BONNES FEUILLES. « Wall Street en Feu » 19/28

ÉPISODE 19/28. La Tribune vous offre 28 épisodes d'un thriller financier hautement addictif. Si vous avez aimé La Firme de John Grisham, alors vous succomberez au premier roman de Thomas Veillet, ex-trader de la banque UBS devenu journaliste financier : « Après avoir vécu l'horreur des combats en Afghanistan, Tom Kelcey pose son paquetage à New York. Bien résolu à se défaire des stigmates de la guerre, il entame une prometteuse carrière de trader à Wall Street, dans une prestigieuse salle des marchés. Son sens de l'observation lui permet de détecter des anomalies et de réaliser des profits colossaux ; sans le savoir il vient de déranger de puissants intérêts ».
(Crédits : Talent Editions)

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Accoudée au bar du mess des officiers, la capitaine Vanessa Hartmann étudiait les documents récupérés sur le voilier. Outre la lettre d'adieu de la main du mort, qui laissait peu de doutes sur l'origine de son décès, il y avait un dossier truffé de chiffres qui puaient la magouille financière, même pour elle qui ne comprenait pas grand-chose à ces histoires boursières. Elle hésitait. Devait-elle transmettre tout cela aux autorités ? Le type imbuvable croisé sur le tarmac ne lui inspirait pas confiance. Pour autant qu'il ait bien fait partie des forces de l'ordre une fois dans sa vie.

Ryan ne lui avait rien appris de plus, expliquant seulement que l'homme à la veste en cuir lui avait parlé comme à un chien, d'où son énervement visible à trois cents mètres. Il avait exigé de savoir où se trouvait Vanessa. Le plongeur avait d'ailleurs jugé étrange que le fonctionnaire connaisse le nom et le grade de l'officière.

En finissant sa bière, elle se demanda qui solliciter pour décrypter ces documents. Elle connaissait des pilotes, des mécanos, des soldats, des marins, mais n'avait pas Gordon Gekko dans ses relations. En faisant défiler le répertoire de son smartphone, elle tomba sur un nom : Jimmy Patton.

Elle l'avait rencontré lors de sa formation de pilote dans la région de Seattle. Patton était un type un peu bizarre, mais qui semblait toujours très bien informé sur tout le monde dans les milieux d'affaires de Manhattan. Il était enquêteur pour des cabinets d'avocats. Il traînait sans doute dans des histoires pas très nettes, à la frontière de la légalité. À l'époque, basée dans la région de Spokane, Vanessa préparait ses qualifications à l'élingue et ils étaient resté quelque temps ensemble. Ils avaient été un peu plus qu'amis, mais au moment de passer à l'étape suivante, Vanessa avait rué devant l'obstacle. Quelque chose qui ne lui revenait pas chez cet homme au carnet d'adresses bien fourni. Patton était ensuite parti à New York pour rejoindre des amis à lui.

La capitaine avait toutes les peines du monde à décider de la marche à suivre. D'un côté, sa discipline militaire lui intimait de contacter les flics, de balancer ce dossier brûlant et de retourner à ses hélicoptères. De l'autre, cet événement sentait le soufre, au sens propre comme au figuré, tout comme l'explosion du voilier. Elle n'appréciait guère qu'on mette son équipage en danger. Du coup, elle avait très envie de connaître le fin mot de l'histoire. L'indécision et l'inaction la rendaient dingue. Elle commença à se frotter la fine cicatrice en bas de sa colonne vertébrale, vestige d'une chute à vélo d'enfance au fond d'un ruisseau. Depuis, dès qu'elle devait prendre une décision, de façon quasi mécanique, elle frottait cette cicatrice.

Bill Callahan se réveilla en sursaut dans la Ford qui filait au milieu de la nuit.

- Où sommes-nous ? demanda-t-il, par réflexe.

- On est presque arrivés, marmonna Tom.

L'habitacle de la voiture retomba dans un silence qui n'était brisé que par le couinement de certaines pièces en plastique. Le Ford Raptor n'était pas tout à fait une Bentley en termes de finitions.

Les deux hommes roulaient en direction de l'est d'après la boussole qui oscillait sur le tableau de bord. Un panneau indiqua « Bennington − 15 miles ». Ensuite ils s'enfonceraient dans la montagne. Tom soupira : ça faisait un moment qu'il se demandait comment annoncer les choses à Bill, mais il n'y avait pas d'autre façon de faire.

- Rebecca aussi a été assassinée cet après-midi.

