
La missive est arrivée sur le bureau du ministre du Logement fin août-début septembre et a pour objet « la disparition du prêt à taux zéro (PTZ) dans le cadre de l'acquisition d'une maison individuelle ». Dans ce courrier que La Tribune a pu consulter, le président-fondateur de Maisons Pierre (172 millions d'euros chiffre d'affaires, 300 salariés, 39 ans d'existence) interpelle le ministre du Logement Patrice Vergriete sur une décision prise par la Première ministre en juin dernier. Lors de la restitution du Conseil national de la refondation (CNR) dédié au logement, Elisabeth Borne a en effet annoncé le recentrage du PTZ sur l'achat d'un bien neuf dans l'immobilier collectif et sur l'acquisition d'un habitat ancien sous réserve de le rénover, et ce en zone tendue, c'est-à-dire où la demande excède largement l'offre disponible.
Alors que les finances publiques sont tendues et qu'il faut financer la planification écologique, le gouvernement entend économiser 2,3 milliards d'euros à terme.
Des primo-accédants bénéficiant à 55% de PTZ
Selon toute vraisemblance, cette double disposition a été inscrite dans le projet de loi de finances 2024, qui sera présenté en Conseil des ministres le 27 septembre. Avant que ce texte n'arrive au Parlement, Pierre Jude président-fondateur des Maisons Pierre, a également écrit aux députés Les Républicains, Rassemblement national et Renaissance pour les « alerter sur la situation des entreprises de construction sur le territoire national ».
« Notre clientèle est jusqu'à présent composée essentiellement de primo-accédants bénéficiant à 55% de prêts à taux zéro (PTZ). Le marché de la construction est en chute d'environ 40% depuis le début de l'année. Depuis les mois de juin et juillet, cette baisse s'est accentuée pour passer aux environs de moins 45%. Cette situation devient extrêmement préoccupante pour le devenir de ma société et celles des professions du bâtiment », y souligne le président-fondateur de Maisons Pierre.
Selon les calculs de Pierre Jude, si un particulier souscrit aujourd'hui un emprunt bancaire sur 25 ans de 180.747 euros sur la base d'un taux d'intérêt à 4% avec un apport de 15.000 euros, il peut bénéficier d'un crédit immobilier de 244.793 euros. En revanche, grâce au PTZ, il peut toucher 102.000 euros supplémentaires, réhaussant potentiellement son projet à 297.747 euros, soit 52.954 euros de plus.
75% des Français rêvent encore de vivre en maison individuelle
Une démonstration qui a permis au constructeur de maisons individuelles (94 à 170 m² pour un panier moyen de 180.000 euros) de recevoir une dizaine de réponses, dont celle du président des LR. Selon nos informations, Éric Ciotti, député des Alpes-Maritimes, se serait engagé à contacter le ministre du Logement Patrice Vergriete en ce sens.
D'autant que de 75% des Français rêvent encore de vivre dans ce type d'habitat. Aux dires des spécialistes, pour un budget moyen de 290.000 euros, un particulier peut en effet s'offrir une maison neuve de 110-120 m² contre un appartement neuf de 60 m² dans l'immobilier collectif.
Sauf qu'entre une inflation galopante et des taux d'intérêt toujours plus élevés, les professionnels ne cessent de communiquer sur des résultats en berne. Selon la Fédération française du bâtiment (FFB), les permis et les mises en chantier dans le logement individuel neuf ont ainsi « plongé » de 33,4% et de 21% entre janvier et juillet 2023, comparé à la même période en 2022. Soit 8,9 points et 7,9 points de plus que dans le logement collectif.
« On nous interdit de construire des maisons individuelles. Si c'est un choix politique, il faut le dire... pour ne pas passer pour des couillons auprès des Français ! », s'est exclamé, le 13 septembre, Olivier Salleron, président de la FFB.
Des perspectives guères réjouissantes pour le secteur
Le pôle Habitat de la Fédération du Bâtiment a donc demandé au gouvernement, le 21 septembre, à « maintenir l'éligibilité de la maison individuelle au PTZ, à appliquer partout en France la quotité de 40% et à actualiser de l'ordre de 25% les plafonds de ressources de ménages éligibles comme le montant plafond des opérations ».
Car d'ici à la fin de l'année, les perspectives ne sont guère réjouissantes pour le secteur.
« Nous sommes désormais sur un rythme de 105.000 maisons mais avec des perspectives de baisses très importantes : -22% de permis de construire, -40% de financements et donc des ouvertures de chantier en recul entre -35% et -40%. Nous allons donc en 2024 enfoncer un point bas historique sur une très longue durée », pointe Damien Hereng, président de la fédération française des constructeurs de maisons individuelles (FFCMI).
30 à 40% des acteurs pourraient jeter l'éponge d'ici à fin 2023
De sources concordantes, sur les 2.000 parties prenantes de la maison individuelles, 700 devraient avoir jeté l'éponge d'ici à la fin de l'année. Soit 30 à 40% des acteurs ! « Un confrère, qui construit 150 maisons par an, a arrêté la commercialisation, s'est séparé de ses commerciaux, finit ses chantiers et verra en fonction du marché », illustre Pierre Jude dont deux franchises ont déjà fait faillite...
Les parties prenantes n'ont pas non plus oublié la liquidation judiciaire de Geoxia, le constructeur des maisons Phénix, Familiale ou Castor, prononcée dès juin 2022 par le tribunal de commerce de Nanterre. Les uns racontent que ce dernier perdait de l'argent depuis une dizaine d'années, les autres l'imputent à un modèle économique fondé sur l'industrialisation des procédés de fabrication.
« A la différence des autres constructeurs qui ont recours à la sous-traitance, Geoxia avait ses propres ouvriers et produisait lui-même ses murs et ses armatures métalliques, des techniques de construction qu'il était le seul à utiliser », relève ainsi un de ses concurrents.
Une situation qui ne va pas s'arranger avec le ZAN
La situation n'est pas près de s'arranger alors que la France se dirige vers le zéro artificialisation nette (ZAN) des sols à horizon 2050, qui risque d'accroître la rareté du foncier et surtout d'augmenter les prix des terrains disponibles.
« Le ZAN ne signifie pas la fin de la maison individuelle mais ces dix dernières années, 51% de l'artificialisation a été le fait de lotissements de 8 logements par hectare », a martelé, le 22 septembre, le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Christophe Béchu, aux maires des grandes villes et présidents de métropoles. Et d'ajouter que « les logements les plus vertueux en termes de densité, ce sont les logements sociaux ».
Des propos qui résonnent avec ceux prononcés par l'ancienne ministre du Logement, Emmanuelle Wargon en octobre 2021 : le modèle du pavillon avec jardin n'est « plus soutenable » et mène à « une impasse ». Il s'agit « un fonctionnement urbain dépendant de plus en plus de la voiture individuelle », d'« un modèle derrière nous » et même d'« un non-sens écologique, économique et social », avait-elle encore asséné en clôture de la concertation portant sur « Habiter la ville de demain ».
A l'époque, la Fédération française des constructeurs de maisons individuelles revendiquait 125.000 habitats vendus en 2021, tandis que que le pôle habitat de la Fédération française du bâtiment avançait un chiffre de 138.000 maisons vendues de fin août 2020 à fin août 2021. C'est plus du double des 60.000 ventes estimées à fin 2023...
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