Tous chômeurs pour enfin vaincre l'inflation !

VOTRE TRIBUNE DE LA SEMAINE. Quand Tim Gurner, un patron australien, voit dans la hausse du chômage la bonne réponse pour calmer les prétentions salariales de ses employés, il est temps de s'inquiéter. Refroidir l'économie, au risque de faire remonter le chômage, c'est le pari de la Banque centrale européenne qui vient de décider la dixième hausse consécutive de ses taux d'intérêt. La der des ders ? Pas si sûr. Pour les hausses d'impôts, en revanche, ce n'est que le début, continuons le combat. Attention, une nouvelle taxe peut en cacher beaucoup d'autres ! Bruno Le Maire semble en tout cas avoir retrouvé la définition du mot surprofit.
Philippe Mabille
(Crédits : SARAH MEYSSONNIER)

Du capitalisme chimiquement pur, cela existe encore. N'en déplaise à tous ceux qui disent que le monde post-covid est en train de sortir de l'idéologie néo-libérale, les propos sans filtre sur le réseau social LinkedIn, de Tim Gurner, patron d'un groupe australien spécialisé dans l'immobilier de luxe, en ont fait la démonstration cette semaine et illustrent le dilemme qu'affronte l'économie mondiale face au retour de l'inflation. « Le chômage doit bondir de 40-50% de mon point de vue. Nous devons rappeler aux gens qu'ils travaillent pour leur employeur et non l'inverse », a déclaré l'entrepreneur australien, avant de s'excuser pour son peu « d'empathie » pour ceux qui perdent leur emploi. Mais à vrai dire, sur le fond, il ne fait que traduire tout haut un sentiment général chez beaucoup de patrons qui ont vu depuis le début de la décennie 2020 le rapport de forces s'inverser en faveur des salariés.

Le télétravail n'est pas seul en cause même s'il y a chez Gurner et quelques autres une volonté de faire revenir ces « fainéants » de salariés au bureau. Interrogez un chef d'entreprise et il ne vous parle que de difficultés de recrutement et de pénuries de travailleurs qualifiés. C'est vrai partout dans le monde : même aux Etats-Unis, le succès indéniable de l'IRA (« Inflation reduction act »), une politique massive de subventions à la transition de l'industrie vers les énergies décarbonées et l'électricité est en train de buter sur le manque de personnel qualifié. En France aussi, c'est le principal obstacle à la stratégie de réindustrialisation.

Preuve que le sujet du rapport de force employeurs-employés est d'une brûlante actualité, la grève dure qui s'engage dans la construction automobile aux Etats-Unis cette semaine. Face à ce conflit social historique, qui succède à celui qui frappe aussi l'industrie du cinéma à Hollywood depuis cet été, le président démocrate américain appelle, à un an de l'élection présidentielle, à un meilleur partage salaire-profit dans l'industrie.

Dans un monde en transition l'emploi devient rare et donc cher et cela dérange visiblement Tim Gurner dans un secteur d'activité, l'immobilier, au bord du krach après des années de spéculation. Mais si son intervention iconoclaste a fait le tour du monde, c'est sans doute aussi parce que sa remarque reflète une part de vérité qu'il va bien falloir affronter : comment faire atterrir -en douceur ou en catastrophe ?- l'économie pour vaincre l'hydre de l'inflation. En réalité, notre capitaliste australien ne fait que rebondir sur les propos de Michele Bullock, la directrice de la banque centrale du pays selon qui le taux de chômage devrait bondir de 3,7 à 4,5% afin de refroidir l'économie, risquant de conduire à 140.000 suppressions d'emplois.

Refroidir l'économie, c'est bien la stratégie suivie par Christine Lagarde, la présidente française de la Banque centrale européenne, lors de l'annonce ce jeudi de la dixième hausse de taux consécutive. Pour tenir l'objectif d'un retour de l'inflation vers le plafond des 2%, contre 5,6%, la BCE assume le risque de provoquer un plongeon de l'économie et donc de faire monter le taux de chômage dans la zone euro. Pour les étudiants en économie, c'est la simple application de la courbe de Phillips qui dit qu'il y a une relation inverse entre la hausse des salaires nominaux et celle du chômage. Ou de la théorie marxiste qui voit dans les chômeurs l'armée de réserve du capitalisme... A chacun de juger.

