BONNES FEUILLES. « Wall Street en Feu » 17/28

ÉPISODE 17/28. La Tribune vous offre 28 épisodes d'un thriller financier hautement addictif. Si vous avez aimé La Firme de John Grisham, alors vous succomberez au premier roman de Thomas Veillet, ex-trader de la banque UBS devenu journaliste financier : « Après avoir vécu l'horreur des combats en Afghanistan, Tom Kelcey pose son paquetage à New York. Bien résolu à se défaire des stigmates de la guerre, il entame une prometteuse carrière de trader à Wall Street, dans une prestigieuse salle des marchés. Son sens de l'observation lui permet de détecter des anomalies et de réaliser des profits colossaux ; sans le savoir il vient de déranger de puissants intérêts ».
(Crédits : Talent Editions)

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Le médecin légiste patientait depuis une dizaine de minutes quand la capitaine Vanessa Hartmann posa son hélicoptère sur la base de Cape Cod. Les roues de la machine touchèrent délicatement le sol et la pilote bascula le cyclique vers l'avant pour gagner sa place d'héliport. Elle coupa les moteurs pendant que son copilote et le plongeur s'affairaient déjà autour du sac mortuaire. Ryan lui remit la lettre laissée par le mort pour expliquer son geste, ainsi qu'un dossier à sangle bleu d'environ cinq centimètres d'épaisseur, retrouvé à bord du bateau. Elle glissa le tout dans le vide-poche de la porte droite de l'appareil. Vanessa se désangla puis s'extirpa de son siège. Elle retira son casque et l'accrocha au-dessus de son dossier pour ensuite entamer son rituel de vérification après-vol. Elle recoiffa à la va-vite ses épais cheveux bruns coupés court, à la garçonne. Il émanait d'elle une étrange féminité. Les traits fins de son visage et ses yeux gris perçants surplombaient des épaules larges, mais sa combinaison ne laissait rien apparaître de ses formes féminines.

Au travers du pare-brise de la machine, elle aperçut Ryan qui paraissait s'embrouiller avec un type en se dirigeant vers le mess des officiers. Son plongeur, assez énervé, faisait de grands gestes pour exprimer son mécontentement, ce qui n'impressionnait pas outre mesure son interlocuteur. Dans un geste d'apaisement sorti de nulle part, Ryan finit par désigner l'hélicoptère de l'index.

Alors que la capitaine fixait les protections aux extrémités des pales du Jayhawk, l'homme, vêtu d'une veste en mouton retourné haut de gamme, s'approcha d'elle. Grand, la quarantaine bien entamée, il ne passait pas inaperçu avec ses yeux verts. Oubliant salutations et cordialité, il demanda abruptement à Vanessa :

- Vous avez récupéré quelque chose sur le bateau ?

- Bonjour à vous aussi, répondit-elle. Qui êtes-vous ?

- Je travaille pour les autorités fédérales, et le client que vous avez récupéré en mer nous intéresse.

- Vous avez des papiers qui prouvent ce que vous dites ou je dois vous croire sur parole ?

En la méprisant ouvertement, l'homme brandit une carte semblable à celle des agents du FBI, mais Vanessa n'était pas experte en la matière. Agacée par la morgue de l'agent, la pilote se lança dans un mensonge, elle ordinairement si à cheval sur le règlement :

- Non, on a juste eu le temps de sortir le cadavre du bateau.

J'avais à peine remonté mon plongeur que tout a explosé !

- Vous êtes sûre ?

- Je suis la capitaine Vanessa Hartmann des gardes-côtes américains et j'ai prêté serment. Puis-je vous demander encore une fois votre nom et votre numéro de matricule du FBI ? Je n'ai pas tout saisi en lisant votre carte en un millième de seconde.

Son interlocuteur lui lança un regard laissant entendre qu'il l'aurait zappée illico sur Tinder, puis il tourna les talons sans rien dire en direction d'un SUV garé devant le portail de la base.

