BONNES FEUILLES. « Wall Street en Feu » 18/28

ÉPISODE 18/28. La Tribune vous offre 28 épisodes d'un thriller financier hautement addictif. Si vous avez aimé La Firme de John Grisham, alors vous succomberez au premier roman de Thomas Veillet, ex-trader de la banque UBS devenu journaliste financier : « Après avoir vécu l'horreur des combats en Afghanistan, Tom Kelcey pose son paquetage à New York. Bien résolu à se défaire des stigmates de la guerre, il entame une prometteuse carrière de trader à Wall Street, dans une prestigieuse salle des marchés. Son sens de l'observation lui permet de détecter des anomalies et de réaliser des profits colossaux ; sans le savoir il vient de déranger de puissants intérêts ».
(Crédits : Talent Editions)

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CHAPITRE 11

28 novembre 2021 - 17 h 42 - Tarrytown, New York - USA

Bill Callahan patientait sur un banc au fond de Pierson Park, à moins de deux kilomètres de son domicile. Là où ils avaient élevé leurs enfants avec Mary, où toute sa vie s'était construite. Là où il ne reviendrait probablement jamais après ce qui venait de se passer. Du coin de l'œil, il avisa une silhouette engoncée dans une parka verte avec capuche et casquette. Nouvelle bouffée d'angoisse. Ses pulsations cardiaques grimpèrent. L'avaient-ils déjà retrouvé ? Puis il lui sembla reconnaître la démarche de Tom Kelcey et il pensa de nouveau à inspirer et expirer.

Tom s'approcha sans mot dire, le regard rivé sur le sol. Il s'assit à côté de son boss dans un silence impressionnant. Il ne voulait surtout pas le brusquer en le harcelant de questions. Bill venait tout de même de perdre son épouse dans des circonstances encore à éclaircir. Il se doutait obscurément que l'autre femme mentionnée par Callahan ne pouvait être que Rebecca. Bill ne l'avait jamais rencontrée, il n'avait donc pu identifier son cadavre. Mais en toute logique, les hommes à leur poursuite avaient fait coup double en éliminant les compagnes des deux traders. Peut-être auraient-elles dû servir de monnaie d'échange, mais l'opération avait visiblement mal tourné.

Comme au combat, autrefois en Afghanistan, Tom Kelcey ne devait pas baisser les bras, craquer en se laissant submerger par les émotions et la douleur. Il devait se battre, trouver et châtier les coupables. Viendrait ensuite la période du deuil.

Son boss tenta désespérément de trouver les yeux de Tom pour y puiser du réconfort. Les mots n'arrivaient pas à sortir. Il avait l'air à l'affût, prêt à recevoir la foudre à tout instant. Ses yeux cherchaient des ennemis invisibles partout dans le parc. Puis, soudain les vannes s'ouvrirent, et il raconta sa descente aux enfers depuis son départ du bocal :

- En partant du bureau, j'ai essayé de joindre Mary, mais elle ne répondait pas... J'étais paniqué, je conduisais un peu n'importe comment. J'ai failli emplafonner un camion. En approchant de chez moi, j'ai décidé de me garer à distance, de faire les derniers cent mètres à pied. Et j'ai vu cette voiture stationnée dans mon allée. J'ai donc décidé de traverser le jardin des voisins et d'entrer chez moi par la porte de derrière. J'ai essayé d'être le plus discret possible, mais je tremblais de partout. En entrant dans la cuisine, j'ai entendu deux hommes qui discutaient dans le salon. C'est là que j'ai vu un pied... puis deux... puis le corps de Mary... Elle gisait dans le couloir, les yeux grands ouverts. À côté d'elle, il y avait une jeune femme qui se vidait de son sang sur le sol du salon. Une horreur ! Mary regardait le plafond. Elle avait un gros trou rouge sur le front. Elle ne saignait pas beaucoup. J'ai eu envie de hurler, mais rien n'est sorti... J'avais pourtant la rage, la haine... L'un des deux types parlait au téléphone : « On nous a dit que son portable s'était connecté à une antenne au bout de la rue, il y a trois minutes. Il ne devrait plus tarder. On fait le nécessaire. Vous pouvez déjà envoyer le nettoyage pour emporter les macchabées. »

Bill Callahan ravala ses sanglots, puis reprit sa description de la scène :

- Le gars au téléphone a ensuite ajouté : « Oui, les deux femmes sont mortes. La jeune a réussi à se libérer et a lancé une statuette sur un de nos gars. Il l'a reçue en pleine tête et on a dû tirer. La vieille a pris une balle au passage. Désolé, boss. »

Ensuite, il a encore parlé du fait qu'il fallait faire le ménage. Mais c'est quand il a dit « la vieille » que j'ai pété les plombs.

