BONNES FEUILLES. « Wall Street en Feu » 14/28

ÉPISODE 14/28. La Tribune vous offre 28 épisodes d'un thriller financier hautement addictif. Si vous avez aimé La Firme de John Grisham, alors vous succomberez au premier roman de Thomas Veillet, ex-trader de la banque UBS devenu journaliste financier : « Après avoir vécu l'horreur des combats en Afghanistan, Tom Kelcey pose son paquetage à New York. Bien résolu à se défaire des stigmates de la guerre, il entame une prometteuse carrière de trader à Wall Street, dans une prestigieuse salle des marchés. Son sens de l'observation lui permet de détecter des anomalies et de réaliser des profits colossaux ; sans le savoir il vient de déranger de puissants intérêts ».
(Crédits : Talent Editions)

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Tom s'acharnait sur son smartphone. Rebecca ne répondait toujours pas à ses appels. Après le kidnapping de Mary, la tension et l'inquiétude le gagnaient. Tom ne pouvait pas accepter l'idée qu'on fasse du mal à Rebecca. Il essaya encore une fois et laissa un cinquième message :

- Becky, c'est moi. J'ai vraiment besoin de te parler. Est-ce que tu peux me rappeler, s'il te plaît... ?

Rebecca reprit connaissance à même le sol d'une camionnette rouillée et en fin de vie. Elle mit d'interminables secondes pour comprendre la situation. Ce qui dégoulinait sur son front n'était pas de la sueur mais du sang. La panique l'empêchait presque de respirer, sans parler du bâillon à l'odeur infecte enfoncé dans sa bouche. En se contorsionnant, elle parvint à apercevoir deux hommes de dos. L'un des deux était au téléphone, et elle crut comprendre le mot « Tarrytown » à la fin de la conversation.

Elle ne fit même pas mine de tenter de se redresser, tant les liens étaient serrés. Son angoisse monta d'un cran lorsqu'elle vit le passager du véhicule se diriger vers elle en enjambant le siège avant. Il s'accroupit, la saisit sans ménagement par les cheveux pour voir si elle était consciente et se retourna vers son comparse pour lui lancer :

- La demoiselle est à nouveau parmi nous !

- Rendors-la, lui répondit le chauffeur.

Rebecca vit la main de l'homme se lever, et elle perdit conscience quasiment au moment de l'impact.

Le lieutenant Maverick Jenrette descendit de sa voiture et regarda machinalement sa Breitling, cadeau de sa femme pour leurs vingt-cinq ans de mariage. Onze heures du matin et déjà sur une scène de crime. Une espèce de cave transformée en appartement dans les sous-quartiers d'Hoboken avait totalement cramé. Selon les pompiers, le gros morceau de charbon recroquevillé dans la salle de bains avait été autrefois un être humain. Avec un peu d'imagination.

Maverick Jenrette se dirigea vers le capitaine des pompiers, un grand blond aux allures de Viking. Lui qui ressemblait à Joe Pesci, en plus petit, se sentait légèrement complexé. Le colosse blond se retourna vers lui en le surplombant de toute sa hauteur. Le flic lui tendit la main en se présentant :

- Lieutenant Maverick Jenrette, Hoboken Police Department...

Le pompier le dévisagea en souriant et lui posa la question qu'il avait entendue des centaines de fois dans sa vie :

- Maverick ? Comme dans Top Gun... ?

- Tout à fait, comme dans Top Gun. À cause de mon physique, les producteurs n'ont pas voulu de moi, je n'ai gardé que le prénom. Rassurez-vous, j'ai assassiné mes parents depuis longtemps pour m'avoir appelé comme ça.

Le géant blond le regarda avec surprise...

- Je plaisante, capitaine, mais au bout de la dix-neuf millième fois qu'on me demande « comme dans Top Gun », j'ai pris l'habitude de trouver des réponses un peu divertissantes. J'en ai même tout un calepin dans ma voiture, vous voulez le voir ?