Bill se retourna vers Tom, hagard :

- C'est pas possible... ! On leur a obéi. J'ai viré les 3,7 millions de dollars. Que veulent-ils de plus ?

- Se débarrasser de nous. Définitivement. Et ils ne s'arrêteront pas tant que ça ne sera pas fait.

- Mais on est des financiers, Tom, pas des Navy SEALs ! Et je n'ai pas bossé pour la CIA, moi ! Que veux-tu qu'on fasse ?

- Ce que je sais, c'est que ces mecs ont toujours un coup d'avance sur nous. Ce n'est pas en balançant tout à la police que l'on va s'en sortir. Ils ont sans doute le bras extrêmement long. On va déjà aller se poser quelque part où on sera tranquilles. Et ensuite, on commencera à chercher une solution.

- Mais quelle solution ? Tu veux aller acheter des armes au marché noir et partir en vendetta ? Personnellement, j'ai abattu deux types dans mon salon, je ferais mieux de me rendre.

- Les deux cadavres de ton salon ont tué ta femme, je crois que ça devrait t'aider à déculpabiliser. On va se poser calmement, réfléchir et dénouer le mystère ensemble.

- Mais...

Tom le coupa :

- Bill, on arrive dans cinq minutes. Je t'explique ensuite ce que j'ai en tête. Si tu n'es pas d'accord, je te dépose à Bennington demain matin et tu pourras prendre le bus pour te rendre aux flics de New York. Mais je suis persuadé que si on met nos connaissances et nos expériences en commun, on peut s'en sortir ! On ne va pas se laisser faire, merde !

Callahan se renfonça dans son siège. Les rôles avaient clairement changé. Il n'était plus le patron, dans cette histoire.

Le Ford Raptor sortit de Bennington et, après une dizaine de miles, s'engagea à droite pour s'enfoncer dans la forêt. La densité des arbres, toujours un peu plus proches les uns des autres, provoquait un sentiment d'enfermement. Le chemin était de plus en plus défoncé. Après une centaine de mètres, les deux hommes se trouvèrent face à une barrière qui empêchait l'accès. Tom descendit de la voiture et déverrouilla l'obstacle avec une clé qui figurait dans le trousseau du Raptor. À le voir faire, ce n'était pas sa première fois. Ils se firent encore secouer sur un chemin caillouteux pendant cinq bonnes minutes dans un silence de cathédrale végétale. Puis ils atteignirent une clairière plus accueillante. Tom stoppa le pick-up devant un grand chalet tout en rondins, construit sur deux niveaux. Il offrait une large terrasse légèrement surélevée sur laquelle venait se poser une immense baie vitrée qui devait laisser pénétrer un maximum de lumière dans la pièce centrale. Sur le côté, un garage en ciment pouvait accueillir deux véhicules de bonne taille. La porte automatique s'ouvrait déjà.

Le chalet faisait face à une forêt touffue de pins, de laquelle on s'attendait à voir surgir une meute de loups d'un instant à l'autre.

Bill se retourna sur son siège et fixa son compagnon avec un regard d'incompréhension. Tom fit un grand geste théâtral en clamant :

- Bienvenue dans la retraite des Kelcey.

Un geste qui aurait pu avoir l'air comique si la situation n'avait pas été aussi désespérée.

Vanessa avait pris sa décision ; elle allait envoyer un message à Patton pour lui demander de l'aide. Et s'il ne pouvait pas l'aider, elle abandonnerait et livrerait les documents à la police en racontant le plus gros mensonge qui lui viendrait à l'esprit.

Elle rédigea immédiatement un message sur son téléphone, un message destiné à Jimmy Patton, puis quitta le bar pour rentrer se coucher. La journée avait été longue et son cerveau restait en ébullition. Difficile de savoir si elle parviendrait à trouver le sommeil.



CHAPITRE 12

28 novembre 2021 - 23 h 45 - Cape Cod, Massachusetts - USA

Le smartphone de Vanessa vibra sur sa table de nuit. Il clignota deux fois et s'éteignit avant qu'elle n'ait le temps de se retourner dans son lit. Elle ne dormait pas. Elle attrapa l'appareil et débloqua l'écran.

Un message de Patton, laconique :

« Appelle. »

Deux ans qu'ils ne s'étaient pas vus et la seule chose qu'il trouvait à dire tenait en un mot. Ils n'avaient pas vraiment eu de liaison à l'époque, mais quand même... La jeune femme ne se perdit pas en réflexions mal placées et composa le numéro. Patton décrocha immédiatement.

