BONNES FEUILLES. « Wall Street en Feu » 16/28

ÉPISODE 16/28. La Tribune vous offre 28 épisodes d'un thriller financier hautement addictif. Si vous avez aimé La Firme de John Grisham, alors vous succomberez au premier roman de Thomas Veillet, ex-trader de la banque UBS devenu journaliste financier : « Après avoir vécu l'horreur des combats en Afghanistan, Tom Kelcey pose son paquetage à New York. Bien résolu à se défaire des stigmates de la guerre, il entame une prometteuse carrière de trader à Wall Street, dans une prestigieuse salle des marchés. Son sens de l'observation lui permet de détecter des anomalies et de réaliser des profits colossaux ; sans le savoir il vient de déranger de puissants intérêts ».
(Crédits : Talent Editions)

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CHAPITRE 10

28 novembre 2021 - 16 h 12 - Narragansett, Rhode Island - USA

La capitaine Vanessa Hartmann était aux commandes de son HH60-Jayhawk des gardes-côtes. Le Jayhawk, version civile du Blackhawk utilisé habituellement par les Marines mais avec ses couleurs orange et blanc, typique de la flotte des gardes-côtes, n'était pas l'hélicoptère le plus furtif de la région. Là n'était pas le but. Les gardes-côtes se doivent d'être remarqués pour les opérations de sauvetage en mer, même si cela peut leur porter parfois préjudice dans la lutte antidrogue. On ne peut pas tout avoir.

Vanessa Hartmann assurait une garde sur la base de Cape Cod quand l'alarme avait retenti. Un navire à la dérive venait d'être signalé en plein milieu des routes maritimes au sud de Newport. Sans afficher les dimensions d'un paquebot, le voilier en difficulté pouvait tout de même causer des dégâts en cas de collision avec un porte-conteneurs, ces monstres des mers qui transitaient dans la région avant de contourner la péninsule de Cape Cod et de remonter vers leur destination finale : Boston.

Les gardes-côtes avaient dépêché un remorqueur pour prendre en charge le voilier à la dérive, mais il ne serait pas sur zone avant la nuit. Et si quelqu'un avait eu un malaise à bord, on ne devait pas traîner. La jeune pilote de vingt-neuf ans avait donc décollé avec son copilote et navigateur, Juan Pablo Gisbert, un Américano-Hispanique qu'elle connaissait depuis sa formation, et un des plongeurs de sauvetage de garde. Ryan quelque chose, un jeune con arrogant qu'elle appréciait modérément. Et elle se faisait un malin plaisir à ne pas retenir son nom de famille. Mais il fallait le reconnaître, c'était un pro hyper compétent - ou complètement cinglé, selon l'angle de vue. Il lui en avait déjà fait voir des vertes et des pas mûres lors de leurs dernières interventions communes. Le type flirtait avec le danger comme d'autres avec des jolies filles dans les bars.

Le voilier en perdition avait été signalé par un porteconteneur chilien trente-cinq minutes auparavant. Cependant, entre vents et courants, sa position avait pu évoluer dans un rayon de plus ou moins vingt-cinq miles nautiques. En mer, cela faisait beaucoup.

Si elle en croyait ses instruments, Vanessa ne devait plus être très loin. Elle pressa l'interrupteur de son intercom et lança à son équipage :

- Messieurs, on arrive sur site. Notre cible est quelque part par là. Ouvrez grand vos yeux. La nuit va tomber dans quarante-cinq minutes et ensuite, ça sera compliqué. Je ne vais pas vous apprendre votre métier. Alors, au boulot !

Elle vérifia encore une fois ses paramètres de vol et ajouta :

- Le premier qui me trouve ce voilier, je lui paie une bière au mess ce soir.

- Capitaine, les bières sont gratuites au mess, lui répondit Gisbert.

- C'est justement pour ça, sourit-elle. Ça me coûtera moins cher.

Dans son dos, le plongeur esquissa un sourire et ouvrit la porte coulissante pour s'offrir une meilleure vue sur l'Atlantique s'étirant à perte de vue. Sans être démontée, la mer moutonnait et l'on pouvait observer des creux de moins de deux mètres. Ces pros du sauvetage en mer en avaient vu d'autres.