Le capitaine des pompiers se demanda si Jenrette disposait de tous ses moyens intellectuels, mais le flic poursuivit sur sa lancée :

- Bon, alors, qu'est-ce qu'on a ?

- Incendie criminel. L'incendiaire a voulu tout détruire, notamment la zone où se trouvaient ce que je suppose être des ordinateurs. Mais vu le merdier que devait être ce cloaque, tout a cramé, y compris le type dans la salle de bains, dit-il en désignant un bout de plastique fondu à côté duquel se trouvait un tas noirâtre aux faux airs de macchabée.

Maverick fit brièvement le tour de la pièce, où presque tout était carbonisé ou réduit à l'état de cendres. Au milieu trônait l'armature métallique d'un canapé. Quelques feuilles de papier noircies avaient étrangement échappé à la destruction pure et simple. Sur le coin de l'une d'elles, on devinait une espèce de logo. Le flic ramassa le bout de papier et le glissa dans une pochette en plastique. L'équipe du labo pourrait peut-être mettre un nom sur ce logo. Le début d'une piste ? Il se redressa et se dirigea vers l'immense pompier en train de donner des instructions à ses hommes.

- Dites-moi, capitaine, vous m'avez parlé d'une origine criminelle ? Vous pouvez m'en dire plus ?

- Vu les traces et le niveau de chaleur dégagé, à moins que le type qui habitait ici ait eu pour passion de fumer à côté de sa collection de grenades thermites... J'imagine qu'on a dû l'aider. Je vous transmets mon rapport dans les vingt-quatre heures. Le légiste pourra sûrement vous dire si notre ami par terre est mort avant ou pendant le feu d'artifice.

- OK, merci, capitaine, j'attends votre rapport.

Le lieutenant de police se dirigea vers les deux brancardiers qui inséraient le cadavre dans un épais sac gris.

- Prévenez le légiste que je passerai dans l'après-midi...

Il sortit de la pièce : l'odeur de plastique brûlé et de chair carbonisée commençait à lui provoquer des nausées. Enfin à l'air libre, après quelques respirations à pleins poumons, il se découvrit une petite faim. Il connaissait un restaurant vers la gare, à deux pâtés de maisons de l'hôpital où son macchabée allait finir. Autant manger un bout avant d'y aller. On lui avait appris à ne jamais assister à une autopsie le ventre vide. Aussi surprenant que cela puisse paraître, le truc fonctionnait bien. Il tourna la clé de contact de sa Ford de fonction et se dirigea vers le sud, se disant que cette affaire n'allait certainement terminer nulle part.

Trop peu d'indices. Pas de traces d'effraction sur la porte blindée. Soit le tueur connaissait le code, soit la victime connaissait le tueur, ce qui réduisait la liste des suspects aux dix millions de personnes qui naviguent entre New York et le New Jersey tous les jours.

Chez Brodman & Zimmermann, Tom commençait à paniquer, ignorant sa formation militaire. Scotché sur sa chaise, il ne voyait plus les graphiques ni les cotations défiler devant ses yeux. Tous les matins, il analysait une centaine de graphiques pour tenter de débusquer la bonne affaire et la position gagnante. Pour le moment, ses yeux s'agitaient dans le vide. Degré zéro de la pensée et de la réflexion.

- Lieutenant, ça va ? demanda Lamar, de plus en plus fébrile lui aussi.

- Hein, quoi ?

- Ça fait une heure que je te parle et que tu es prostré face au graphique NABI. Tu avais des positions en Narragan ? Tu t'es fait démonter et tu cicatrises ?

Le langage fleuri des salles de trading. Tom n'y était pas insensible. Après deux années sous l'uniforme, à dormir avec vingt soldats dans la même tente, il pensait avoir tout vu et tout entendu. Mais en arrivant dans ce monde, à dix mille kilomètres de Kaboul, il s'était rendu compte que les gentils banquiers, avec leurs costumes sur mesure et leurs jolies cravates, pouvaient se montrer aussi vulgaires qu'un peloton de Marines sevrés de femmes et de bières depuis des mois.

