Quinze milliards d'euros pour la filière industrielle aéronautique. C'est beaucoup, mais c'est surtout un magnifique trompe l'œil : 7 milliards d'euros pour Air France déjà annoncés qui ne sont finalement que des prêts garantis avec contreparties (à rembourser in fine en principe), 832 millions de commandes publiques militaires et parapubliques simplement accélérées, 3,5 milliards d'euros de garantie export à rembourser plus tard par les compagnies aériennes...
Certes, ce sont des avances de trésorerie importantes pour les entreprises du secteur, y compris les compagnies aériennes, mais voici ce que met vraiment l'État en argent frais pour sauver l'industrie aéronautique française : 200 millions d'euros pour le fonds d'investissement, 300 millions sur trois ans dans un fonds pour rattraper le retard des PME du secteur en matière de numérisation et de robotisation, 1,5 milliard d'euros sur trois ans pour l'innovation ainsi que des mesures transverses pour sauvegarder l'emploi (chômage partiel entre autres) à négocier encore avec la ministre du Travail, Muriel Pénicaud.
Un plan pour sauver des emplois rares
L'aéronautique en France, c'est 1.300 entreprises industrielles, 300.000 emplois directs et indirects, dont 35.000 ingénieurs et 58 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2018. C'est également une balance commerciale positive de 34 milliards d'euros. "La crise du secteur aéronautique a été d'une brutalité terrible pour les entreprises et la reprise sera au mieux progressive, plus probablement très lente", a rappelé le ministre de l'Économie Bruno Le Maire. Airbus n'a pas eu d'autre choix que de réduire de 35% à 40% ses cadences de production de ses principaux programmes".
"Cette crise ne doit pas pour autant mettre en péril le savoir-faire de cette industrie d'excellence ni impacter ses capacités de rebond", a-t-il assuré.
"Sans aucune aide publique, ce sont 100.000 emplois qui seraient menacés dans les six mois", a expliqué Bruno Le Maire. Ainsi, les aides apportées par l'État permettront aux quatre grands maîtres d'œuvre, qui s'y sont engagés, de préserver au maximum les emplois en France. Le ministre a toutefois préparé les esprits à un redimensionnement de l'emploi dans l'aéronautique : "Soyons lucides, il y aura des ajustements nécessaires, mais ils doivent se faire dans toute la mesure du possible sans départ contraint".
Pour sauver le plus d'emplois possibles en attendant la reprise du trafic aérien puis des livraisons d'avions, cela passe par du chômage partiel de longue durée qui permettra "d'éviter les licenciements et la perte de savoir-faire, a reconnu Bruno Le Maire. Notre objectif est d'éviter tout départ contraint d'employés hautement qualifiés durant les prochaines années. La chute des commandes ne doit pas détruire des compétences construites depuis des décennies". Dans ce cadre, la ministre du Travail négocie les modalités de ces dispositifs d'activité partielle avec les partenaires sociaux à la demande du président de la République. Elle précisera les contours de ce dispositif dans les prochaines semaines. Au sein du secteur de fabrication de matériel de transport hors industries automobiles, qui inclut la filière aéronautique, 651 sites industriels ont déjà demandé l'autorisation à mettre en place l'activité partielle depuis le 1er mars, pour quelques 110.000 salariés.
Le principe d'une chaîne d'assemblage A321 à Toulouse est réaffirmé
Enfin, Bruno Le Maire a rassuré les salariés d'Airbus de Toulouse en indiquant que le principe d'une chaîne d'assemblage A321 à Toulouse ne devait pas être remis en cause. Annoncée en début d'année, cette nouvelle chaîne d'assemblage, dont le démarrage était prévu en 2022, a été suspendue en avril à cause de la crise.
Développer un avion vert
Pour la ministre de la transition écologique, Elisabeth Borne, la philosophie du plan est "de protéger le secteur aéronautique et d'accélérer sa transformation écologique pour en faire un leader mondial de l'aviation zéro carbone". L'objectif est d'arriver, dit-elle, à "un avion neutre en carbone en 2035 au lieu de 2050". L'idée est de "préparer le successeur de l'A320 avec un avion permettant un gain de 30% de la consommation de carburant, puis permettant le passage à l'hydrogène comme énergie primaire", explique Bercy. Cet appareil pourrait entrer en service entre 2033 et 2035, avec un premier démonstrateur entre 2026 et 2028, a précisé Elisabeth Borne, en ajoutant qu'un avion régional hybride pourrait voir le jour d'ici à la fin de la décennie.
Pour atteindre ces objectifs, le Corac, le conseil pour la recherche aéronautique civile, recevra un soutien de 1,5 milliard d'euros sur trois ans (1,1 milliard d'euros provenant de l'Etat et 400 millions d'euros de fonds européens). "Dès 2020, le budget du Corac passera de 135 millions de soutien à la R&D initialement prévu à 300 millions d'euros, puis 660 en 2021 et 2022 pour développer des technologies de rupture vers l'avion zéro carbone", a expliqué Elisabeth Borne.
En outre, un fonds d'accompagnement entièrement financé par l'Etat visera à accélérer la digitalisation et la robotisation des PME. Ce fonds sera doté de 300 millions d'euros.
