BONNES FEUILLES. « Wall Street en Feu » 13/28

ÉPISODE 13/28. La Tribune vous offre 28 épisodes d'un thriller financier hautement addictif. Si vous avez aimé La Firme de John Grisham, alors vous succomberez au premier roman de Thomas Veillet, ex-trader de la banque UBS devenu journaliste financier : « Après avoir vécu l'horreur des combats en Afghanistan, Tom Kelcey pose son paquetage à New York. Bien résolu à se défaire des stigmates de la guerre, il entame une prometteuse carrière de trader à Wall Street, dans une prestigieuse salle des marchés. Son sens de l'observation lui permet de détecter des anomalies et de réaliser des profits colossaux ; sans le savoir il vient de déranger de puissants intérêts ».
(Crédits : Talent Editions)

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CHAPITRE 8

28 novembre 2021 - 8 h 32 - Hoboken, New Jersey, - USA

Riccardo Malagacchi venait de se réveiller. Enfin, si on pouvait considérer comme du sommeil ces dernières heures.

Il cuvait encore son trip de la veille et se sentait complètement vidé par l'excès de coke. Ce genre de matin où il se disait qu'il faudrait tout arrêter au plus vite, se mettre au sport et reprendre une vie saine et normale. Mais sa dépendance était bien trop profonde. La coke lui avait ôté tout libre arbitre. Et l'appel du produit se faisait déjà sentir... Un rail de poudre pour se remettre d'aplomb et entamer la journée ?

En y repensant, Malagacchi n'avait rien au programme pour aujourd'hui. Son job de la veille achevé, il était dans l'attente d'un prochain contrat. Rien d'autre à faire qu'occuper son oisiveté et dépenser les cent mille dollars cash qu'il venait de toucher. Il s'arracha du canapé et décida de prendre une douche avant d'aller se ravitailler en coke. Il reviendrait ensuite s'enterrer dans sa « cave », et hackerait, pourquoi pas, un site porno, histoire de passer le temps. Au fond de lui, il se dégoûtait, mais comment revenir en arrière. Il ne pouvait que finir dans un mur. C'est sur cette dernière pensée pseudo philosophique qu'il se dirigea vers la salle de bains.

Si Riccardo avait eu tous ses sens en éveil, il aurait remarqué la porte d'entrée déverrouillée. Il était en train de se demander s'il avait bien effacé tous ses historiques de navigation de la nuit. C'est en tirant le rideau de douche qu'il sentit la lame pénétrer sous son omoplate gauche, déchirer les chairs de son muscle dorsal et envoyer un éclat de douleur foudroyant à son cerveau. Un cri désespéré voulut s'échapper de sa bouche, mais une main gantée sortie de nulle part empêcha le hurlement de passer la frontière de ses lèvres. La lame continua son exploration en direction de son cœur, le sectionnant littéralement en deux. L'arrêt brutal de son système circulatoire lui fit perdre connaissance avant de toucher le sol.

Froid et méthodique, son assassin mettait les pieds dans la « cave » de Riccardo Malagacchi pour la seconde fois. Il avait livré le matériel informatique high tech quelques jours auparavant. Trop négligé, l'informaticien ne lui avait pas laissé une bonne impression. Il éprouvait une profonde aversion pour les drogués. Exécuter Malagacchi fut donc un plaisir. Un être humain inutile qui avait eu son heure de gloire en servant un projet d'une grande importance.

Avant de sortir de ce qu'il considérait comme un trou à rats, l'homme décrocha les deux cylindres attachés à sa ceinture. Il dévissa les goupilles sur le dessus de chacune et les fit rouler sous le bureau où trônaient les écrans, tout contre l'énorme disque dur posé au sol. Isolées derrière la porte blindée, les grenades thermites explosèrent presque instantanément, déclenchant un incendie qui allait tout réduire en cendres en l'espace de quelques minutes. Le tueur pensa au médecin légiste qui aurait Malagacchi sur sa table dans quelques heures : le casse-tête ne serait pas simple à résoudre. Il se glissa dans la ruelle et rejoignit le gros 4×4 qui l'attendait à quelques dizaines de mètres. À cette heure-là, les seules personnes que l'on croisait dans le quartier se remettaient péniblement des excès de la veille. Elles se souvenaient à peine de leur prénom ; autant dire que le risque que l'on se souvienne de lui était quasiment nul.

Lamar faisait la gueule. Kelcey affrontait son mur d'écrans de trading. Les mains jointes sous son menton, il ne savait plus quoi penser. Il venait d'encaisser 3,7 millions de dollars en shortant Narragan Biosciences. Il ne s'était jamais senti aussi bien dans son métier que lors de cette dernière année écoulée. Et maintenant, il se retrouvait embarqué dans cette sale histoire. Il essayait de réfléchir rationnellement. Lui revenait à l'esprit son entraînement militaire au cours duquel il avait appris à affronter l'adversité, à ne pas se laisser encercler par l'ennemi. Sauf que dans le cas présent, il ne savait pas qui était l'ennemi, ni comment il comptait l'encercler.