Reste à savoir si la stratégie d'atterrissage en douceur pilotée par les banques centrales est la bonne. La BCE a révisé en baisse ses prévisions de croissance pour la zone euro l'an prochain, mais le débat commence à monter au sein du collège des banquiers centraux européens sur le danger d'aller trop haut. En avance sur la BCE, la Réserve fédérale américaine a déjà commencé à marquer une pause en juillet. Christine Lagarde s'est pour sa part bien gardée de s'engager sur une pause, mais pour la plupart des observateurs, le pic des taux d'intérêt est proche, sinon atteint. Du coup, malgré les craintes de récession, l'euphorie l'a emporté sur les marchés financiers européens qui ont salué par une bouffée d'optimisme ce nouveau resserrement du crédit. Les marchés d'actions refusent de voir venir la récession et ont regagné le terrain perdu cet été.

En France aussi, à l'approche de la présentation du projet de budget, Bruno Le Maire s'est résolu à réviser en baisse les prévisions de croissance pour 2024. Mais très modérément, de 1,6 à 1,4%. Le ministre de l'économie et des finances s'est félicité lors d'un déplacement à Berlin, que la presse allemande adresse, une fois n'est pas coutume, des compliments sur la résilience de la croissance française qui tranche avec une Allemagne en récession et en plein doute sur son modèle contrarié par la fin du gaz russe à bon marché. Un bon point en faveur de Bruno Le Maire, son pronostic d'une croissance française à 1% cette année est en passe d'être gagné, malgré un net refroidissement en vue cet automne-hiver selon la Banque de France.

Bref, jusqu'ici, tout va bien, mais deux écueils de taille demeurent. Malgré un début d'inflexion des prix dans l'alimentaire, l'inflation continue d'être trop élevée et la France reste le mauvais élève de la classe européenne sur le front des déficits budgétaires, obligeant Bercy à des contorsions fiscales pour éviter de se retrouver dans une spirale inflationniste. Sur le premier point, le gouvernement cherche à maîtriser le rythme du rattrapage des salaires : le sujet sera abordé début octobre lors de la conférence sociale annoncée par Emmanuel Macron à l'issue du dîner avec les oppositions à Saint-Denis. Et sur le second point, pour éviter de se faire accuser de préparer un tour de vis fiscal, Bercy s'est résolu à indexer le barème de l'impôt sur le revenu, pour un coût budgétaire de 6 milliards d'euros.

Pas question de laisser se propager le sentiment que la douloureuse fiscale va s'ajouter à la morsure de l'inflation sur le pouvoir d'achat des ménages, alors que les leaders de la grande distribution agitent le spectre de la « déconsommation », le mot de la rentrée. Une rentrée placée sous le signe de la montée de la grande pauvreté. On a faim en France en septembre 2023, et on a de plus en plus de mal à se loger : deux maux que le gouvernement désargenté est incapable de résoudre. Au point de « faire la manche » auprès du secteur privé, un aveu d'impuissance symbolisé par les 10 millions donnés par la famille Arnault aux Restos du Cœur et par l'amicale pression mise sur Patrick Pouyanné pour prolonger le plafonnement des prix des carburants à moins de 2 euros chez TotalEnergies. Ce qui n'empêche pas Bercy d'envisager de taxer par la même occasion les « surprofits » des raffineries. Après avoir nié en août 2022 l'existence de « superprofits », Bruno Le Maire n'hésite pas à taxer là où cela fait le moins mal politiquement. Pour faire rentrer de l'argent dans les caisses de l'État, le gouvernement peaufine « une taxation des surprofits » des sociétés concessionnaires d'autoroutes.  Elle pourrait être présentée dans le cadre du budget 2024.

Elle n'aura « aucun impact » sur les péages, a assuré sans rire le ministre délégué chargé des Transports, Clément Beaune. On attend confirmation chez Vinci et Eiffage... Dans un entretien à La Tribune -lire « L'entretien du Jeudy »-, il a également confirmé des « discussions » similaires concernant une taxe supplémentaire sur les billets d'avion, assumant une hausse de leur prix au nom de la planète. Maigre consolation, les hausses d'impôts sont désormais décidées au nom de l'écologie. Bercy veut aussi augmenter les taxes sur le gaz et mettre fin aux niches fiscales brunes. Bref, la volaille fiscale sera bien plumée, et ne seront épargnés que ceux qui crient plus fort que les autres. C'est ainsi que les transporteurs routiers échapperont à la fin de la détaxe sur le gazole. Après le conflit social sur les retraites, pendant lequel les routiers ont été sympas, il ne faudrait pas que la coupe du monde de rugby soit gâchée par un blocage du pays.

