BONNES FEUILLES. « Wall Street en Feu » 1/28

ÉPISODE 1/28. La Tribune vous offre 28 épisodes d'un thriller financier hautement addictif. Si vous avez aimé La Firme de John Grisham, alors vous succomberez au premier roman de Thomas Veillet, ex-trader de la banque UBS devenu journaliste financier : « Après avoir vécu l'horreur des combats en Afghanistan, Tom Kelcey pose son paquetage à New York. Bien résolu à se défaire des stigmates de la guerre, il entame une prometteuse carrière de trader à Wall Street, dans une prestigieuse salle des marchés. Son sens de l'observation lui permet de détecter des anomalies et de réaliser des profits colossaux ; sans le savoir il vient de déranger de puissants intérêts ».
(Crédits : Talent Editions)

PROLOGUE

23 novembre 2021 - 23 h 45 - Narragansett, Rhode Island - USA

L'absence de lune et un voile nuageux tenace plongeaient la côte de Nouvelle-Angleterre dans une obscurité parfaite.

L'air marin, doux pour cette fin d'automne, parvenait du port tout proche, rappelant la présence de l'océan Atlantique.

Quasiment indétectable, un homme moulé dans une combinaison noire jouait de ces conditions propices pour longer l'immense clôture entourant un immeuble de bureaux de trois étages. La société Narragan Biosciences n'avait pas lésiné sur les mesures de sécurité. Et pourtant...

L'homme en noir ralentit son allure et leva la tête afin d'observer le rayon d'action des caméras qui balayaient inlassablement la cour et le parking, de l'autre côté des grillages. Ses gestes précis étaient ceux d'un professionnel aguerri. Efficaces et silencieux. Il se jeta brusquement à terre alors qu'une voiture manœuvrait sur le parking de la société, à moins d'une centaine de mètres. Le pinceau des phares fit briller une pièce de métal que l'homme en noir tenait dans sa main gauche. L'étincelle de lumière était probablement passée inaperçue, le chauffeur ayant l'air plus concentré sur son smartphone que sur le chemin menant à la sortie de l'entreprise. Une fois franchie la sécurité du campus de Narragan Biosciences, le SUV disparut en direction de Woodruff Avenue.

L'intrus reprit sa progression jusqu'à un bâtiment qui faisait l'angle du complexe ultrasécurisé : le local central de climatisation d'où sortait une imposante tuyauterie. Adossée au grillage, l'installation présentait un tube d'un diamètre suffisamment généreux pour qu'un corps adulte puisse se glisser à l'intérieur. Une épaisse grille en interdisait l'accès. Un écran pas plus grand qu'un smartphone illuminait quelques mètres alentour. L'homme en noir sortit de sa poche un ruban adhésif pour l'empaqueter et ainsi atténuer sa luminosité. Il dégaina ensuite une carte magnétique qu'il colla sans hésitation sur l'écran. Un bref cliquetis se fit entendre et la grille commença à s'ouvrir lentement, dans un léger bourdonnement. Sans perdre une seconde, l'homme en noir se glissa à l'intérieur du tube, juste assez large pour que ses épaules athlétiques puissent y pénétrer. Lentement, il commença à ramper à l'intérieur. Le réseau de climatisation serpentait le long de la clôture, puis formait un angle droit pour monter sur quelques mètres, avant d'accéder au deuxième étage de l'immeuble. L'homme savait que le niveau supérieur était dédié à l'informatique, son objectif de la nuit.

Quelques minutes plus tard, en sueur, il se glissa hors du tube et se retrouva à l'intérieur même du bâtiment principal, dans un local technique au bout d'un couloir. Il s'accorda quelques instants pour calmer son rythme cardiaque et sonder l'apparent silence. Il voulait s'éviter une mauvaise surprise en tombant sur un employé modèle qui aurait décidé de faire des heures supplémentaires. Après quelques instants de calme quasi absolu - calme perturbé uniquement par sa respiration, et par le bruit du système de climatisation qui filtrait l'air par cycles de trente secondes -, l'intrus se mit en mouvement. Il se faufila hors du local et se dirigea d'un pas assuré dans le couloir central de la société Narragan. Le plan du bâtiment gravé dans son cerveau, il savait exactement où aller. Il tourna à droite pour atteindre un sas qui s'ouvrait par identification faciale. Il porta alors la main à son oreillette, déclencha sa radio et murmura :

‒ En position...

Son interlocuteur lui répondit dans un son étouffé et vague :

‒ Bien reçu.