Son téléphone portable vibra sur son bureau, déplaçant dangereusement son café froid. Un numéro masqué. Il rejeta l'appel par réflexe. Dans la seconde, le téléphone sonna de nouveau. Tom rejeta une nouvelle fois la communication, mais il commença à gamberger. Au vu de la situation, il répondit à la troisième tentative :

- Allô ?

- Tom Kelcey ? demanda une voix d'homme tout ce qu'il y a de plus banale.

- Qui le demande ?

- Vous êtes bien Tom Kelcey ?

- Vous êtes sourd ?

- Pardon ?! répondit la voix inconnue.

- Je vous demande « qui le demande » et vous ne vous présentez pas. Donc, êtes-vous sourd ? J'admets que ça ne ferait pas de sens de m'appeler au téléphone si vous êtes sourd, mais...

- La ferme, aboya la voix. Si vous êtes Tom Kelcey, vous allez écouter attentivement ce que je vais vous dire. D'après nos calculs, vous avez shorté pour l'équivalent de cinq millions de dollars d'actions Narragan et les avez rachetées il y a quelques minutes pour un profit de 3,7 millions de dollars.

Le sang de Tom se glaça instantanément dans ses veines. Ils étaient au courant de ses moindres faits et gestes. Mais qui sont ces types ? Il répondit d'un ton qui se voulait décontracté, sans trop faire illusion :

- Je suis soumis au secret professionnel et je ne peux... Son interlocuteur le coupa brutalement :

- Écoute-moi bien, espèce de connard ! Tu vas arrêter de jouer au clown et écouter comme un bon garçon. Si tu ne fais pas exactement ce que je te dis, je vais raccrocher et tu n'auras pas envie de connaître la suite... À moins que tu ne tiennes pas à ta petite amie, ou à la femme et aux gosses de ton patron...

Tom fut incapable d'articuler le moindre mot. Il prenait soudainement toute la mesure de ce qui était en train de se passer.

- Bien, je vois que tu as une grande gueule, mais qu'il n'y a personne derrière. Un bon banquier standard. Alors écoute bien, petit merdeux ! Tu viens de créditer ton compte trading de 3,7 millions. Je te donne le numéro si tu as un doute : c'est le 812 914 B.

Tom était tétanisé. Si son correspondant connaissait les numéros de comptes internes, c'est qu'il avait des complices dans la banque. Comme un animal pris au piège, Tom scruta les environs pour voir si quelqu'un l'observait. Mais il ne remarqua rien de spécial. Rien d'autre qu'une salle en pleine ébullition, des traders qui criaient avec deux téléphones à la main, du bruit, des claviers qui cliquetaient et l'imprimante à côté de lui qui crachait des tonnes de papier avec le plus grand mépris pour la déforestation. Personne ne le regardait, personne ne prenait la mesure de ce qu'il était en train de vivre, à part peut-être Lamar qui écoutait la discussion, l'air de rien.

- Je prends ton silence pour un acquiescement. Ça marche mieux quand tu ne fais pas le malin, reprit son interlocuteur. Tu vas donc transférer cette somme de ton compte trading au compte numérique que je t'ai envoyé par mail à l'instant. Et...

Dans un dernier sursaut d'orgueil, Kelcey articula :

- Je ne suis pas autorisé à transférer de l'argent à l'externe, je...

- Ne me prends pas pour une bille, tu es autorisé à le faire si ton boss signe le transfert. Et je suppose qu'une fois qu'il saura que sa femme est à trois mètres de moi et au souvenir du coup de feu d'hier soir, il acceptera. Tu as trente minutes pour faire le nécessaire.

Puis plus rien. Le maître chanteur avait raccroché.

Les mains de Tom tremblaient. Finie l'apparente désinvolture affichée au début de l'appel. Son cerveau fut victime d'une défaillance de quelques secondes. Impossible de réfléchir à quoi que ce soit. Puis il remonta à la surface. Il bidouilla pendant quelques secondes son clavier, s'y reprenant à plusieurs reprises pour envoyer un mail à Callahan. Ensuite, il se leva tel un zombie et se dirigea vers le bocal. Et ce qu'il y trouva ne fut pas de nature à le rassurer.

Bill Callahan, livide, tenait son smartphone dans une main et balbutiait :

- Ou-oui... c'est entendu. Ne lui faites pas de mal.

Tom comprit qu'il était en communication FaceTime. Callahan posa son téléphone et implora son subordonné d'un air désespéré. Ses traits avaient pris dix ans en quelques secondes.

- Ils ont Mary...

On n'était plus dans le domaine du bluff. Une coulée glacée de transpiration parcourut la colonne vertébrale de Tom Kelcey. Il pensa brièvement à Rebecca et tenta de retenir la vague de panique qui montait. Il récupéra son portable dans sa poche arrière de jean et déroula sa liste de favoris pour l'appeler.

