Pratiques anticoncurrentielles : amende confirmée en appel pour les quatre principaux émetteurs de titres-restaurant (Edenred France, Up, Natixis Intertitres et Sodexo Pass France)

Les plus gros émetteurs de titres-restaurant devront bien régler une amende totale de plusieurs centaines de millions d'euros pour pratiques anti-concurrentielles. La Cour d'appel de Paris vient de confirmer la décision de l'Autorité de la concurrence. Certains restaurateurs estiment que ces pratiques ont permis aux sociétés de maintenir des taux de commissions élevés et réclament une compensation.
En 2019, plusieurs syndicats ainsi que la société Octoplus, qui émet des titres resto uniquement sur mobile, ont saisi l'Autorité de la concurrence pour dénoncer les pratiques anticoncurrentielles dans le secteur.
En 2019, plusieurs syndicats ainsi que la société Octoplus, qui émet des titres resto uniquement sur mobile, ont saisi l'Autorité de la concurrence pour dénoncer les pratiques anticoncurrentielles dans le secteur. (Crédits : Yves Forestier)

La Cour d'appel de Paris vient de rendre ce jeudi 16 novembre sa décision dans l'affaire des pratiques anticoncurrentielles du secteur des titres-restaurant. Les quatre sociétés historiques émettrices de ces titres, Edenred France, Up, Natixis Intertitres et Sodexo Pass France, devront bien s'acquitter de leurs amendes attribuées en 2019. Initialement de 415 millions d'euros, le montant total sera toutefois moins élevé. « La cour d'appel de Paris confirme les sanctions pécuniaires infligées par l'Autorité de la concurrence, sauf à l'égard d'un émetteur pour lequel leur montant a été réduit en raison de difficultés financières affectant sa faculté contributive», explique la Cour d'appel dans un communiqué, sans préciser toutefois le nom de cet émetteur.

Pour rappel, plusieurs syndicats ainsi que la société Octoplus, qui émet des titres-resto uniquement sur mobile, ont saisi il y a quelques années l'Autorité de la concurrence pour dénoncer les pratiques anticoncurrentielles dans le secteur. Des sanctions ont ainsi été infligés en 2019 aux quatre sociétés historiques, ainsi qu'à la Centrale de Règlement des Titres (CRT - démantelée en février 2023) qui s'occupait à l'époque du « traitement » et du « remboursement des titres-restaurant auprès de leurs clients », précise l'autorité de la concurrence. Ces sociétés avaient alors déposé des recours pour contester cette décision.

« Par un arrêt rendu ce jour, la cour d'appel de Paris rejette, pour l'essentiel, les recours formés par les principaux émetteurs de titres restaurant en France, ainsi que leur organisme commun, contre une décision du 17 décembre 2019, par laquelle l'Autorité de la concurrence les avait sanctionnés pour avoir participé à des pratiques d'entente, prohibées par les règles nationales et européennes de la concurrence », indique ainsi la Cour d'appel.

Edenred conteste cette décision et envisage de se pourvoir en cassation. Même son de cloche pour l'émetteur Sodexo, affirme l'AFP.

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Restriction de la concurrence

Ces sociétés sont donc accusées d'avoir mis en place une entente, c'est-à-dire un accord qui a pour but de restreindre le jeu de la concurrence dans un secteur. Dans le détail, entre 2010 et 2015, les sociétés auraient échangé chaque mois, au travers de la CRT, « des informations commerciales confidentielles portant sur leurs parts de marchés respectives », explique l'Autorité de la concurrence.

Mais ce n'est pas tout. Entre 2002 et 2018, les sociétés du secteur auraient également adopté plusieurs accords dans le but de restreindre l'entrée de nouveaux acteurs sur le marché. Elles se seraient également donné le mot pour ne pas se lancer dans les titres dématérialisés, c'est-à-dire par carte ou sur les applications. Ce qui pourrait expliquer le retard de la France dans le développement des titres-restaurant dématérialisé comparé à ses voisins européens.

« Ces pratiques, qui visent à verrouiller le marché, alors que la concurrence est déjà restreinte par son caractère oligopolistique fortement concentré, sont jugées d'une gravité certaine », souligne la juridiction dans son communiqué.

Un marché concentré

Ce n'est pas la première fois que le secteur se fait remonter les bretelles par l'Autorité de la concurrence. Au début des années 2000, Edenred (à l'époque Accor), Sodexo Pass France (Sodhexo Chèques et Cartes de services), Up (Chèque-déjeuner) ainsi que la CRT avaient été sanctionnés pour « s'être partagés le marché des titres-restaurant et avoir fixé de manière uniforme le taux de commission demandé aux restaurateurs », a rappelé l'administration.

Il faut dire que le marché des titres-restaurant, qui représente à lui seul plus de 8 milliards d'euros en 2022, est concentré. Les quatre acteurs historiques raflent aujourd'hui plus de 99% de parts de marchés. Ce qui laisse un peu moins de 1% aux nouveaux entrants, comme Open ou encore WiiSmile. Les entreprises présentes depuis de nombreuses années bénéficient également d'effet de réseaux et d'économies d'échelle, note l'autorité administrative française. Un avis qui n'est pas partagé par Ilan Ouanounou, le directeur général France d'Edenred. Selon lui, « il n'y a pas beaucoup de marchés où se retrouvent 13 émetteurs dont quatre gros opérateurs ».