Le gouvernement n'en a pas fini avec ces contradictions. La semaine s'est achevée en mode panique sur la possibilité d'une nouvelle hausse de 10 à 20% des prix de l'électricité en février prochain pour financer le lancement du programme nucléaire français. Immédiatement démentie en coeur par Bruno le Maire et Agnès Pannier-Runacher, cette perspective peu réjouissante n'en reste pas moins au cœur du violent bras de fer qui oppose l'Etat à EDF sur le vrai prix de rachat de l'électricité nucléaire.

Qui veut se convaincre que l'on n'en a pas fini avec les mauvaises nouvelles sur notre pouvoir d'achat n'a qu'à relire le rapport Pisani-Ferry qui chiffrait à 70 milliards d'euros le coût annuel de la transition écologique. Le projet de budget 2024 n'en finance qu'à peine 10%, soit 7 milliards d'euros, laissant dans le flou la façon dont ce grand plan d'investissement sera payé par les entreprises, les contribuables et les consommateurs. Une chose est sûre, la facture sera salée. Et plus elle restera floue, plus il est certain que quelqu'un sera floué. Un peu de transparence fiscale ne ferait pas de mal, car toutes ces nouvelles taxes plus ou moins masquées en cachent beaucoup d'autres à venir. Et cela commence à se voir, sous le vernis de la langue de bois.

Philippe Mabille

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 27
à écrit le 17/09/2023 à 19:13
Signaler
@lachose. Vous auriez du poursuivre plus avant sur le cas de Greenspan, puisque cet économiste des économistes (monétariste) fit non seulement chavirer le taux directeur de la Fed ancré à 6.5 % en 2000 jusqu’à 1 % le 25 juin 2003, mais comme tout ce ...

à écrit le 17/09/2023 à 15:06
Signaler
Ahh, j'ai oublié de préciser à mes détracteurs - après mes autres posts déjà dans l'attente d'une levée de la censure - un "petit détail" depuis la fin des Accords de Bretton Woods en 1971. Comme la dette a pour corollaire l'argent (la monnaie comm...

à écrit le 17/09/2023 à 14:09
Signaler
@Adieu BCE. Je vous le redis encore et encore et encore une fois. Bossez votre matière et cessez les amalgames non constructifs! Depuis 1929 (l'empirique) la théorie économique sait qu'un plan de relance monétaire non-conventionnel doit impérativemen...

à écrit le 17/09/2023 à 9:56
Signaler
Il a raison: hausse du chômage va avec baisse de la consommation et donc de la masse monétaire; à moins qu'on débouche sur la stagflation... Ces choses-là sont compliquées; pour les comprendre, il faut avoir fait ses études... De qui?

à écrit le 16/09/2023 à 20:42
Signaler
A table ! qui veut des nouilles .. Face à l'inflation alimentaire, Olivia Grégoire préconise des cours de cuisine à l'école.La ministre en charge des PME, du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme, estime qu'il faut réapprendre à cuisiner au lieu...

le 18/09/2023 à 10:39
Signaler
je sais que ca va pas dans le sens du MLF mais manger des cochonneries surgelees c est non seulement mauvais pour la sante (plats fait avec des produits bas de gamme et bourre de sel) mais aussi pour l economie (cher pour ce que c est) et l ecologie...

à écrit le 16/09/2023 à 19:38
Signaler
Pour la liaison entre chomage et inflation, c'est théorisé sous l'appellation NAIRU, bien vulgarisé par l'encyclopédie en ligne

le 18/09/2023 à 22:24
Signaler
Oui et le NAIRU change sensiblement d'un pays à l'autre, un NAIRU élevé est le signe d'une culture économique dépassée pouvant dans les cas extrêmes conduire à la guerre civile...

à écrit le 16/09/2023 à 17:38
Signaler
On comprend mieux que l'UE de Bruxelles veuille favoriser l'immigration et l'imposer aux populations !

le 16/09/2023 à 18:44
Signaler
Cette réforme européenne de l’immigration que la France a voté d'ailleurs propose une gestion centralisée de la répartition des demandeurs d'asile, qui seront relocalisés de manière obligatoire dans les différents États membres. Cette «obligation» ay...

à écrit le 16/09/2023 à 13:37
Signaler
Je parlais de la rencontre du mur il y a de nombreux mois. Beaucoup de blogueurs me traitaient de Cassandre et bien voila vous etes en plein dedans et ca ne sont que les hors-d'oeuvres, micron et son caniche blm vont vous assaisonner sauce au fisc. A...

