Capital-investissement : « Tout le monde anticipe un rebond au deuxième semestre 2024 » (Charles César d'Amat, Impact Business Angels)

Le capital-investissement ou private equity a connu des difficultés en 2023 avec un tarissement des financements et des startups à la peine. Mais les choses pourraient bien changer en 2024. C’est en tout cas l’avis de Charles César d’Amat, investisseur à la tête d’une vingtaine de sociétés et fondateur d’Impact Business Angels, qui rassemble des investisseurs souhaitant investir dans des projets éthiques ou écologiques. Ce dernier entrevoit des perspectives encourageantes pour l’année à venir, notamment pour les jeunes pousses tournées vers la transition écologique.
Maxime Heuze
Charles César d'Amat
Charles César d'Amat (Crédits : Charles César d'Amat)

LA TRIBUNE - Comment s'est porté le capital-investissement en 2023 et en ce début 2024?

CHARLES CESAR D'AMAT - 2023 a été compliqué. Car 2021 et 2022 ont bénéficié de l'effet Covid et l'importante thésaurisation des ménages qui a permis à une grande quantité d'épargne de se déverser sur le capital-investissement. Lors de ces années fastes, j'ai constaté que les tickets d'entrée pour investir dans des startups tournaient entre 100.000 euros et 250.000 euros. En 2023, ces tickets se sont énormément réduits, entre 25.000 et 100.000 euros, car tous les investisseurs sont revenus sur terre.

C'est, avant tout, la hausse des taux d'intérêts qui a plombé les intentions d'investissement. Puisque les épargnants ont préféré investir dans des obligations qui ont vu leurs taux fortement monter.

Au niveau des thématiques, les investissements verts et à impact sont passés à la trappe, à l'image des startups du bio qui ont connu beaucoup de difficultés l'année dernière. Je ne suis rentré au capital que de trois entreprises, le spécialiste du réemploi de cartons Carton Vert, le réseau social Republike et les fabricants de fromages vegan Jay & Joy.

Et le début de 2024 est encore plus compliqué. Car 2023 a été l'année de la prise de conscience pour les investisseurs qui se sont progressivement éloignés du private equity mais il restait des réalisations d'investissements signés en 2022. En revanche, il est difficile de rassembler et convaincre des investisseurs de s'exposer aux dossiers dont le financement est étalé entre 2023 et 2024.

Comment en est-on arrivé à une telle situation?

Les startups, comme le reste des entreprises, ont été affectées par l'inflation et la hausse des taux d'intérêts. Elles se sont donc retrouvées tout d'un coup en 2023 avec des plans de trésoreries tirés à la baisse par rapport aux deux années précédentes, ce qui ne plaît pas aux investisseurs qui sont donc plus frileux à leur confier leur argent. Dans le détail, de nombreuses startups sont victimes de la baisse du pouvoir d'achat des consommateurs qui nuit à leurs ventes. Beaucoup ont aussi souffert de la hausse du coût de l'endettement à cause de l'augmentation des taux d'intérêts qui ont suivi les taux directeurs de la Banque centrale européenne.

Lire aussiCapital-investissement : la hausse des taux a plongé le marché non coté en hibernation

Mais attention à ne pas faire de généralité, les difficultés des startups dépendent beaucoup de leur typologie et leur secteur. Les industriels, par exemple, connaissent des hausses de charge à cause de la crise énergétique et ont beaucoup de dettes et souffrent donc de la hausse des taux. En revanche d'autres sociétés comme les éditeurs de logiciels ou de solutions informatiques en ont beaucoup moins mais font face à d'autres problèmes. C'est notamment le cas de The Climate company, une jeune pousse qui n'a pas de dette mais qui a rencontré des problèmes de trésorerie dus à des retards de paiements de ses clients et des prises de position trop longues.

L'augmentation des retards de paiements est d'ailleurs un problème sous-estimé et je demande donc souvent aux startups que j'accompagne de faire très attention à leur trésorerie qui est le cœur du réacteur de leur santé économique. Sur ce point, l'Etat est d'ailleurs particulièrement un mauvais payeur car il a des délais de 6 à 8 mois. Tandis qu'en Allemagne, les administrations publiques payent en 3 jours...

La hausse des taux a aussi bousculé les valorisations des entreprises...

Oui, il y a des règles et des outils pour calculer la valeur d'une entreprise mais aussi une certaine marge de manœuvre. Et beaucoup de startups ont pris l'habitude de tirer à la hausse leur valorisation pendant les années fastes post-Covid, pour capter davantage d'argent frais lorsqu'elles font de nouvelles levées de fonds. Plus exactement, je vois qu'elles tentent de se survaloriser plus ou moins en fonction de l'investisseur qu'elles ont en face d'elles. Cela reste de la négociation.