La seconde qui suivit, la caméra de contrôle s'éteignit et la serrure du sas passa au vert. L'appareil se ralluma instantanément après son passage. Si quelqu'un prenait le temps de visionner les enregistrements, il ne verrait qu'un écran noir de trois secondes, pas assez pour éveiller la suspicion - c'était en tout cas le but recherché.

L'homme en noir se trouvait maintenant face à une porte sombre où était écrit en lettres rouges : « Serveurs - Personnel autorisé ». L'accès s'effectuait avec un code à six chiffres - dont il disposait bien évidemment. Il pénétra ainsi dans un temple informatique d'une vingtaine de mètres carrés. De nombreux racks de serveurs s'alignaient contre les murs, bercés par le ronron du système de refroidissement. Des clignotements verts et rouges dans tous les sens offraient au visiteur une ambiance stroboscopique. Il ne se laissa pas perturber et se dirigea sans délai vers un rack bien précis.

D'un geste sec et assuré, il ouvrit le logement dédié aux cartes couvertes de circuits imprimés. De son sac ultraplat sanglé sur son dos, il en sortit une identique à celles présentes dans les serveurs. L'informaticien qui la lui avait fournie s'était perdu en explications et détails, mais il s'en moquait. Son travail se limitait à échanger deux cartes et à ressortir comme il était venu. Le reste de sa nuit ne serait qu'une promenade de santé. Il souleva le loquet qui retenait la carte originale dans son rack, la sortit et la remplaça par son clone. Il referma ensuite la porte de l'armoire du serveur principal et quitta la pièce incognito. Alors qu'il se dirigeait vers le local de climatisation pour s'extraire du bâtiment, un bruit attira son attention : un garde qui faisait sa ronde...

Lors de la préparation de sa mission, on lui avait pourtant précisé que les rondes avaient lieu une fois par heure.

Normalement, il n'aurait dû croiser personne. Il allait devoir composer, les ordres étaient clairs : personne ne devait savoir qu'il avait mis les pieds dans le bâtiment, ni même qu'il s'en était approché. L'homme en noir dégaina son arme et s'accroupit à l'angle du couloir, ainsi dissimulé à la vue du garde. C'est du moins ce qu'il espérait.

Son pistolet n'avait rien de classique. Pour le non-initié, il ressemblait à n'importe quelle arme de poing munie d'un silencieux. Mais il était équipé d'une empreinte palmaire codée pour identifier son propriétaire. Quant à ses projectiles, ils contenaient une dose hypodermique sur le modèle de celles utilisées par les gardiens de zoo pour anesthésier de grosses espèces sauvages. À un détail près : le produit contenu dans les fléchettes effaçait la mémoire du sujet - plus ou moins les trente dernières secondes. Un produit indétectable dans le sang. La victime se réveille dix minutes plus tard avec l'impression d'avoir fait un malaise, rien de plus. L'ordre de la mission était on ne peut plus clair : ne laisser aucune trace et encore moins tuer. Pas cette fois. D'un pas lourd, le garde s'approchait dans le couloir. Sa silhouette bedonnante laissait à penser qu'il avait participé à l'amélioration des bénéfices de McDonald's. L'homme en noir le mit en joue et n'hésita pas une seconde. Un doux clic troubla à peine le silence. La fléchette se planta dans le double menton du garde, comme foudroyé par une balle en plein crâne - immédiatement son cerveau cessa de fonctionner et refusa de donner des instructions au reste de son corps. Avec l'agilité d'un félin, l'intrus se rua sur le gardien pour l'empêcher de s'effondrer trop bruyamment. Il accompagna sa victime tout en douceur sur le sol. Il prit ensuite son pouls pour s'assurer que tout allait bien. Après une sieste d'une dizaine de minutes, Michael, comme l'indiquait le badge sur sa poitrine, reprendrait connaissance avec le sentiment d'avoir raté quelque chose, sans être capable de dire quoi. Et s'il tenait à conserver le boulot qui lui permettait de payer son loyer et ses hamburgers indigestes, il ferait tout ce qu'il faut pour que cet incident reste connu de lui et lui seul. De quoi satisfaire son agresseur.

Le chemin du retour ne présenta aucune difficulté. Après avoir rampé à nouveau dans la tuyauterie climatique, l'homme en noir se retrouva dans la forêt qui jouxtait l'immeuble de la société Narragan Biosciences. L'humidité se faisait plus présente. Il referma la grille consciencieusement et partit au pas de course en direction de l'ouest, vers une clairière qui bordait un lac, bien que de nuit cet endroit ressemblât plus à un marécage. Le point de rendez-vous avec son « Uber ». Il ne s'agissait pas d'une de ces horribles Toyota Hybride qu'affectionne la licorne californienne, mais d'un hélicoptère tapi dans l'ombre. Tout aussi noir que sa combinaison de combat, tout aussi sombre. Les pales de la machine tournaient déjà dans l'air salin du bord de mer. C'était la version civile du Blackhawk, modèle qui équipe les forces spéciales américaines. Les nouveaux suppresseurs de bruits récemment installés étaient tout simplement bluffants. On entendait à peine les deux turbines de mille six cents chevaux, on devinait le woosh-woosh émis par les longues pales noires qui fendaient la nuit.