Un fonds d'investissement encore en stand-by
Par ailleurs, le gouvernement et les quatre grands de l'aéronautique française (Airbus, Dassault Aviation, Safran et Thales) comptent réunir 1 milliard d'euros un fonds de soutien dédié à l'aéronautique mais ce fonds ne devrait être lancé qu'avec une mise de départ estimée de 500 millions d'euros. Soit 200 millions apportés par les quatre industriels (Airbus à hauteur de 116 millions d'euros, Safran 58 millions, Dassault 13 millions et Thales 13 millions), 200 millions par l'État (Bpifrance) et 100 millions pour le gestionnaire de fonds, qui reste à sélectionner après appel d'offres. Ce fonds devrait être opérationnel dès l'été 2020 afin de pouvoir pallier le risque de défaillances à court terme et prendre des participations majoritaires si nécessaire.
"L'objectif est de déployer un montant total à terme de 1 milliard d'euros (en dette et en fonds propres) au profit de la filière au travers de cet instrument, avec une première levée de fonds de 500 millions en capital mobilisable dès le mois de juillet", explique le ministère de l'Économie.
Ce fonds est un outil de soutien en fonds propres pour préserver les savoir-faire critiques et améliorer la compétitivité des PME et ETI. L'État et la filière vont ainsi mettre en place de nouveaux instruments de financements en fonds propres et quasi fonds propres à destination des PME et ETI de la filière aéronautique française pour les renforcer et les accompagner par fusion, acquisition, réorganisation, ou refinancement et restructuration de bilan.
La défense en soutien du secteur aéronautique
Il avait été très tôt question que le ministère des Armées, via la commande publique, vienne en soutien à la filière industrielle aéronautique, dont la plupart des entreprises sont duales (civil et militaire). C'est le cas. Mais de façon modeste. L'État va avancer pour 832 millions d'euros de commandes des armées dans le cadre de la loi de programmation militaire (LPM) et de la gendarmerie. Clairement, ce ne sont pas de nouvelles commandes en plus mais leur rythme en est simplement accéléré pour aider les entreprises à passer le cap de cette crise. C'est d'ailleurs beaucoup moins que le plan Fillon en 2008 (1,62 milliard d'euros) alors que la crise à l'époque avait été moins brutale et d'une ampleur moins profonde. Heureusement, la LPM actuelle, qui court entre 2019-2025, consacre 38 milliards d'euros environ à l'aéronautique militaire pour l'achat (19 milliards) et le Maintien en condition opérationnelle (MCO) des aéronefs des armées françaises. Ce qui permettra à son industrie d'amortir en partie cette crise.
"Nous avons dégagé des marges de manœuvres pour avancer des commandes qui étaient prévues ultérieurement dans la programmation militaire", a confirmé la ministre des Armées, Florence Parly.
Concrètement, le ministère des Armées anticipe la commande de trois avions ravitailleur multi-rôle A330 MRTT Phénix (Airbus), qui seront livrés après 2025, de huit hélicoptères H225M Caracal (Airbus Helicopters) livrés à partir de 2023, d'un ALSR, un avion léger de surveillance et de renseignement (Sabena Technics, Thales avec la contribution de nombreuses PME et ETI) et, enfin, de drones de surveillance navals (Guimbal, Naval Group et Airbus Helicopters). Ces 600 millions de commandes, dont plus de 100 millions pour l'ALSR et les drones, vont permettre de maintenir 265 emplois sur deux ans et 960 sur trois ans (Caracal). Enfin, la gendarmerie va également anticiper la commande de deux H145 nouvelle génération (32 millions d'euros) pour compenser partiellement la perte de 4 appareils à la suite d'accidents, et de dix H160 pour un coût total de 200 millions d'euros en vue de renouveler une partie des 26 AS-350 Ecureuil de la gendarmerie par des appareils plus polyvalents. Ces 12 hélicoptères commandés préserveront l'équivalent de 640 emplois pendant trois ans.
Des aides au financement des avions
Last but not least. Alors que les compagnies aériennes sont en grande difficulté financière, l'État veut éviter des annulations de commandes ou des reports de livraisons d'avions, qui mettrait à mal la production d'Airbus déjà réduite d'un tiers. Pour cela, l'État français va accroître le soutien de Bpifrance Assurance Export pour le financement des avions.
"Ce soutien, en coordination avec nos partenaires britannique, l'assureur-crédit UKEF, et allemand, l'assureur-crédit Euleur-Hermes, va permettre à ces différentes livraisons (et donc aux paiements afférents au bénéfice de l'industriel) d'intervenir au cours de l'année 2020", explique Bercy.
L'État va par ailleurs autoriser les compagnies de reporter de douze mois les remboursements de leurs crédits à l'export. Les échéances reportées sont ensuite remboursables sur les trois années suivantes.
"Cela représente un gain de trésorerie de 1,5 milliard d'euros pour les compagnies", a expliqué Bruno Le Maire.
Ce dernier a précisé que la France a proposé à la Commission européenne de porter au sein de l'OCDE un assouplissement temporairement des modalités de remboursement des nouveaux achats d'avions Airbus. Les compagnies pourront attendre jusqu'à 18 mois avant de commencer à rembourser leur crédit à l'export au lieu des 6 mois habituels", a expliqué le Ministre des Finances, précisant que cela "représente un effort d'au moins 2 milliards d'euros".
Si elles sont utiles pour soutenir les commandes passées pour le renouvellement des flottes (un tiers du carnet de commandes d'Airbus), elles le seront moins pour les commandes d'avions pour croître dans la mesure où le trafic devrait être en deçà de son niveau de 2019 pendant plusieurs années. Reste à savoir néanmoins si les compagnies maintiendront leurs commandes de renouvellement même avec de telles aides. La faiblesse du prix du baril de pétrole peut en effet les pousser à conserver leurs appareils plus longtemps que prévu.
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