Sauf qu'aujourd'hui, les investisseurs sont moins nombreux et ont surtout moins d'argent à placer donc ces derniers négocient les valorisations à la baisse pour avoir le plus de parts possible pour le moins cher possible. Comme dans chaque marché, c'est un jeu de pouvoir entre offre et demande et comme aujourd'hui les startups ont du mal à se financer donc elles commencent à faire des concessions sur leur valorisation pour attirer les capitaux. Finalement, nous avons connu une correction du marché qui a été très utile puisqu'il a effacé les excès de 2021 et 2022.

Mais, là encore, il ne faut pas généraliser. Certaines boîtes, présentes sur un segment porteur, ont vu leur valorisation exploser même dans cette année compliquée.

Qu'anticipez-vous pour 2024?

Nous sommes en train de sortir du creux de la vague ! Tout le monde anticipe un rebond au deuxième semestre 2024 car l'inflation et la crise énergétique sont derrière nous. De plus, la Banque centrale européenne devrait baisser ses taux directeurs cette année et les taux de crédits sont déjà en train de baisser.

Les startups devraient donc connaître moins de difficultés et afficher de meilleures perspectives tandis que les investisseurs devraient retrouver du goût pour le risque avec la baisse de rentabilité à venir des obligations.

Dans ce contexte, quelles sont vos perspectives concernant les entreprises à impact, écologiques et ou éthiques?

L'impact devient la norme. Elle répond aux problématiques auxquelles doivent faire face les entreprises pour se décarboner donc il y a un énorme potentiel car cette thématique va concerner de l'agriculture à l'industrie en passant par la technologie. En réalité c'est même, selon moi, la plus grosse thématique d'investissement en private equity car il y a vraiment urgence et les entrepreneurs et les consommateurs commencent à peine à en prendre conscience.

Toutes les startups n'auront cependant pas le même chemin. Certaines auront une activité de long terme et d'autres vont avoir des modèles de transition, et vont proposer un service ou un produit le temps que les gros industriels transforment leurs modèles. C'est par exemple le cas de Carton vert ou de Jay & Joy qui vont soit devenir des géants de leur secteur soit être rachetés par les leaders actuels de leur segment.

Pourtant les entreprises à impact comme producteurs d'électricité verte ou d'hydrogène ont connu une véritable hécatombe en Bourse l'année dernière car les investisseurs se rendent compte qu'elles ne seront rentables que dans plusieurs années et ont perdu patience, pourquoi n'en serait-il pas pareil pour le capital-investissement?

En effet, la spéculation court-termiste freine alors que l'impact est une thématique qui peut prendre du temps à trouver de la rentabilité. Pour être plus concret, j'ai investi en 2021 dans The Climate Company, une startup qui réalise des audits climatiques pour les entreprises et les administrations. Et cette dernière affiche des résultats positifs et une viabilité économique seulement aujourd'hui, trois ans après mais de façon exponentielle.

Lire aussiFonds durables : la gueule de bois des investisseurs

Mais justement, le private equity est un type d'investissement de long terme. Les business angels ont généralement une volonté de s'impliquer dans les entreprises dans lesquelles ils ont investi et d'être patients avec ces dernières. Le capital-investissement a donc une temporalité beaucoup plus compatible avec l'impact que la Bourse.

Le private equity français souffre tout de même d'un problème structurel. Les startups manquent de financements en France quand l'on se compare aux Etats-Unis, quelles solutions pourraient être apportées?

Le manque de capital a un impact énorme sur le développement des startups françaises. Nous avons un vrai vivier d'entrepreneurs talentueux et pionniers sur de nombreux sujets. Il y a aussi beaucoup plus d'entrepreneurs qui s'intéressent à l'impact ici qu'aux Etats-Unis.

Mais des projets, bien que géniaux, ont souvent des problèmes à lever des fonds. Beaucoup d'entrepreneurs partent justement aux Etats-Unis pour réussir à lever suffisamment d'argent pour se lancer. L'Hexagone bénéficie pourtant du soutien financier de BPIFrance ou encore de la caisse des dépôts mais ce n'est pas suffisant. Les grosses sociétés de capital-investissement ont un rôle central pour le financement des jeunes pousses françaises mais elles sont beaucoup moins implantées qu'outre-Atlantique.

Une solution pourrait venir des pouvoirs publics. L'Etat pourrait dynamiser l'investissement en private equity en montrant l'exemple en investissement rapidement dans les projets à impact. Surtout, il devrait se placer en pré-lancement, apporter son aide au début de la vie d'une entreprise, pas au bout de plusieurs années avec des crédits d'impôts, quand les entreprises n'ont plus besoin d'aide..

Une autre pourrait venir de l'utilisation des cryptomonnaies pour populariser le capital-investissement. Nous pourrions tokeniser des startups, permettre à des investisseurs d'acheter des parts d'entreprise sous forme de crypto-actifs au travers de la blockchain. Car il existe déjà des sociétés de crowdfunding qui veulent démocratiser le private equity, mais elles ne bénéficient pas de l'entrain et de la médiatisation des cryptos. En utilisant la blockchain, nous pourrions donc toucher les investisseurs familiers des cryptos.

Maxime Heuze

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.