- Qu'est-ce que vous cherchez exactement ? cria Vanessa, espérant en savoir un peu plus. Mais en vain. L'homme monta dans la voiture sans même se retourner et démarra.

Décidément, on n'apprenait pas les bonnes manières au FBI. Il y avait quelque chose de louche dans l'attitude de ce grand gaillard. Elle n'avait eu que très peu d'interactions avec le FBI au cours de sa carrière - uniquement pour des opérations de recherche -, mais instinctivement, elle avait l'impression que cet homme ne collait pas au personnage. C'est sûrement pour ça qu'elle avait été incapable de lui parler des documents que Ryan lui avait remis.

La pilote continua la mise au sol de son appareil, sa garde étant terminée. Avant de verrouiller la machine, elle récupéra la liasse de papiers provenant du bateau et la glissa discrètement dans sa sacoche de vol. Son esprit tournait à deux cents à l'heure. Presque comme si une voix intérieure la poussait à conserver et protéger ces documents. Elle ne se reconnaissait pas, mais elle avait réagi par intuition. L'avenir lui dirait si elle avait bien fait.

Non loin de l'hélicoptère, le médecin légiste examinait le contenu du sac mortuaire posé au sol. Son assistant l'aida ensuite à enfourner le paquet dans son van déprimant estampillé « coroner ». Direction la salle d'autopsie. Pendant qu'elle regardait le véhicule s'éloigner, son copilote, Juan Pablo Gisbert l'interpella : - Notre cadavre s'appelait Martin Lawrenson. Ça te dit quelque chose, capitaine ?

- Euh, non, ça devrait ?

- Aucune idée, mais comme je sais que tu t'intéresses à ces clowns de Wall Street... Ce pauvre gars gérait une boîte qui s'est cassé la gueule en Bourse. Je l'ai vu ce matin, il était interviewé à la télévision.

Vanessa haussa les épaules et se dirigea vers le mess. Elle ne s'intéressait guère à Wall Street et à ses turpitudes, mais plus jeune, il fut un temps où elle avait songé y travailler. Sûrement un soir de doute quant à ses capacités à devenir pilote. Quand elle fut engagée parmi les gardes-côtes, son intérêt pour les actions et les obligations disparut presque instantanément. Il y a des dettes qui s'honorent plus que les autres. En tous les cas, ce soir elle se sentait dans la peau d'une survivante ; et que dire du plongeur Ryan ? Il avait bien mérité sa bière, en bouteille ou en pression. Et Ryan avait peut-être des révélations à lui faire sur cette rencontre aigre-douce.

Tom Kelcey gambergeait dans son café non loin de la 6e Avenue. Il devait entrer en contact avec Bill le plus tôt possible, et surtout retrouver Rebecca pour la protéger. Il serait ensuite temps de mettre en pratique ce qu'il avait appris lors de sa formation militaire et sur le terrain, même s'il ne se sentait pas l'âme d'un justicier. Vu qu'on était venu le chercher, il n'allait pas se laisser faire.

Il composa le numéro de son patron aves son téléphone qu'il espérait intraçable. Bill ne décrocha qu'à la troisième tentative.

- Bill ? C'est Tom...

Callahan reconnut la voix de son trader, mais aucun son ne pouvait sortir de sa gorge.

- Bill ? Tu vas bien ?

- ... T... Tom...

- Qu'est-ce qui se passe ? Parle-moi !

- C'est... la... merde...

- Qu'est-ce qui s'est passé ?

- J'ai fait... une connerie... j'n'avais pas le choix.

- Dis-moi, Bill...

Bill Callahan semblait en état de choc. Que s'était-il passé entre le moment où son patron avait quitté le bureau et cette fin d'après-midi maudite ? Mais il savait que ça n'était pas bon.

