Elena Sorlini (Abu Dhabi Airports) : « Nous avons doublé la capacité totale de l'aéroport »

ENTRETIEN. Tout juste confirmée dans ses fonctions de directrice générale des aéroports d'Abu Dhabi, après quelques mois d'intérim, Elena Sorlini accorde un entretien à La Tribune. Désormais dotée d'un terminal flambant neuf, contrastant avec les installations obsolètes en service jusqu'en novembre dernier, et pouvant s'appuyer sur une compagnie Etihad Airways revigorée, elle affiche ses ambitions dans un Moyen-Orient en plein développement.
Léo Barnier
Avec son nouveau terminal, l'aéroport Zayed d'Abu Dhabi peut accueillir 45 millions de passagers.
Avec son nouveau terminal, l'aéroport Zayed d'Abu Dhabi peut accueillir 45 millions de passagers. (Crédits : Abu Dhabi Airports)

LA TRIBUNE - Quels sont les principaux apports de votre nouveau terminal  aéroportuaire ?

ELENA SORLINI- Nous utilisions un terminal très obsolète dans la partie sud (désormais fermé, NDLR) où nous ne pouvions pas offrir le niveau de service souhaité à nos passagers. L'infrastructure était clairement un gros problème, avec des installations obsolètes en termes de points de restauration et de boissons, de toilettes, ou de distance à parcourir à pied pour atteindre certaines portes d'embarquement. Nous disposons désormais d'un terminal absolument magnifique.

C'est une infrastructure incroyable. Elle a été construite dans un souci d'efficacité, de sorte qu'en dépit de son immensité (742.000 m²), le passager peut accéder facilement du hall des départs, à l'immigration, puis à la sécurité et au processeur central, au cœur du côté piste, où se trouvent tous les magasins, les commodités et les points de vente de nourriture et de boissons. Il est très intuitif de se rendre à la porte d'embarquement, avec un trajet maximal de 9 minutes à pied, sans utiliser d'autres moyens, comme les bus ou les trains qui rendent le voyage assez inconfortable.

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Avec ce nouveau terminal, l'aéroport change de dimension. Quels sont vos objectifs pour 2024 ?

Nous avons doublé la capacité totale de l'aéroport, à 45 millions de passagers annuels, et cela a immédiatement déclenché une importante croissance du trafic. C'est un signal clair que la capacité du terminal sud était une contrainte et que nous pouvons accueillir plus de compagnies aériennes et plus de passagers.

L'aéroport international Zayed a accueilli 22,5 millions de passagers en 2023, soit une croissance de 44,5 % par rapport à l'année précédente, et un niveau un peu supérieur à celui de 2019. Pour 2024, nous visons 27 millions de passagers et, pour l'instant, cela avance bien. Nous sommes légèrement au-dessus de nos objectifs, avec une hausse de 38% sur les deux premiers mois de l'année par rapport à 2023, même si la croissance va ralentir par la suite.

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Qu'en est-il de votre rentabilité ?

En règle générale, nous ne divulguons pas de données financières, mais nous sommes satisfaits. L'ouverture du terminal produit des résultats nettement supérieurs aux attentes. Il y a une augmentation substantielle de notre base de coûts d'exploitation, car il s'agit d'une installation beaucoup plus grande. Mais, dans le même temps, nous avons environ 35.000 m² de commerces et de restauration, de nouveaux services et de nouveaux parkings. Et la croissance du trafic est vraiment bénéfique pour le chiffre d'affaires.

Terminal A - Etihad - Abu Dhabi Airports

Restructurée, Etihad sera le principal moteur de la croissance de l'aéroport. (Crédit : Abu Dhabi Airports)

Vous avez donc deux fois plus de capacité que de passagers. Quels sont vos relais de croissance pour doubler votre trafic et à quelle échéance ?

Nous avons un objectif d'environ 40 millions de passagers d'ici à 2030. Peut-être même plus. Etihad Airways est, bien sûr, le principal moteur de croissance. La compagnie (dont elle était administratrice jusqu'en février, NDLR) a connu une importante restructuration après le Covid. Elle est devenue plus petite, mais rentable. Elle a redimensionné son réseau, sa flotte et son organisation, et elle est maintenant sur la bonne voie pour croître à nouveau de manière rentable. Elle prévoit de doubler son trafic d'ici à 2030 (14 millions de passagers en 2023, Ndlr). Nous travaillons aussi avec les deux autres transporteurs nationaux, Wizz Air Abu Dhabi et Air Arabia Abu Dhabi. Ils sont également très ambitieux en termes d'objectifs de croissance.