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Les restaurateurs et commerçants mécontents

C'est dans ce contexte que les restaurateurs demandent réparation. Car certains estiment que si les entreprises du secteur ont violé les règles de la concurrence, elles ont pu en profiter pour augmenter et maintenir des taux de commission élevés. « Dès lors que le marché est vicié, la loi de l'offre et de la demande qui aurait fait baisser les commissions ne peut pas marcher», dénonce Romain Vidal, restaurateur et référent au titres-restaurant du groupement des Hôtelleries & Restaurations de France (GHR). D'autant que, d'après lui, les nouveaux émetteurs proposent des taux de commissions très bas, voire à 0% pour certains.

Et comme la cour d'appel confirme qu'il y a bien eu entente, « il peut enfin y avoir des actions collectives ou individuelles pour demander des dédommagements sur préjudice constaté », complète Romain Vidal. À ce jour, plusieurs actions collectives existent comme celle de TransAtlantis. Selon cette dernière, les indemnisations pourraient atteindre des milliers, voire des dizaines de milliers d'euros pour chaque commerçant.

De son côté, le directeur général d'Edenred affirme que l'Autorité de la concurrence n'a pas conclu à une entente sur les prix. « De ce fait, aucun préjudice sur les commissions n'a été engendré auprès des restaurants », conclut-il.

C'est un sujet davantage symbolique qu'économique, estime-t-il. « En moyenne, les titres-restaurant représentent 2.350 euros de chiffre d'affaires additionnel par établissement. Une commission de 4% équivaut dès lors à la somme de 95 euros par mois », argue-t-il et d'assurer : « Notre but c'est d'apporter le maximum de chiffre d'affaires aux restaurateurs en allant démarcher de nouvelles entreprises ».

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Le gouvernement sur le pont

Le gouvernement s'est penché, lui aussi, sur la question. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et du numérique a, lui aussi, saisi en octobre l'Autorité de la concurrence, avec dans l'idée de plafonner les commissions des sociétés de titres-restaurant. Mais selon l'autorité, cette réponse n'est pas la plus efficace.

À la place, elle propose d'« instaurer une régulation adaptée du secteur » ou encore de mettre un terme «  au droit exclusif de chaque émetteur sur l'acceptation des titres qu'il émet », c'est-à-dire de permettre aux commerçants et restaurateurs de remettre tous ses titres à la société émettrice de son choix.

Elle recommande également de rendre obligatoire la dématérialisation de ces titres. Chose faite puisque Olivia Grégoire, la ministre déléguée chargée des Petites et Moyennes Entreprises, du Commerce, de l'Artisanat et du Tourisme, a annoncé le lundi 2 octobre, que les titres devront être complètement dématérialisés avant 2026. Une mesure qui permettra de faire baisser la lourdeur administrative ainsi que le coût supplémentaire supporté par les restaurateurs.

Faire ses courses avec les titres-restaurant, est-ce bientôt fini ?

Les titres-restaurant, financés à hauteur de 50 à 60% par les employeurs, peuvent être utilisés pour faire ses courses, du lundi au samedi. Mais à partir de janvier 2024, c'est fini. Ils ne serviront qu'à payer des aliments à consommer directement comme des sandwichs ou des plats cuisinés. Il ne sera donc plus possible d'acheter des légumes, du riz, ou encore de la viande avec ses titres.

Cette mesure mise en place pendant la crise sanitaire pour donner un coup de pouce aux portefeuilles des Français peut encore être modifiée. Le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, s'est dit « favorable » mardi 14 novembre, à une prolongation au-delà de 2023 :

« Je suis favorable à ce que nous prolongions au-delà du 31 décembre 2023 cette disposition permettant d'utiliser les titres restaurant pour acheter des produits alimentaires », a ainsi déclaré le locataire de Bercy, devant la commission des Affaires économiques du Sénat.

Une mauvaise nouvelle cependant pour l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (Umih). Selon elle, ce sont des dépenses en moins effectués dans les établissements au profit des supermarchés. Car aujourd'hui, « le titre resto n'est dépensé qu'à 43% dans les restaurants, et le reste pour faire ses courses », commente Franck Chaumes, le président de la branche restauration de l'organisation.

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Commentaires 3
à écrit le 17/11/2023 à 8:38
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Bah, le secteur titanesque agro-industriel et son obscurantisme décomplexé mais ce n'est pas pour rien, depuis le temps que les politiciens leurs déroulent le tapis rouge !

à écrit le 16/11/2023 à 22:53
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A l’instar des cheminots - qui voient leurs avantages billets de trains gratuits fiscalisés et soumis à cotisation sociale comme si c était du salaire, j espère que les urssaf réclame aux sociétés privées - comme cela l a été demandé à la sncf- la l...

à écrit le 16/11/2023 à 22:53
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A l’instar des cheminots - qui voient leurs avantages billets de trains gratuits fiscalisés et soumis à cotisation sociale comme si c était du salaire, j espère que les urssaf réclame aux sociétés privées - comme cela l a été demandé à la sncf- la l...

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