« Les villes sont à la fois de formidables machines à inclure mais aussi à exclure » (Benjamin Pradel, sociologue et urbaniste)

ENTRETIEN. Alors que l'urbanisme durable et l'urbanisme transitoire font déjà partie du débat public et nourrissent la fabrique de la ville, le concept d'urbanisme inclusif n'existe pas (encore). Les explications de Benjamin Pradel, sociologue et urbaniste, rapporteur du travail « Urbanisme inclusif: projets à impact dans le Grand Paris ».
Benjamin Pradel estime que « mettre la question de l'inclusion comme horizon de la fabrique de la ville est une question de choix politique à tenir face, notamment, à la dimension économique »
Benjamin Pradel estime que « mettre la question de l'inclusion comme horizon de la fabrique de la ville est une question de choix politique à tenir face, notamment, à la dimension économique » (Crédits : DR)

LA TRIBUNE- Quel lien faut-il faire entre inclusion et urbanisme ?

BENJAMIN PRADEL - L'inclusion c'est l'inverse de l'exclusion. Cela consiste à penser la participation de l'ensemble des personnes qui composent la société de manière égalitaire. Certaines personnes ou groupes de personnes ont plus de difficultés que d'autres à accéder aux ressources sociales, économiques, culturelles, éducatives, qui permettent de répondre à leurs besoins et à construire leur vie comme elles le désirent. Et cette question de l'inclusion par l'accès s'adresse en partie à l'urbanisme entendu de manière large en tant que manière d'aménager et d'organiser les agglomérations humaines et de disposer l'espace urbain ou rural, bâtiments, rues, infrastructures, etc. pour obtenir un meilleur fonctionnement et améliorer les rapports sociaux. L'urbanisme doit s'adresser aux inégalités d'accès car il construit notre environnement de vie, mais aussi au sentiment de légitimité à être dans des villes qui sont à la fois de formidables machines à inclure mais aussi à exclure. C'est à la fois une discipline professionnelle et une action politique qui doit se saisir de cette question des exclusions pour préserver le vivre-ensemble.

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Comment l'inclusion se concrétise-t-elle dans l'urbanisme ?

Nous pouvons considérer deux échelles emboîtées de l'urbanisme inclusif : il y a l'urbanisme de planification et de grands projets qui doit répondre de manière inclusive aux besoins de chacun (logement, transport, éducation, etc.) et il y a un urbanisme ciblé sur des publics plus ou moins exclus en fonction de leur genre, leur origine, leur âge, leur handicap, etc, dont l'objectif est de faciliter l'accès aux ressources urbaines et le sentiment de légitimé notamment dans l'espace public. Concrètement, dans le cadre de l'aménagement du territoire, l'urbanisme inclusif peut prendre la forme d'actions qui facilitent l'accès au logement, aux équipements ou au transport pour toutes et tous. C'est, par exemple, l'obligation d'atteindre une proportion minimale de logements sociaux par communes (20% ou 25%) ou le Grand Paris Express, un projet de réseau de transport public, pensé pour rééquilibrer l'accès aux territoires.

Pour ce qui est de l'urbanisme « plus ciblé », il peut se matérialiser dans des lois contraignantes comme la mise en accessibilité des bâtiments pour les personnes à mobilité réduite (PMR). Il résulte surtout d'un changement de point de vue à l'image des approches genrées dans la production des espaces publics, des réflexions sur la ville à hauteur d'enfant ou sur une ville amie des aînées et qui s'engagent dans l'amélioration du bien-être des habitants âgés.

Et dans le Grand Paris en particulier ?

Il existe aussi des approches plus transversales, notamment en ce qui concerne l'accès au foncier, creuset des inégalités. Nous voyons se développer beaucoup d'organismes de fonciers solidaires qui permettent d'acheter du bâti pour le mettre à disposition de personnes aux ressources modestes ou d'activités à fort impact social.

Dans le Grand Paris, ces différentes approches sont déployées de façon éclatée. Comme toute métropole, elle concentre un fort taux d'inégalités mais offre aussi un grand nombre d'opportunités. Cette échelle est en effet pertinente pour réduire les inégalités d'accès à ces opportunités par des mécanismes de péréquation entre les territoires, un rééquilibrage géographique des fonctions, un maillage efficace des transports et une réflexion en termes de vie de proximité.

A quelles difficultés l'urbanisme inclusif est-il confronté et quels mécanismes permettent de le faciliter ?

Les freins principaux sont politiques et économiques. L'urbanisme est une discipline mais surtout un acte politique. Tout projet urbain s'appuie sur des autorisations réglementaires, des principes d'organisation et des orientations politiques plus ou moins négociées entre les acteurs de la fabrique de la ville. Mettre la question de l'inclusion comme horizon de la fabrique de la ville est une question de choix politique à tenir face, notamment, à la dimension économique. Trouver et faire de la place aux questions sociales et à celle de l'inclusion dans les équilibres économiques des projets urbains n'est pas toujours chose aisée. Toutefois, des leviers existent à l'image d'une commande publique qui peut jouer son rôle d'aiguillon de l'inclusion dans les projets et cadrer les ambitions en la matière. Encore faut-il que les acteurs publics soient en mesure de porter leurs intentions à ce sujet dans des projets de plus en plus multipartenaires.

Qu'en est-il du côté des entreprises ?

La RSE (responsabilité sociétale et environnementale des entreprises) peut jouer un rôle dans la prise en compte de certaines problématiques d'inclusion du côté des entreprises œuvrant dans la fabrique de la ville. Côté organismes de financement, nous voyons apparaître des « prêts à impact » du côté des établissements bancaires sur des projets urbains à côté des organismes investisseurs comme la Banque des territoires qui soutiennent des projets à impact social avec retour sur investissement.

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Toujours est-il que l'urbanisme inclusif n'est pas l'outil magique qui fera disparaître l'exclusion et les inégalités. Nous le voyons bien avec les récentes émeutes qui ont en partie pris naissance dans des quartiers largement transformés. Certes, les rénovations urbaines ont des effets positifs mais elles ne suffisent pas à éradiquer les mécanismes de production et de concentration des inégalités sociales. Les politiques de la ville ne peuvent pas se limiter à l'enveloppe urbaine ; il faut aussi travailler sur l'accès à l'emploi, à l'éducation, aux loisirs, à la citoyenneté... à changer le regard sur soi-même et sur les autres et à ouvrir des perspectives pour toutes et tous. Nous sommes alors au-delà de l'urbanisme...

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