BONNES FEUILLES. « Wall Street en Feu » 6/28

ÉPISODE 6/28. La Tribune vous offre 28 épisodes d'un thriller financier hautement addictif. Si vous avez aimé La Firme de John Grisham, alors vous succomberez au premier roman de Thomas Veillet, ex-trader de la banque UBS devenu journaliste financier : « Après avoir vécu l'horreur des combats en Afghanistan, Tom Kelcey pose son paquetage à New York. Bien résolu à se défaire des stigmates de la guerre, il entame une prometteuse carrière de trader à Wall Street, dans une prestigieuse salle des marchés. Son sens de l'observation lui permet de détecter des anomalies et de réaliser des profits colossaux ; sans le savoir il vient de déranger de puissants intérêts ».
(Crédits : Talent Editions)

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Intimidé comme un étudiant venu passer son grand oral, Bill Callahan pénétra dans le hall de la demeure de son patron. Il ne se considérait pas « malheureux » au niveau immobilier. Sa maison au nord de New York, dans la petite commune de Tarrytown, avoisinait tout de même les deux millions de dollars. Rien à voir avec ce qu'il avait sous les yeux. Il ne jouait pas dans la même ligue que son patron, et de loin. Si la taille du hall d'entrée était un signe extérieur de réussite, Bill pouvait tout à fait imaginer avoir raté sa carrière professionnelle.

Le majordome à l'accent britannique et à la bedaine prononcée se déplaçait dans des gestes précieux. Callahan se demanda s'il ne s'appelait pas Higgins tant il lui faisait penser au personnage de la série Magnum...

- Monsieur va vous recevoir dans son bureau d'ici quelques instants. Il vous prie de bien vouloir patienter ici même.

Ici même, c'était un salon de réception capable d'accueillir la totalité de l'équipe des Yankees de New York, avec le staff qui l'accompagne à chaque match.

Le majordome poursuivit d'une voix sophistiquée :

- Désirez-vous une boisson quelconque afin de patienter ?

Après un bref échange avec lui-même - échange basé sur le fait de savoir s'il était bien raisonnable de boire de l'alcool avant un tel rendez-vous -, Callahan se dit qu'il n'avait finalement rien à perdre. S'il devait se faire virer pour un whisky, c'est qu'il avait fait son temps. Autant se décontracter avec un bon single malt. Il lâcha donc un bref :

- Si vous avez du whisky, volontiers. Avec de la glace.

Le majordome toisa Bill le menton légèrement vers le haut, l'air de dire : Espèce d'idiot, dans une maison pareille, nous disposons d'une douzaine de whiskys que tu ne pourrais pas te payer avec ton misérable salaire. Mais Callahan détourna la tête en marmonnant un « merci ».

Quelques minutes plus tard, Higgins revint avec un plateau sur lequel trônait un seul verre. Il le lui déposa sur l'énorme table de salon qui donnait l'impression d'avoir été taillée directement dans un séquoia. Callahan s'empara du verre, comme un fumeur allumerait une cigarette pour se donner une contenance. Il n'en oublia pas de remercier le majordome qui avait déjà tourné les talons. La première gorgée s'apparenta à une bouffée d'antidépresseurs.

Une table basse en partie recouverte d'une peau de tigre attira son attention. Connaissant la passion pour la chasse du propriétaire de Brodman & Zimmermann, il ne devait pas s'agir de fourrure synthétique. Bill s'en approcha, intrigué. Le socle de la table était constitué d'un bloc de résine transparente dans lequel on avait coulé un moteur. Et pas n'importe quel moteur. Un V8, si l'on en croyait la plaquette fixée sur un des coins. Le mythique V8 qui équipait les premières Ford Mustang GT500 Shelby. Un monstrueux moteur affiché à trois cent cinquante-cinq chevaux, mais que les puristes estimaient à plus de quatre cents. En 1967, ce monstre de puissance offrait une cylindrée de près de sept litres qui ferait défaillir un écologiste de 2021. Callahan écarta la peau de tigre de quelques centimètres pour caresser la table. En bon passionné d'automobile, il se recueillit. Il n'entendit pas les pas dans son dos.