L'homme en noir accéléra son rythme de course et sauta sans effort sur le plancher riveté du Sikorsky. Alors qu'il reprenait son souffle, il hocha la tête en direction du pilote. Ce dernier joua du collectif et fit décoller la machine avant de frôler la cime des arbres pour rester le plus « furtif » possible. La longue silhouette sombre de l'hélicoptère disparut rapidement en effectuant un virage sur la gauche, en direction de sa base dans le Connecticut. Quelques minutes plus tard, il se posait dans une immense propriété située sur une colline. Au loin, on devinait le halo lumineux de Manhattan qui se dressait face à l'océan. Wall Street semblait à la fois si loin et si proche. Pourtant, ce qui venait de se passer ce soir dans la ville de Narragansett était étroitement lié à la cloche qui retentirait dans quelques heures au sud de Manhattan.

L'homme en noir, lui, avait déjà disparu des écrans radar.

CHAPITRE 1

27 novembre 2021 - 6 h 15 - Manhattan Sud, New York - USA

Il était six heures quinze du matin quand Tom Kelcey émergea de la station de métro de Wall Street. La nuit était encore bien présente en cette fin de novembre. Le jeune homme à l'allure de triathlète avala les escaliers à grandes enjambées. Il aimait arriver tôt au bureau pour prendre le temps de préparer sa journée de trading et faire le point avec les analystes de Brodman, Zimmerman & Sons, le courtier qui l'employait depuis maintenant deux ans.

Après dix-huit mois sous les drapeaux en Afghanistan - l'armée lui ayant tout de même financé ses études à la fac auparavant -, il avait postulé dans plusieurs établissements prestigieux pour dénicher le boulot de ses rêves : trader. Tous les matins, dans le métro depuis Brighton Beach, Brooklyn, où il résidait dans un appartement hérité de ses parents, il lisait et relisait les médias financiers sur sa tablette, espérant repérer la nouvelle qui lui permettrait de faire sa journée. Son métier, il le vivait à cent pour cent dès qu'il mettait les pieds dans la rame. Il était primordial de disposer d'un maximum de données pour appréhender l'équation qu'il devrait résoudre - équation qui avait pour but de deviner la direction du marché. Mettre bout à bout des bribes d'information aboutissant à un tableau complet qui le guiderait dans sa journée. Tout cela ressemblait plus à un jeu de piste qu'à un véritable travail.

Il avait toujours eu le goût des énigmes mais, depuis qu'il travaillait dans la finance, le Sherlock Holmes qui sommeillait en lui ne recherchait aucun coupable. Ses enquêtes poursuivaient des objectifs assez limpides : débusquer les bons coups, gagner de l'argent, faire de la performance. Au réveil, tous les matins, Tom se considérait extrêmement chanceux d'exercer cet emploi, heureux de se lever aux aurores, motivé comme un sportif de haut niveau ou un gamin le matin de Noël. Car il y avait parfois de beaux cadeaux à la clé, des bonus conséquents et la satisfaction d'avoir correctement « lu » le marché. Les journées ne se ressemblaient pas, loin de là. Il pouvait enchaîner les gains pendant des jours, se croire le maître du monde, puis soudain, sombrer dans les pertes et revenir à plus d'humilité. Mais dans ce milieu, on a souvent tendance à ne rien apprendre de ses échecs et à tout oublier, comme le répétait sans cesse son boss. L'appât du gain pouvait en déstabiliser plus d'un, mais Tom mettait un point d'honneur à ne pas tomber dans ce piège. Avant de décrocher son premier contrat de trader, il avait beaucoup potassé le passé de la Bourse, du trading et des marchés. Difficile de passer à côté de l'implacable répétition de l'Histoire. Un trader pouvait afficher des résultats meilleurs que ceux de ses congénères, essentiellement pour sa constance. On faisait de lui une vedette, mais la finance n'est pas une science exacte. Il finissait par chercher des solutions alternatives pour gagner encore plus et rester au top, quitte à flirter avec les limites de la légalité. Tom Kelcey refusait néanmoins de les franchir, l'honnêteté représentant la base de son éducation familiale et de sa formation militaire.

A suivre...

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