- ... J'suis... dans la merde

Tom se dit que les gars à leur recherche pourraient sans doute les localiser grâce à cet appel. Pourraient-ils remonter du téléphone de Bill au sien ? Il n'en savait foutrement rien. Pas le temps de se lancer dans une enquête sur Google. Il ne fallait pas traîner.

- Bill, tu es où ? demanda Tom, regrettant presque l'époque des téléphones fixes qui évitaient de poser ce genre de questions stupides.

Grand silence interrompu par un murmure de Bill :

- Chez... moi...

- Et où est Mary ?

- ... Tuée... Ils l'ont tuée. Tom. Elle et une autre femme... Tom eut du mal à déglutir à ces dernières paroles, et tout ce qui sortit de sa bouche fut :

- Quoi ? Mais nous leur avons fait ce putain de virement !

- Ils les ont tuées, répéta Bill d'une voix vide. Mais ils ne recommenceront plus...

Le lieutenant Tom Kelcey tentait de disparaître, couché dans le sable au milieu des montagnes afghanes. Ça tirait dans tous les coins. Son peloton était décimé. Il avait perdu quatre hommes sur douze. Les renforts aériens n'arrivaient pas, un de ses soldats se vidait de son sang à côté de lui. Il gardait les mains sur sa blessure en lui hurlant de tenir le coup. Les talibans en face n'en finissaient plus de tirer. Sa tête allait exploser, toute cette merde ne s'arrêterait jamais...

- Monsieur ?

La voix du chauffeur de taxi tira Tom de ses souvenirs, et il mit instinctivement la main à son portefeuille.

- On est arrivés, monsieur.

Il paya son dû pour les cinq kilomètres entre le café où il avait mangé son burger et son garage. Quelques minutes de trajet qui avaient suffi à le transporter dans un passé qu'il aurait préféré oublier.

Impossible de rentrer chez lui après ce que venait de lui raconter Bill. Il tentait de garder la tête froide et de respecter ses priorités. D'abord le véhicule. Il disposait justement de ce qu'il fallait dans le garage qu'il sous-louait. Il ouvrit la porte coulissante dans un méchant grincement. Cela faisait des mois qu'il bossait sur cette voiture. Maintenant qu'il en avait cruellement besoin, le boulot payait.

Ce n'était pas la voiture la plus discrète, mais il y avait urgence. Et gros avantage : elle n'était pas enregistrée à son nom. Il monta à bord et s'accorda quelques secondes de répit. Il se sentait oppressé, il imaginait mal ne plus jamais la voir... Même si leur relation n'était pas au beau fixe, il avait toujours des sentiments pour Rebecca. Cependant, au fond de lui, il était certain que ce n'était pas la femme de sa vie. Il démarra le Ford Raptor avec ses sept cents chevaux sous le capot. La machine explosa de joie à l'idée de pouvoir enfin servir. Tom engagea un rapport et sortit doucement du garage avant de s'élancer sur la route.

Kelcey avait donné rendez-vous à Bill au nord de Tarrytown, dans un parc au bord de l'Hudson River. Même si son patron avait mis du temps à réagir, il avait fini par comprendre que son téléphone pouvait être sur écoute. Tom lui avait intimé l'ordre de s'en débarrasser dans la rivière ou les égouts. Leurs poursuivants pourraient ensuite s'amuser à le pister.

Alors qu'il arrivait à proximité du domicile de Bill, à quelques centaines de mètres du parc, Tom Kelcey aperçut deux camionnettes de livraison garées devant chez Callahan. Il passa le plus près possible en baissant soigneusement la visière de sa casquette. Il reconnut un des deux compagnons en costume gris. Tom ne s'attendait pas à les voir ici, mais plutôt devant son appartement. Avaient-ils eu le temps de passer chez lui avant de se rendre chez Bill ? Son cerveau tournait à plein régime, avec toujours les mêmes questions. Ne restait plus qu'à espérer que Callahan ait eu le temps de fuir, sinon Tom se retrouverait livré à lui-même face à un ennemi invisible.

A suivre...

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