Nous travaillons de manière très proactive afin d'attirer d'autres compagnies et de compléter la connectivité de nos transporteurs nationaux. Il se passe donc beaucoup de choses et notre nombre de compagnies aériennes est passé à 30 en février.

Nous essayons d'attirer des compagnies aériennes capables d'offrir de nouvelles destinations, ou de travailler en coopération avec nos transporteurs. Air France est un bon exemple. Nous avons réussi à la faire revenir à Zayed International l'an dernier. Elle s'en sort très bien et travaille en partage de code avec Etihad. Ils peuvent donc offrir un meilleur service sur la route vers Paris. Nous sommes donc très satisfaits du résultat.

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Vous espérez donc qu'Etihad multiplie ce genre d'initiative ?

Etihad a conclu le même type d'accord avec d'autres compagnies aériennes pour d'autres destinations. A court terme, la concurrence entre compagnies aériennes sur une même destination peut être une bonne chose pour nous en faisant baisser les prix et en augmentant le trafic. Mais c'est un peu artificiel. Par la suite, quelqu'un finira par se retirer de la destination et ce trafic sera perdu. Il est préférable que les compagnies aériennes travaillent ensemble et que le service s'améliore sur cette destination spécifique.

Généralement, les compagnies concurrentes placent leurs vols exactement à la même heure de la journée et cela devient un affrontement sur les prix. Le partenariat entre Air France et Etihad est structuré de telle manière qu'elles offrent leur service à différentes heures, ce qui le rend beaucoup plus attractif pour le passager avec plus d'options pendant la journée. Cela rend le projet bien meilleur et plus résilient, y compris du point de vue de l'aéroport. C'est une utilisation plus efficace de nos installations.

Quels marchés cherchez-vous à développer ? Avez-vous des priorités ?

L'accent est mis sur l'Europe. C'est un marché très important pour nous, avec environ 25% de notre trafic, mais aussi pour le tourisme à Abu Dhabi. Mais les prévisions de croissance pour le marché européen ne sont pas vraiment les plus élevées au monde. L'Inde va être, à coup sûr, un marché de premier plan avec des taux de croissance attendus impressionnants et toutes les commandes d'avions des transporteurs indiens. Le marché chinois est très important, même s'il est un peu en sommeil pour le moment. Le pays est confronté à des problèmes économiques qui ont un impact sur la demande, mais elle reviendra. Et les Chinois sont de très bons clients, en termes de volumes comme en termes de dépenses à l'aéroport. Nous travaillons donc pour les voir revenir très bientôt.

L'Afrique est le nouveau marché et il est certain que nous pourrions y avoir un avantage concurrentiel. Nous devons donc coopérer avec nos opérateurs nationaux pour accroître la connectivité, mais aussi avec les opérateurs africains pour qu'ils viennent davantage discuter avec nous.

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Les conséquences des tensions géopolitiques actuelles, comme l'interdiction de survol de la Russie pour les compagnies européennes, peuvent-elles vous conférer un avantage du fait de votre position géographique entre l'Europe et l'Asie ?

Il se passe beaucoup de choses sans que nous ayons vraiment vu d'impact sur le trafic. Néanmoins, c'est possible. Nous avons des taux de croissance assez élevés, avec un trafic et une connectivité qui trouvent le moyen de fonctionner malgré les problèmes. Et d'une certaine manière, nous avons peut-être eu quelques avantages en débloquant la connectivité entre l'est et l'ouest.

Entre le retour en force d'Emirates, les positions prises par Qatar Airways pendant la crise, les ambitions de Turkish Airlines ou la création de Riyadh Air, la compétition semble plus féroce que jamais au Moyen-Orient. Comment analysez-vous cette situation ?

La concurrence joue pour notre opérateur national et se répercute un peu à travers le système. Mais le Moyen-Orient est en plein essor. C'est un marché qui s'est redressé plus vite que beaucoup d'autres en termes de croissance post-Covid.

On me demande souvent ce que je pense du développement du tourisme et des nouveaux aéroports en Arabie saoudite. J'ai passé la plus grande partie de ma carrière en Europe et je n'ai jamais eu ce genre de questions, comme de savoir si l'essor de l'aéroport de Bruxelles nous faisait peur à Copenhague.