Respectant la procédure de recherche, la jeune femme gagna un peu d'altitude pour disposer d'une vue d'ensemble, puis entama une descente lente et progressive en cercles concentriques. Pendant quelques minutes, on n'entendit plus que le bruit des pales qui augmentaient leur incidence pour freiner la chute naturelle du monstre de dix tonnes. Dans leurs casques, les trois occupants de l'appareil profitaient des grésillements de la radio entrecoupés des conversations sur la fréquence de secours.

Vanessa attendit un temps mort entre deux phrases et annonça :

 - Hélicoptère 6-0-6-2, gardes-côtes US à douze minutes sud de Newport. Entame une descente d'observation entre six mille pieds et niveau mer. Descente en cercle.

Personne ne lui répondit. Une procédure normale puisqu'elle annonçait simplement ses déplacements dans une zone où elle n'était pas supposée rencontrer d'autre aéronef. Soudain, elle entendit Ryan dans son casque :

- Capitaine ?

- Oui, sergent ?

- La bière, je peux choisir entre bouteille et pression ? Le voilier est à huit heures. Si vous inclinez un peu la machine, vous devriez tomber dessus. Je verrouille ma combinaison. Prêt pour l'hélitreuillage dans quinze secondes, c'est vous qui me donnerez le top.

Vanessa était impressionnée, quand le gamin se mettait au travail, il respirait la maîtrise et la sobriété de geste. À l'idée de descendre pendue à un câble pour aller caresser les eaux glaciales de l'Atlantique Nord, la capitaine Hartmann était au bord l'évanouissement. Un métier qui demandait une sacrée dose de courage, et peut-être parfois d'inconscience.

La pilote pressa l'intercom :

- Bien reçu, cible repérée ! J'entame la descente sur zone.

Tel un oiseau de proie qui ajuste le coup fatal, le Jayhawk bascula dans la direction du voilier en perdition. Une manœuvre maintes fois répétée lors des sorties d'entraînement.

Le sergent-plongeur Ryan Griffith observait le voilier d'une douzaine de mètres où on ne distinguait pas âme qui vive sur le pont. Ballotée par les vagues, l'embarcation constituait une bien mince piste d'atterrissage, mais il en avait vu d'autres. Il allait remettre sa vie entre les mains de la jeune pilote qui annonça :

- Plongeur, treuil latéral gauche opérationnel

- Bien reçu, je prends. Les voiles sont affalées, et je peux descendre en me sécurisant contre le mât. Le vent est modéré.

Lors de ce genre de manœuvre, les voiles représentaient un réel danger. L'homme hélitreuillé pouvait s'empêtrer dedans et plomber l'hélicoptère comme victime d'un mortel fil à la patte. Il y a quelques années, un équipage de la base s'était abîmé en mer dans pareilles circonstances. Bilan : deux morts et un disparu. Aujourd'hui cependant, tout se présentait pour le mieux : voiles affalées, vent raisonnable de dix nœuds et houle modérée. Après une phase d'observation d'environ une minute, la jeune pilote ramena doucement sa machine à l'exacte verticale de l'embarcation et se positionna, immobile, une vingtaine de mètres au-dessus du voilier. Puis elle fit descendre le plongeur délicatement avec son treuil, mètre après mètre, jusque sur le pont. Avec le mouvement erratique du voilier sans pilote, les derniers centimètres furent les plus délicats, mais Ryan ne se laissa pas chahuter. Il confirma par radio qu'il était bien en place, laissa filer l'élingue et disparut dans la cabine...

Une poignée de minutes plus tard, il réapparut et leva les yeux en direction de l'hélicoptère, comme s'il avait besoin d'un contact visuel pour mieux communiquer :

- On a un mort par balle dans la cabine, ça ressemble à un suicide.

- Bien reçu, sergent. Le moteur du bateau fonctionne ?

- Peut-être, mais la jauge d'essence est à zéro.

- Je vous envoie le sac pour emballer le corps et le remonter, ou on laisse tout sur place pour le remorqueur ?

- Je le sors et vous m'envoyez le sac. On le ramène avec nous. Il ne fallut pas plus de dix minutes pour mener à bien l'opération. Le plus difficile fut sans doute de hisser le cadavre de la cabine sur le pont à travers l'étroit escalier. Ryan s'entraînait cependant tous les jours pour ce genre de cas de figure. Ensuite, la manœuvre ne posa aucun problème. Le plongeur fut remonté par le filin lesté de son funèbre colis, emballé dans un sac noir destiné au coroner.

