution.

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Prédire ce que l'on va acheter pour organiser le circuit

En pratique, dans la distribution, ces logiciels prennent en compte des informations aussi diverses que les opérations commerciales (envoi de prospectus par exemple), les volumes de ventes passées, les tendances à un moment donné, ou encore la météo. Ce qui permet d'en déduire des actions à mener pour "optimiser" tel circuit de livraison, tel trajet de camion, telle organisation d'entrepôt, telle quantité d'approvisionnement par type de produit.

Bref, d'utiliser des modèles dits "prédictifs" pour améliorer le réassort de ses rayons, réels ou virtuels. En théorie, cela peut aussi permettre de développer  les circuits directs des entrepôts des fournisseurs aux rayons des magasins, donc de réduire l'impact carbone des trajets.

Des frais de personnel en recul

De quoi soulever bien des questions. Car, certes l'adoption de ces systèmes se cantonne pour l'heure à quelques expérimentations plus ou moins poussées. Mais, outre des interrogations sur la sécurité et le partage de données très sensibles, l'arrivée des robots dans les circuits de distribution fait, une fois de plus, songer à l'impact sur l'emploi de ces nouvelles technologies. Dans le seul secteur de la logistique, des indices laissent penser qu'elles en ont déjà.

Le poids des frais de personnel dans le chiffre d'affaires total de l'activité d'entreposage tend à se réduire en France. De 28,5% en 2009, il est passé à environ 28% les années suivantes. Puis il a brutalement chuté entre 2013 et 2014 passant à 27,4%, selon des chiffres du cabinet Xerfi. Une estimation pour 2015 évalue cette proportion à 27,2%.

Difficile évidemment, de mesurer le poids exact de la robotisation dans cette histoire. D'aucuns objecterons d'ailleurs que les robots roulants comme les machines auto-apprenantes laissent davantage de place aux humaines pour des activités dites à "valeur ajoutée". Encore faudra-t-il les redéfinir.

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 (1) 1 million de livraisons par jour en Île de France: ce chiffre était cité notamment lors des Entretiens de Rungis, mais aussi par la CCI de Paris. Il est sans doute largement dépassé, puisqu'il était déjà cité par les acteurs de la logistique au début des années 2010. Or, l'explosion de l'e-commerce a, depuis, largement contribué à accroître le nombre de livraisons en France et dans la région parisienne.

Marina Torre

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