Si le système se développe et que le Moyen-Orient devient une destination populaire sur le plan touristique, l'ensemble du système en bénéficiera. C'est plus ou moins ce que nous vivons en ce moment, Emirates a retrouvé l'utilisation de ses capacités qu'elle avait en 2019. Qatar Airways a également progressé. Nous bénéficions d'un regain d'intérêt pour la région et cela profite à tous au-delà des frontières.

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La nature de votre trafic a-t-elle évolué par rapport à 2019 ?

Avant le Covid, Etihad couvrait environ 80% du trafic et le trafic en correspondance représentait environ 70% de l'activité de l'aéroport. Aujourd'hui, Etihad est descendue à 50% et 50% du trafic se fait en point-à-point. Cela reflète exactement la combinaison entre la nouvelle Etihad et les nouvelles compagnies aériennes, comme Wizz Air qui ouvre de nouveaux marchés avec ses tarifs à bas prix, en particulier en Europe centrale et orientale, ou Air Arabia qui est très bonne dans cette partie du monde. Le low cost est aussi très efficace sur le marché indien.

La hausse de notre part de marché point-à-point génère un trafic de qualité supérieure pour nous. C'est le segment le plus résilient et le plus lucratif, car ce sont les passagers qui dépensent le plus à l'aéroport, qui utilisent nos parkings, nos services de location de voitures, etc. Nous avons donc bien constaté un changement structurel et nous en tirons des bénéfices.

Vous venez juste de terminer votre nouveau terminal, mais avez-vous déjà identifié vos prochains développements ?

Nous travaillons avec les compagnies aériennes pour remplir toutes ces capacités, mais aussi avec nos nombreux partenaires B2B. Nous avons 163 points de vente dans le terminal, avec nombre de nouveaux services et de nouveaux concessionnaires. Il nous faut donc apprendre à connaître et optimiser le nouveau terminal, y compris pour gérer l'importante base de coûts opérationnels. Nous essayons d'identifier les domaines dans lesquels nous pouvons devenir plus efficaces.

Nous nous penchons déjà sur la prochaine phase d'expansion. Nous avons déjà un plan directeur, mais accueillir 27 millions de passagers cette année signifie que nous devons commencer la phase de conception détaillée très rapidement.

Nous avons aussi d'autres projets pour accroître et améliorer la coopération avec l'écosystème au sens large. La stratégie touristique, qui vient d'être annoncée cette semaine à Abu Dhabi, est très importante. Nous avons un bel aéroport, mais les gens ne viendront pas uniquement pour lui. C'est Abu Dhabi l'élément clef. Nous travaillons donc main dans la main avec le ministère de la culture et du tourisme, Etihad et avec les autres transporteurs nationaux pour faire la promotion de la ville.

Il y a aussi beaucoup de travail avec tout l'écosystème du fret et de la logistique, avec de grandes ambitions pour devenir un hub cargo. Nous traitons environ 600.000 tonnes par an, mais nous allons investir dans une toute nouvelle installation qui sera prête fin 2025. Tout cela est étroitement lié au développement d'une zone franche de 8 kilomètres carrés à développer.

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Avez-vous une réflexion sur l'intégration des nouvelles énergies, comme le carburant d'aviation durable (SAF) et peut-être l'hydrogène ?

Nous sommes très attentifs à toutes les questions environnementales et la durabilité du carburant est l'un des éléments clefs. Nous discutons des sources de carburant alternatives. Si nous sommes réalistes, cela prendra un certain temps. Mais, avec nos partenaires, nous essayons de lancer des études afin de comprendre comment nous pouvons introduire des carburants durables sur le long terme. Nous travaillons en tant qu'écosystème, et c'est là la beauté des aéroports du Moyen-Orient, pour trouver les bonnes solutions.

Nous avons la chance d'avoir, avec Wizz Air et Etihad, une flotte très récente qui contribue clairement à réduire les émissions. Nous travaillons aussi avec les services d'assistance au sol afin d'électrifier l'ensemble des équipements et des véhicules au sol. Et nous avons lancé de nombreuses autres initiatives avec d'autres entreprises, car pour gagner cette bataille, il faut vraiment collaborer avec l'ensemble de l'écosystème.

Léo Barnier

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Commentaires 2
à écrit le 04/04/2024 à 10:14
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Hélas !!!!

le 04/04/2024 à 10:44
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Pourquoi hélas?

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