Une fois le cadavre et le plongeur à bord, la porte coulissante fermée, le Jayhawk reprit de l'altitude. Ryan eut à peine le temps de sécuriser le sac mortuaire à l'arrière de l'appareil. Soudain, l'hélicoptère fut secoué par une énorme explosion et dangereusement déporté de sa trajectoire, comme soumis à un trou d'air. Une cinquantaine de mètres au-dessous, le voilier vola en éclats avec une violence inouïe. Des débris furent projetés dans toutes les directions. Seul un éclat fendilla la vitre côté passager, l'hélicoptère s'en tira à bon compte. Sous le choc, les trois équipiers se regardèrent dans un silence de mort. À quelques minutes près, ils rentraient à deux... voire pire.

Au même moment, Tom Kelcey refit surface. Il avait fini par s'extirper des méandres des tunnels du métro. Mis à part des rats gros comme des chiens, il n'avait croisé personne. Trop pressés de lui préparer une embuscade chez lui, les deux costumes gris avaient déserté la zone. Son périple de spéléologue mena Tom, un peu par hasard, sur la 6e Avenue, en face du Barclay's Center. Il en profita pour s'acheter une casquette des Nets moche au possible. Il ne supportait pas cette équipe de NBA qui ne gagnerait certainement jamais rien, mais au moins, leur casquette dissimulerait son visage. Il prit aussi le temps de s'acheter une parka verte avec une grosse capuche en fausse fourrure pour cent dollars. Il opta pour une taille XXL, afin de pouvoir l'enfiler pardessus son blouson de cuir et paraître bien plus gros qu'il n'était. Avec ce changement de silhouette, le camouflage devrait faire illusion quelque temps.

Ainsi équipé, il s'engouffra dans le premier magasin d'électronique venu et s'acheta trois téléphones jetables et un smartphone avec un nouveau numéro, là aussi avec une carte prépayée. Au vu des moyens technologiques de ses poursuivants, il valait mieux ne pas tenter le diable. Le vendeur, un gamin d'origine asiatique d'une vingtaine d'années, tiqua un instant face à la demande de ce client suspect. On achète rarement autant de téléphones jetables pour communiquer paisiblement avec sa grand-mère. Mais après tout, c'était du chiffre d'affaires.

Tom Kelcey entra ensuite dans un café qui puait l'huile de friture, commanda un burger, des frites et un Coca. Il lui fallait un minimum d'énergie pour essayer d'y voir plus clair. Un truc appris à l'armée : ne jamais négliger l'alimentation, tu ne sais jamais quand sera ton prochain repas. Lorsque la serveuse lui apporta sa commande, Tom était déjà perdu dans ses réflexions, installé à une discrète table au fond de la salle, à la recherche d'un détail qui lui permettrait de prendre l'initiative.

Pendant que les quatre hommes tenaient conciliabule sur la terrasse, Rebecca tirait sur ses liens dans tous les sens. À force de persévérance, la corde qui enserrait sa main droite semblait perdre de sa pression. La jeune femme reprit un peu d'espoir et s'acharna, quitte à entailler sa peau. Et soudain, sa main se libéra ! Elle la remua dans tous les sens pour faire disparaître la colonie de fourmis qui en avait pris possession. Elle tenta de respirer calmement, de ne pas céder à l'euphorie pour ne pas alerter ses ravisseurs. Que pouvait-elle faire ? Du regard, elle parcourut la pièce et aperçut une statuette en métal exposée sur la table du salon. Si elle pouvait s'en emparer et assommer un des hommes pour lui subtiliser son arme... Des chances de réussite bien minces.

Rebecca lança un regard à sa compagne d'infortune, comme pour la rassurer, mais dans les yeux de cette femme qui aurait pu être sa mère, elle ne vit qu'une supplique : ne bougez pas, ne prenez aucun risque. La compagne de Tom Kelcey observa patiemment les quatre hommes et profita de leur éloignement tout relatif pour se détacher les pieds. Après une vingtaine de minutes, deux des intrus s'éloignèrent dans le jardin : l'opportunité à saisir. Rebecca McCaskill se leva le plus silencieusement possible de sa chaise, se faufila en direction de la statuette et au moment où elle mit la main dessus, entendit une voix qui intimait :

- Pose ça immédiatement ou je te descends !

Son sang se figea, mais c'était trop tard. Elle se retourna en levant les mains en signe de reddition et dans le même mouvement, son corps pivota et elle lança la statue de toutes ses forces en direction de l'homme armé.

A suivre...

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