
LA TRIBUNE DIMANCHE - Un demi-siècle après le premier pas de l'Homme sur la Lune, pourquoi y retourner?
CLAUDIE HAIGNERÉ - Nous allons retourner sur la Lune cette fois pour y installer des infrastructures permanentes, apprendre à vivre, travailler, pour ouvrir la voie de l'exploration habitée vers des destinations encore plus lointaines et notamment Mars.
À quoi ressembleront ces habitats lunaires ?
Il faut des écosystèmes adaptés à un environnement très hostile et le moins dépendant possible des ressources venues de la Terre parce que bien évidemment nous ne pouvons pas envoyer des cargos de fret toutes les semaines pour ravitailler les équipages. Nous apprendrons à utiliser les ressources in situ comme les glaces d'eau et le régolithe (poussière lunaire, ndlr). Ce dernier contient une bonne part d'oxygène qui peut être utilisé pour les support-vie des habitats lunaires et il sera un matériau utile. Dans les glaces d'eau présentes au pôle sud lunaire, on pourra extraire de l'oxygène et aussi de l'hydrogène qui pourraient être utilisés comme carburant. Avoir du carburant à disposition ailleurs que sur la Terre, permet de reconsidérer aussi la circulation et les services en orbite et change complètement le paradigme de l'utilisation de l'espace.
Quel impact en attendre sur Terre ?
Sur la Lune, il faudra gérer au mieux les quelques ressources disponibles en quantité finie dans un environnement fragile. Cela nous rappelle cette gestion de la finitude des ressources sur Terre. Les écosystèmes lunaires prônant une gestion parcimonieuse et innovante des matériaux, de l'énergie, des déchets et de l'eau, les nouvelles formes d'agriculture, le suivi médical en isolement, l'interaction avec les robots et l'intelligence artificielle... sont autant de technologies qui seront utiles sur Terre. L'espace dit « utile » en orbite basse est un pilier indispensable à notre économie, à notre sécurité, à notre connaissance de la terre. L'exploration spatiale plus lointaine sera elle aussi source de découverte et d'innovation « utiles » à notre planète. Elle ouvre aussi la voie inspirante vers de nouvelles destinations.
Cette nouvelle conquête de la Lune se profile dans un contexte mondial inédit....
Cette fois, il ne s'agit plus d'une course entre les Etats-Unis et l'Union soviétique mais un nouveau duopole de puissances spatiales a émergé entre les USA autour du programme Artemis et les ambitions de la Chine, chacun développant son projet en coopération avec des partenaires différents, et définissant ses propres principes d'action. L'autre différence est le rôle joué par les entreprises privées, à la fois comme fournisseur de services aux agences et comme initiateur de leurs propres projets et visions. La société d'Elon Musk SpaceX sera mobilisée pour le transport d'équipage et de charge utile avec la possibilité de mettre des dizaines de tonnes de fret en orbite ou en surface de la lune avec l'extraordinaire lanceur Starship. Jeff Bezos est de son côté bien parti avec Blue Origin pour la construction d'un alunisseur contribuant au développement des infrastructures en surface. L'exploration spatiale lunaire s'accompagne potentiellement d'une économie lunaire attractive pour les entreprises spatiales et non spatiales. L'Europe compte bien y trouver sa place géopolitique, économique et scientifique, et l'on ressent cette attente parmi nos jeunes talents.
Quid justement du rôle de l'Europe ?
Au conseil de l'ESA en 2022, Emmanuel Macron avait demandé, lors de la présidence française du conseil de l'UE, une réflexion sur l'ambition européenne en matière d'exploration. Le rapport « Revolution Space » rédigé par un groupe indépendant avait préconisé de relever le niveau d'ambition, d'agir vite et d'agir autrement, avec la volonté pour l'Europe de devenir un partenaire incontournable et pas seulement fiable et reconnu pour son expertise. Ambition européenne au service de la souveraineté, de l'autonomie, de la diplomatie, de la contribution industrielle à une économie en devenir, de l'attractivité de la recherche et de l'innovation technologique ainsi que de la considérable capacité d'inspiration incarnée par les astronautes pour la jeune génération. Le ESA Space Summit de Séville le 6 novembre, a tout juste initié la feuille de route, un premier pas très bienvenu. Je reste impatiente de voir le premier ou la première astronaute européen sur la Lune (mon rêve d'enfant incomplètement satisfait).
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