- Salut, commandant. Toujours dans les airs ?

- Jimmy, je te rappelle que je suis capitaine. Et oui, toujours dans les airs ; où d'autre voudrais-tu que je sois ?

- Mes excuses, capitaine. Si j'étais en face de toi, je me mettrais au garde-à-vous, mais je profite de la distance pour ne pas le faire. Je n'ai jamais été trop fan des règlements.

- T'as pas besoin, t'es un civil. Et on n'adresse pas trop la parole aux civils, en général.

Une fois les politesses d'usage passées, ils firent un rapide tour de vue de leurs situations respectives. Patton n'avait pas changé et il se montrait toujours aussi discret, voire mystérieux quant à ses activités. Mais visiblement, il pouvait mettre en relation Vanessa avec quelqu'un susceptible de l'aider.

- C'est un gars de Spokane aussi. Je ne crois pas que tu l'aies rencontré à l'époque, parce qu'il était chez les Afghans pour donner un coup de main à l'oncle Sam. En revenant, il a bossé dans une boîte de trading à Manhattan.

- L'Afghanistan puis les cols blancs de Wall Street, c'est une sacrée promotion !

- Ça dépend ; pour toi, je crois que ça serait une punition. Passer tes journées devant des écrans, tes ventilateurs te manqueraient trop.

Elle soupira en imaginant ce que pourrait être sa vie sans les hélicos :

- Je crois que tu as raison, Jimmy.

- Envoie-moi tes documents par mail. Je le contacte demain.

Je te tiens au courant dès qu'il me donnera un feed-back.

Vanessa n'avait pas vu les choses comme ça. Elle répondit sur un ton prudent et gêné :

- Écoute, Jimmy, ne le prends pas mal, mais je préfère traiter en direct. Je ne suis pas censée être en possession de ces documents, je préfère ne pas les laisser se balader dans la nature. Donne-moi les coordonnées du gars et je traiterai avec lui en disant que j'appelle de ta part.

Un bref instant de silence, puis Patton reprit :

- OK, pas de problème. C'est toi qui vois. Je t'envoie son téléphone fixe au bureau. Il pointe vers 7 h tous les matins.

- Eh ben, tu es super bien renseigné. C'est un ami ou un amant ? demanda-t-elle sur le ton de la plaisanterie.

- Je suis toujours bien renseigné, tu le sais parfaitement... Mais Tom Kelcey, c'est différent. On a plus ou moins grandi ensemble. Il était le beau gosse et j'étais le moins beau gosse. J'ai perdu mes parents assez tôt, et comme je vivais chez ma grandmère, ce sont les siens qui sont devenus mes vieux de substitution. Quand sa mère est morte, ça l'a brisé et il s'est engagé dans l'armée. Son père à disparu juste derrière. Mais Tom a toujours été un type en or pour moi. Lorsqu'il est revenu d'Afghanistan, ce n'était plus le même. Mais il n'avait qu'une envie : devenir trader. Et ce que Tom veut, Tom l'obtient.

Vanessa l'écoutait raconter son enfance en se disant que jamais elle n'avait entendu Patton parler autant de quelqu'un. Ce Kelcey devait être un type à part. Pendant que son interlocuteur poursuivait son monologue, elle commença à interroger Google sur Tom Kelcey. Pour relancer la machine, elle demanda à Jimmy ce qu'était devenu le père de Tom. Quelle était cette histoire de disparition ? C'est à ce moment précis qu'il se tut.

- Impossible de t'en dire plus. Il était là un jour, puis on ne l'a plus revu. Évaporé

La réponse était claire, mais la température baissa de quelques degrés dans la voix de Patton. Apparemment, certaines choses avec lui ne pouvaient pas se traiter sur le ton de l'humour. Elle décida de couper court à la conversation.

- Bon, Jimmy, merci pour tes renseignements. Je vais appeler ton gars demain à la première heure.

- Pas de souci. Bye, Vanessa.

Quelques secondes après, un message arriva sur son iPhone via l'application Telegram. Elle reconnut bien l'extrême prudence du personnage. À l'époque de leur brève amitié, Jimmy avait toujours gardé un morceau de Post-it collé sur son téléphone pour que personne ne puisse l'espionner à distance, disait-il. Son message consistait en un simple contact :

Tom Kelcey - 212 - 555 7899

Très bien, se dit-elle, alors à demain, monsieur Kelcey. Et elle coupa son mobile en le basculant en mode avion.

A suivre...

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