Tom ne put s'empêcher de saisir son responsable par l'avant-bras dans une tentative de réconfort bien vaine. La voix de Bill chevrotait. Il avait du mal à raconter ce qui ressemblait à sa mort programmée. Mais il eut un sursaut et poursuivit son ignoble récit :

- Je suis resté quelques instants sans rien faire. Ça m'a paru une éternité. Puis je suis allé dans le garage qui communique avec l'arrière de la cuisine. J'ai un fusil à pompe que je n'ai pratiquement jamais utilisé. Je le gardais sous clé. Un ami me l'a vendu et on a juste tiré sur quelques bouteilles il y a des années. Mais il est en bon état, et j'ai des cartouches. J'ai eu du mal à le sortir de son coffre et à le charger. Je n'arrêtais pas de trembler. Puis - c'est un cauchemar - je suis devenu fou. Je suis retourné dans la cuisine, et là...

À ce moment, Bill marqua une pause. Tom imaginait l'horreur qui consumait son patron. Le trader commençait à s'inquiéter pour leur sécurité. Ils ne pouvaient pas rester là, à découvert, dans ce parc, même si en cette fin de mois de novembre, on ne pouvait pas dire qu'il y avait foule.

Bill se prit la tête entre les mains et soupira profondément entre deux sanglots. Les détails macabres de sa vendetta ne parvenaient pas à sortir. Les deux tueurs avaient eu leur compte, c'était bien l'essentiel. Il était surtout temps de bouger d'ici, de se mettre à l'abri.

- Bill, il faut qu'on se planque en attendant d'y voir plus clair. Viens... !

Callahan se leva du banc et suivit mécaniquement son coéquipier en direction du Ford Raptor. Pendant qu'il mettait le contact, Tom pensa une nouvelle fois à Rebecca. Son portable coupé, ce mystérieux jour de congé. La boule au ventre, Tom ne savait plus quoi penser... Sa compagne était-elle l'« autre femme » évoquée par Bill ? Il ne pouvait pas le savoir avec certitude ; il allait devoir composer avec le doute pour le moment. Il se voyait mal entrer sur les lieux d'un multiple homicide pour vérifier les papiers d'identité des victimes. Son cerveau bouillonnait, il ne savait plus à quel saint se vouer.

- On va où ? demanda Callahan, plus par réflexe que par réel intérêt.

Tom détourna le regard de la route un bref instant et répondit sur un ton que son patron ne lui connaissait pas :

- Là où ils ne nous trouveront pas.

Pendant quelques instant, Bill eut l'impression d'observer la métamorphose de son trader, prêt au combat.

Alors que le Ford Raptor s'éloignait de Tarrytown, Tom se demanda ce qui avait bien pu advenir de Dalmore. La meute à leurs trousses n'avait certainement pas épargné le propriétaire de Brodman, Zimmerman & Sons. Qu'avait-il bien pu lui arriver ? Mais dans cette ambiance de sauve-qui-peut, le jeune trader devait penser à lui et à Callahan en priorité. Ils étaient en première ligne dans ce conflit d'un autre âge. Il serait toujours temps de se préoccuper du milliardaire une fois leur sécurité assurée.

Les deux fugitifs s'arrêtèrent à une station-service. Bill s'était assoupi, bizarrement tordu sur le siège passager. La jauge d'essence du Raptor commençait sérieusement à donner des signes de fatigue. Ils roulaient depuis deux heures et il leur restait encore une cinquantaine de kilomètres avant d'atteindre leur destination, où les sources d'approvisionnement ne seraient pas légion.

