Six mois de négociations pour parvenir à un bel « happy end » à l'américaine au sommet spatial de Séville (6 et 7 novembre). Six mois de psychodrames et de crises de nerfs entre l'Allemagne, la France et l'Italie pour repartir vers Paris, Berlin et Rome en se réjouissant d'avoir protéger au mieux les intérêts de leur industrie spatiale nationale dans le domaine des lanceurs. Les trois pays partenaires (un peu) mais rivaux (beaucoup) repartent tous avec « la banane » de Séville.
« Il sort toujours quelque chose de neuf et de positif de la crise que nous avons connue au cours des derniers mois, des échanges parfois difficiles, longs, que nous avons eus avec nos partenaires, sort aujourd'hui une nouvelle ambition spatiale européenne pour le XXIᵉ siècle, avec un lanceur lourd dont le financement et les technologies sont validés », s'est réjoui lundi soir le ministre de l'Économie Bruno Le Maire en charge de l'espace.
Lanceurs : une pluie de bonnes nouvelles
Pour résumer, la France a obtenu une somme significative pour couvrir les frais fixes de l'exploitation d'Ariane 6 à partir de 2026 (340 millions d'euros par an pour financer les lancements entre le 16e et le 42e vol) à la grande satisfaction mais aussi soulagement d'ArianeGroup ; l'Allemagne a décroché son Graal en arrachant à Rome et Paris l'ouverture à la concurrence dans le domaine des lanceurs avec déjà en ligne de mire dans une dizaine d'année la succession d'Ariane 6 ; et l'Italie a réussi à désarrimer son champion Avio, qui conçoit les lanceurs de la famille Vega, de l'orbite commerciale d'Arianespace. Et, tout comme ArianeGroup, Avio obtient également une aide publique pour l'exploitation de Vega-C mais beaucoup moins significative (21 millions d'euros par an entre le 26e et le 42e vol).
Par ailleurs, le conseil ministériel de l'Agence spatiale européenne (ESA) a réaffirmé que l'accès indépendant et autonome de l'Europe à l'espace dépendra fortement durant les dix prochaines années des lanceurs Ariane 6 et de Vega-C, puis de Vega-E. Dans ce cadre, Ariane 6 se verra confier un minimum de quatre lancements institutionnels européens par an tandis que Vega C en aura au moins trois par an. L'accord tripartite prévoit également que les trois pays s'engagent à contribuer au financement d'Ariane 6 au-delà des trois ans actés par l'ESA pour au moins 18 mois supplémentaires au-delà du 42e vol.
Cet accord va permettre à l'ESA de passer une commande à ArianeGroup pour un lot de 27 lanceurs supplémentaires, au-delà des 15 déjà commandés (42 au total). Soit au-delà du carnet de commandes d'Arianespace qui n'a « que » pour le moment 28 lancements d'Ariane 6. Ce qui est une bonne nouvelle, car l'Europe croit à un marché pour le futur lanceur lourd européen, notamment avec la constellation européenne IRIS². En contrepartie de toutes ces bonnes nouvelles, les industriels qui conçoivent Ariane 6 (ArianeGroup ainsi que ses sous-traitants) se sont engagés à réduire les coûts du futur lanceur lourd de l'Europe de 11% pour garantir la compétitivité du programme.
Europe, l'exploration spatiale au rabais
En revanche, en dépit des déclarations en faveur d'une politique européenne ambitieuse dans l'exploration spatiale (en mode, paroles, paroles de Dalida), elle va bien rester le parent pauvre de l'Europe, où de très nombreux pays n'en font pas du tout leur priorité. Aussi, les 22 membres de l'ESA (la plupart des pays de l'UE, le Royaume-Uni, la Suisse et la Norvège) s'en sont tenus très modestement à la proposition du directeur général de l'ESA Josef Aschbacher, d'un concours entre au moins trois industriels pour fournir un service de vaisseau-cargo réutilisable en orbite basse d'ici à 2028. Et comme c'est une « priorité », l'ESA a sécurisé un investissement... de 75 millions d'euros, à condition que ce nouveau projet n'ait pas d'incidence sur les priorités définies au sein du Programme-enveloppe européen d'exploration (E3P) ou sur la couverture des risques programmatiques.
D'une manière générale, ce concours préfigure la nouvelle approche qu'entend adopter l'ESA, sur le modèle de la NASA, en achetant des services à des industriels plutôt qu'en développant elle-même des programmes. Mais pour quel marché en Europe dans le domaine du transport spatial de fret ?
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