- Désolé, Lamar. Non, je n'avais pas de position en Narragan, j'étais short. Et tu le sais bien, je ne me suis pas fait démonter, bien au contraire.

- Ah, ben joli, parce qu'il fallait oser. Pis, t'as aussi eu un peu de bol que les gars de chez Narragan aient fait joujou avec leurs serveurs et qu'un abruti ait effacé toute la data.

- Pourquoi tu dis ça ?

- Eh bien, j'ai vu une interview du CEO de Narragan tout à l'heure. Il disait que, durant la nuit, toutes leurs données de recherche avaient été supprimées. Il avait vraiment l'air de ne pas comprendre ce qui s'était passé. Apparemment, tous leurs systèmes de back-up ont vrillé, tout a été perdu.

Tom savait bien que cet événement n'était pas fortuit, qu'une main hostile avait provoqué ce désastre numérique. Peut-être fallait-il remonter la piste en commençant par là, avant de savoir qui était derrière tout cela.

- Lamar, tu sais quoi ?

- Non, aucune idée, tu vas m'offrir à manger ?

- Non, je vais t'éviter de prendre du poids. Je vais prendre mon après-midi.

- Mais non, j'ai la dalle, moi... Et je dis quoi si on me demande où tu es ?

- Personne ne va te demander où je suis. On est des dizaines dans cette salle, je suis là depuis deux ans, je connais à peine le prénom du mec assis à ta droite et quand je le croise en ville, il m'évite. En plus, Bill Callahan vient de partir. Je vais donc me barrer et, si on me demande, tu diras que je suis reparti en Afghanistan pour récupérer une cargaison d'opium.

- Mais Bill est là, tu étais avec lui dans son bureau il y a dix minutes, fit Lamar en se retournant pour constater que le bocal était vide.

Tom avait déjà récupéré sa veste en cuir sur le dos de sa chaise. Il marchait en direction de l'ascenseur, laissant Lamar dépité. Il ne se retourna même pas en entrant dans la cabine. S'il l'avait fait, il aurait vu deux individus en costume gris, cravate grise, avançant vers Lamar Loggins.

Hébêtée, Mary Callahan n'esquissait pas le moindre geste, ligotée sur une chaise de sa salle à manger. Deux hommes masqués la surveillaient depuis la cuisine. L'épouse de Bill Callahan était une femme frêle à l'allure fatiguée. Jamais elle n'aurait imaginé se retrouver dans une situation pareille. Elle s'était contentée d'ouvrir la porte d'entrée après avoir entendu le carillon, en pensant que c'était un livreur Amazon ou quelque chose du genre. Elle s'était retrouvée face à deux hommes armés qui lui avaient intimé l'ordre de se taire et de reculer. Elle fut bien incapable d'articuler un mot. Et encore moins d'agir, d'ailleurs qu'aurait-elle bien pu faire face à deux molosses deux fois plus volumineux qu'elle ?

Le cerveau en ébullition, elle se demandait bien ce que ces brutes lui voulaient. Ils n'avaient pas décroché un mot depuis plusieurs minutes. Soudain, l'un d'eux se leva pour sortir accueillir deux hommes vêtus de noir et tout aussi cagoulés. L'un des deux portait une femme sur l'épaule, tout comme elle, ligotée et bâillonnée. Couverte de sang, la malheureuse aurait tout aussi bien pu être morte que vive. Le niveau de terreur de Mary Callahan grimpa d'un cran, et tout cela sans avoir la moindre idée de ce qui se tramait chez elle. L'homme déposa Rebecca McCaskill sur la chaise à côté de Mary. Il dégageait une odeur écœurante de parfum bon marché. Elle ne voyait que ses yeux au milieu de la cagoule, et, rien qu'en les regardant, elle sut que pour cet homme, elle n'était que de la viande.

A suivre...

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