- J'ai acheté le modèle 5 sur la chaîne de production des Ford GT500 de 67. Je l'ai déniché dans une vieille grange du Tennessee, mais il y avait trop de travaux de rénovation. J'ai préféré au moins garder le moteur, tout le reste était trop pourri. Je crois que vous êtes mon premier visiteur à vraiment comprendre ce que signifie ce moteur.

Callahan se retourna pour faire face à Jason Dalmore. Son patron était nettement plus grand que lui, et Callahan se résigna à lever les yeux dans sa direction. Il avait l'air d'une gravure de mode. Pas qu'il fût exceptionnellement beau, mais l'homme était tellement soigné que l'on peinait à lui trouver le moindre défaut. Son costume sur mesure devait coûter le mois de salaire d'un honnête fonctionnaire. Bill le regarda dans les yeux et lui répondit avec un demi-sourire :

- J'aurais préféré le voir installé dans la voiture, mais l'approcher une fois dans ma vie, ça me fait quelque chose.

Dalmore sourit à son tour en tendant la main à son chef du trading. Une poignée de main ferme et volontaire.

- Prenez votre verre et suivez-moi, Bill. J'ai vu que vous aviez une Dodge Charger. C'est quoi ? Une 70 ?

- 1969. Je l'ai héritée de mon père et je l'ai rénovée en partant de pas grand-chose, répondit Bill, agréablement surpris de savoir que son boss appréciait les muscle cars américains. Connaissant un peu le personnage, il aurait plutôt parié qu'il roulait dans des allemandes ou des italiennes hors de prix.

- J'adore... Quand j'ai commencé à collectionner, j'ai hésité entre Dodge et Ford. Mais Ford m'a paru plus mythique à l'époque. Je suis donc resté fidèle. Si vous avez le temps après notre discussion, je vous emmènerai dans mon garage, lâcha-t-il comme un gamin.

- Si vous me prenez par les sentiments, on n'a pas fini. Après la finance, les vieilles caisses américaines, c'est ma raison de vivre, mais ne le dites pas à ma femme.

Dalmore éclata de rire, ce qui eut le don de briser la glace.

Bill Callahan, soudainement un peu plus détendu par le tour de la conversation, suivit son patron dans un dédale de couloirs qui les menèrent à une magnifique porte en bois sculpté. Une œuvre d'art aux multiples détails géométriques.

- Je vois que vous observez la porte. Elle vient d'Arabie saoudite, je suis tombé dessus dans un village paumé au milieu du désert et je l'ai rapportée ici. Ça m'a coûté une fortune de la faire adapter, mais ça en valait la peine !

- Je dois dire que c'est un bel objet. J'aimerais bien avoir ça chez moi, mais je devrais rehausser les plafonds et ça me paraît compliqué.

Dalmore s'esclaffa une nouvelle fois, bon public. Puis il s'effaça pour que Callahan pénètre dans son bureau.

Une nouvelle pièce aux proportions généreuses s'ouvrit devant lui. Au premier plan se trouvaient deux énormes canapés qui devaient représenter, cette fois, six mois de salaire pour Bill. Leurs tonalités beige sable donnaient un aspect assez cosy à la pièce. Enfin, jusqu'à ce que l'on voie les deux majestueuses défenses d'éléphant qui cernaient un monumental bureau au fond de la pièce. La table de travail faisait bien évidemment face à une large baie vitrée qui donnait sur le jardin et sans doute sur l'océan. On se serait cru dans l'antre d'un archéologue avec une foule d'objets et de tableaux anciens. Ou un cabinet de curiosités. Le regard de Bill Calllahan ne savait pas trop sur quoi se porter. Il en avait presque oublié de stresser et de s'interroger sur le but du tête-à-tête à venir avec son milliardaire de patron.

A suivre...

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