à écrit le 16/09/2023 à 12:49
Signaler
Les propos de cet apprenti-sorcier en "sciences économiques" sont particulièrement jouissifs, sachant qu'il est un spéculateur (magnat) de l'immobilier. Je m'explique: Tout d'abord, comprenons bien que par paresse et facilité, les gouvernements ont d...

le 16/09/2023 à 14:01
Signaler
"car huit des dix dernières récessions occidentales furent provoquées par des crises immobilières." Vraiment? Ok pour 2008-2009 et 1990-1991. Certainement pas en 2001-2002 et 1974 et 1979-80. N'est-ce pas un peu exageré?

le 16/09/2023 à 18:36
Signaler
L'ancien responsable de la banque centrale américaine Alan Greenspan qui a fortement baissé les taux d'intérêt à court terme afin de limiter la récession de 2001-2002 a reconnu le fait qu'il existait une bulle dans le domaine de l'immobilier et il a ...

à écrit le 16/09/2023 à 11:59
Signaler
« Demandez le programme « On a le programme … comme dit dans un commentaire précédent que les contribuables- consommateurs boycott ou de consomment les entreprises et leurs produits services qui se livrent à ces commentaires ou comportement .. ça...

à écrit le 16/09/2023 à 11:34
Signaler
Cet Australien ferait un "tabac" en France, car il n'existe pas de RSA en Australie ni généralement dans le commonwealth mais en France dépenser autant que le RSA en carburants ou frais de transport plus la fatigue pour BOSSER au SMIC Si on ajoute le...

à écrit le 16/09/2023 à 11:23
Signaler
Ils disent tout et son contraire, ils finissent toujours par avoir raison... B Lemaire a dit qu'on aurait 1% de croissance et il faut l'en féliciter ? il a aussi dit que c'était le retour des trente glorieuses... enfin l'inflation des trente glorieus...

à écrit le 16/09/2023 à 11:05
Signaler
Encore un farfadet des "sciences économiques" qui a oublié d'exécuter la "release" de son grimoire. Pourtant, des travaux encore récents ont changé le bouillon de culture de Phelps et Friedman sur l'idée dogmatique qu'il existerait un taux de "chômag...

le 16/09/2023 à 12:04
Signaler
En France l'état est intervenu massivement pour soutenir la demande avec aides sociales (record du mobde), salaires de fonctionnaires en excés en s'endettant pour 3.000 miliards. Il suffit de comparer avec les autres pays que nous avons fait plus de ...

à écrit le 16/09/2023 à 10:57
Signaler
La paupérisation des masses ramène à un moment à la lutte des classes qui peut virer Révolution. Propos inconsequents d'un magnat de l'immobilier de luxe dont son modèle est sans doute Trump. Au passage, des têtes ont été coupées pour moins que ça......

à écrit le 16/09/2023 à 10:51
Signaler
Pendant ce temps : Une victoire pour les salariés français en arrêt maladie. Dans une série de décisions rendues mercredi 13 septembre, la Cour de cassation a tranché en leur faveur : “Les salariés malades ou accidentés auront droit à des congés p...

à écrit le 16/09/2023 à 10:39
Signaler
C’est une séquence qui fait polémique. L’émission Complément d'enquête, diffusée jeudi 14 septembre sur France 2, a exposé les pratiques controversées de l'enseigne Leclerc en matière d’embauche. Un extrait du reportage montre comment un journaliste ...

à écrit le 16/09/2023 à 10:12
Signaler
Les salaries- consommateurs- contribuables n’ont qu à s’ organiser menacer ces patrons. au bord de leur piscine en Suisse et roulant en tesla, d arrêter ou de réduire leur consommation et augmenter leur épargne pour des jours meilleurs … on verra...

à écrit le 16/09/2023 à 10:12
Signaler
Les salaries- consommateurs- contribuables n’ont qu à s’ organiser menacer ces patrons. au bord de leur piscine en Suisse et roulant en tesla, d arrêter ou de réduire leur consommation et augmenter leur épargne pour des jours meilleurs … on verra...

à écrit le 16/09/2023 à 9:56
Signaler
"Quand Tim Gurner, un patron australien, voit dans la hausse du chômage la bonne réponse pour calmer les prétentions salariales de ses employés" On connait ça ici depuis des années aussi ,cela s'appelle le chantage à l'emploi ;"si t'es pas content...

le 16/09/2023 à 21:44
Signaler
mais si personne ne veut venir travailler pour lui, adieu la fortune, les bénéfices, la production. Il sera obligé de quémander un emploi mal payé chez un concurrent. :-)

à écrit le 16/09/2023 à 8:10
Signaler
"Quand Tim Gurner, un patron australien, voit dans la hausse du chômage la bonne réponse pour calmer les prétentions salariales de ses employés," Alors peut-être qu'avec les quelques impératifs écologiques c'est un petit moins le cas mais quand même ...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.