Sonnerie dans le vide et boîte vocale.

- Beckie, c'est moi, rappelle-moi au plus vite, c'est urgentissime.

Puis il se tourna vers Bill Callahan.

- Qu'est-ce qu'on fait ? Il faut appeler les flics, c'est trop pour nous. On est des financiers, pas des mafieux !

- Déjà, on leur verse les trois millions et des poussières qu'ils réclament ! Et après, on avise. Je refuse de prendre le moindre risque avec Mary en mêlant la police à cette histoire.

- Le transfert est fait, tu dois juste le valider. Je viens de t'envoyer un mail. Mais bon sang, qui sont ces mecs... ?

Callahan n'arrivait plus à retrouver son calme. Il afficha tant bien que mal le mail de validation et finalisa le transfert en deux ou trois clics fébriles. Puis il prit plusieurs respirations pour essayer de s'apaiser et remettre de l'ordre dans ses pensées.

- Écoute, Tom, on ne sait pas qui ils sont mais ce qui est certain, c'est qu'ils ont des méthodes de gangsters. Ils n'ont pas l'habitude qu'on leur dise non. Personnellement, je n'ai aucune intention de me retrouver dans une vendetta entre mafieux en cols blancs. Ils semblent prêts à tout pour ne laisser aucune trace sur une opération de délit d'initié de grande envergure. Donc, on leur paie ce qu'ils veulent, j'expliquerai à Dalmore le pourquoi du comment. Et s'il n'est pas content, il pourra me foutre dehors, je m'en cogne.

Tom tenta d'interrompre son supérieur, mais ce dernier lui fit un grand geste du bras pour signifier qu'il n'avait pas fini.

- Là, ils s'en prennent à ma famille et peut-être à la tienne.

On n'est pas des cadors, alors ça suffit !

- Tu penses qu'une fois qu'ils auront obtenu ce qu'ils veulent, ils nous laisseront tranquilles ?

- Ils veulent du fric, et peut-être virer Dalmore de son poste. Ils peuvent faire ce qu'ils veulent, je n'ai pas l'intention de morfler !

- D'ailleurs, pour Dalmore, on fait quoi ?

- On ne fait rien ! Maintenant que le transfert est effectué, je rentre chez moi et je vais récupérer ma femme... et essayer d'oublier tout ça.

- Mais, Bill, j'ai du mal à croire qu'ils vont en rester là. Il faut peut-être creuser un peu pour savoir qui est derrière tout ça, non ?

Bill Callahan s'était levé, il avait saisi sa veste et marchait en direction de la porte de son bureau comme possédé. Tom ne tenta pas de le retenir.

Rebecca McCaskill allait sortir de chez elle. Une femme mince et sportive, plus proche de la vingtaine que de la trentaine. Son physique ne laissait pas les hommes indifférents. Le seul qui paraissait un peu moins attiré en ce moment, c'était son compagnon. Tous les matins, elle partait vers 9 h de l'appartement qu'elle occupait avec Tom Kelcey. Elle prenait ensuite le taxi jusqu'au nord de Prospect Park et, ensuite, c'était métro pour Manhattan. Sauf que ce matin, son patron était censé la récupérer à la maison pour l'emmener passer une journée à l'extérieur. Elle se doutait bien de ce qui se cachait derrière cette escapade et ne savait pas encore quelle attitude adopter s'il devenait trop insistant. Sa relation avec Tom se dégradait de jour en jour, elle avait besoin d'autre chose. Les regards insistants de son employeur l'émoustillaient depuis quelque temps. Ce matin, elle avait d'ailleurs apporté un soin particulier à sa tenue et à son maquillage.

Rebecca n'était pas le genre de femme à se laisser séduire facilement, a fortiori lorsqu'elle était en couple. Mais après avoir vu sa mère dépérir devant le manque d'attention de son époux, elle se refusait à passer le reste de sa vie avec un trader obnubilé par Wall Street. Elle avait besoin d'attention et d'effervescence. Rencontrer des gens intéressants, sortir, manger dans de bons restaurants, danser... Tom Kelcey semblait bien incapable de lui proposer tout cela. Surtout qu'il était complètement sourd à ses reproches.

Le carillon de la porte résonna dans la pièce, et elle se précipita pour ouvrir. Elle jeta machinalement un œil à travers le judas et en reconnaissant le visage de son patron, elle ouvrit grand la porte.

- Frank, je suis contente de vous voir, lança-t-elle.

Dans un étrange abandon, le visiteur s'affala sur la poitrine de Rebecca. La jeune femme essaya en vain de le retenir. Le pauvre était sûrement en train de faire un malaise. C'est alors qu'elle aperçut un homme surgir derrière son patron pour lui asséner un violent coup au visage. Avant de perdre connaissance, elle eut juste le temps de se rendre compte qu'elle était couverte du sang de Frank.

A suivre...

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