Tom immobilisa son véhicule devant la pompe. Son compagnon ronflait par à-coups et semblait ne plus vouloir jamais se réveiller. Le contrecoup du choc, sans aucun doute. Une fois le plein achevé, il se rendit à la caisse et tenta une fois de plus de joindre Rebecca dans un fol et vain espoir. Avant de payer, il fit un bref tour du magasin, vérifiant qu'il n'avait rien oublié. En arrivant devant le comptoir, son regard fut attiré par les infos à la télévision ; son sang se glaça instantanément. Les images montraient des voitures de police devant la maison de Bill, le fourgon d'un coroner, plusieurs sacs mortuaires qui ne laissaient aucun doute sur leur contenu. Un multiple homicide... La caméra de la chaîne d'actualités était fixée sur l'allée d'une demeure sans doute paisible par le passé.

Il devait savoir... même si dans son esprit trop rationnel, le pire ne faisait plus aucun doute. Tom paya l'essence dans un état second et se précipita à la voiture. Il sortit d'un sac plastique l'un des téléphones jetables qu'il venait d'acheter. Il s'y reprit à trois fois pour taper le code de la carte SIM dans ce qui ressemblait à un vieux Nokia 6210 modernisé, puis il composa le numéro de la maison de Tarrytown qu'il avait mémorisé avant de jeter son iPhone, celui qui l'avait vraisemblablement trahi dans les soussols du métro. Une voix lui répondit quasi instantanément.

- Allô ?

- Est-ce que je peux parler à Mary, s'il vous plaît ? demandat-il d'une voix qui se voulait la plus désinvolte possible.

- Qui la demande ?

- Désolé, mais qui êtes-vous, monsieur ?

- Inspecteur Dickinson, de la police de New York. Et vous, qui êtes-vous ?

- Son beau-fils, mentit-il. Elle va bien ? Elle ne me répond pas, je suis inquiet.

- Je suis navré, monsieur, mais elle vient d'être assassinée, ainsi qu'une jeune femme d'une trentaine d'années. Pouvezvous me décrire votre femme et me donner votre nom ?

Tom lâcha machinalement :

- McCaskill.

À l'autre bout du fil, le flic resta silencieux quelques secondes, puis articula lentement :

- Je suis désolé, monsieur McCaskill...

Le cœur de Tom connut un inquiétant soubresaut. Il raccrocha en silence. Après quoi, il arracha la carte SIM, jeta l'appareil au sol et l'écrasa d'un coup de talon rageur.

La descente aux enfers ne semblait jamais s'arrêter.

Il était rentré d'Afghanistan pour retrouver paix et sérénité. C'était presque pire que là-bas. Au fond de lui, il savait que sa relation avec Rebecca touchait à sa fin ces derniers temps, il n'avait pas fait grand-chose pour que ça s'arrange d'ailleurs. Mais il se sentait entièrement responsable de sa mort, même s'il n'avait pas appuyé sur la détente. Tout cela pour une misérable opération boursière, pour 3,7 millions de dollars qu'il avait qui plus est transférés à ses bourreaux.

Il remonta dans son véhicule. À cet instant précis, Tom Kelcey passa du besoin de comprendre à celui, irrépressible, de châtier les responsables de cette boucherie. Il démarra sans provoquer le moindre mouvement chez Bill Callahan. Et il roula dans la nuit pour rejoindre un endroit où il pourrait réfléchir, où ils seraient momentanément en sécurité, où personne ne viendrait les débusquer.

À Brooklyn, l'inspecteur Dickinson reposa le téléphone et fit encore le tour de la scène de crime. Son équipier s'approcha de lui :

- C'était qui... ?

- Personne, marmonna Dickinson. Un proche qui voulait lui parler, fit-il en pointant un des sacs avec son menton.

- Tu penses que c'était son mec ?

- J'en sais rien ! De toute façon, on ne sait pas si c'est lui qui a fait ça, lâcha-t-il en haussant les épaules.

Et il s'éloigna en direction de la terrasse de l'appartement. Alors qu'il ouvrait la baie vitrée, son smartphone chinois se mit à sonner. Il répondit immédiatement en voyant le nom du correspondant.

- Alors ? Vous avez quelque chose ?

- Je pense qu'il vient d'appeler, répondit Dickinson. Il faudrait tracer le numéro qui vient de contacter la ligne fixe, mais je crains que ce soit un burner.

- OK, répondit la voix. On va le tracer. Pour le reste, je compte sur vous pour couvrir toutes les pistes.

Dickinson n'eut pas le temps de répondre. Son interlocuteur lui avait raccroché brutalement au nez.

A suivre...

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