Pour Guillaume Faury, le plus dur commence : les 14 chantiers prioritaires d'Airbus

A seulement 51 ans, Guillaume Faury a pris le manche d'Airbus, l'un des plus beaux groupes en Europe. Il devra s'imposer et convaincre aussi bien en interne qu'à l'extérieur. Il devra par ailleurs mener à bien et terminer de nombreux chantiers stratégiques en cours et en lancer de nouveaux. Revue stratégique des défis du nouveau président exécutif d'Airbus.
Guillaume Faury va devoir rebâtir une équipe de direction unie et loyale et faire fonctionner une nouvelle équipe de direction.
Guillaume Faury va devoir rebâtir une équipe de direction unie et loyale et faire fonctionner une nouvelle équipe de direction. (Crédits : Regis Duvignau)

Guillaume Faury succède ce mercredi à Tom Enders à la tête d'Airbus où il devra négocier le virage vers l'industrie aéronautique du futur grâce au numérique. Entré à Airbus Helicopters en 1998, ce passionné d'aviation a effectué une incursion dans le secteur de l'automobile de 2009 à 2013 comme vice-président exécutif de la recherche et développement du constructeur français Peugeot. Il est ensuite revenu au sein d'Airbus Helicopters, qu'il a dirigé jusqu'en 2018 en assumant le poste de PDG.

1/ Bâtir un "pack" uni

Guillaume Faury va devoir rebâtir une équipe de direction unie et loyale et faire fonctionner une nouvelle équipe de direction. D'autant que de nombreux cadres opérationnels importants atteints par la limite d'âge (Tom Williams, Didier Evrard...) et des grands barons (Fabrice Brégier, Marwan Lahoud, Harald Wilhelm, François Auque...) ont quitté Airbus. C'est l'un de ses défis de court terme le plus important. Il a d'ailleurs eu six mois environ pour y réfléchir tranquillement dans son bureau. Il a observé et analysé le rôle de chacun. Des annonces sont prévues dès ce jeudi. Dans son obsession de vouloir tout contrôler, Guillaume Faury va déjà cumuler les postes de président d'Airbus et d'Airbus Aircraft Commercial. Il n'aura donc pas un éventuel rival à un poste important à surveiller.

Les anciens de la maison vont devoir s'adapter à Guillaume Faury, qui est tout sauf un sentimental, et à ses méthodes. Le directeur commercial d'Airbus Commercial Aircraft Eric Schulz en a fait l'expérience. Neuf mois seulement après son arrivée, il a dû plier bagage. Plusieurs hauts cadres d'Airbus, jusqu'ici dans l'entourage de Tom Enders, dont le directeur des achats Klaus Richter, seraient dans son viseur. Guillaume Faury veut avoir l'esprit libre pour préparer Airbus, qui va fêter ses 50 ans en mai prochain, à entrer dans une nouvelle ère complètement numérique.

2/ Se construire une image

Plus discret et moins flamboyant que Tom Enders, Guillaume Faury entre véritablement dans une nouvelle dimension. Il va devoir se construire une image tant en interne qu'en externe.Concrètement, il devra se faire un nom, jusqu'ici très peu connu du grand public. Il devra également se bâtir un réseau dans les cercles de pouvoir en France et en Allemagne pour durer. Surtout, il devra convaincre qu'il est bien l'homme de la situation.

3/ Dépoussiérer et revitaliser la stratégie d'Airbus

Aujourd'hui Airbus, notamment la branche Avions commerciaux, est en panne de stratégie et d'inspiration pour l'avenir. Guillaume Faury devra absolument réussir le successeur de la famille A320. Sous peine dedisparaître face à Boeing, qui est lui déjà bien installé sur le segment lucratif des gros porteurs. Il y a longtemps que le groupe ne fait plus rêver en interne et en externe. Où sont les grands projets pour redonner une vision de long terme et un élan à un groupe cinquantenaire ? Boeing l'a bien compris et investit par exemple dans un futur supersonique et dans la conquête de Mars.

4/ Réussir la transformation numérique

Commencée il y a près de trois ans, la transformation numérique de l'outil  industriel sera au cœur des priorités de Guillaume Faury. Pour pouvoir faire jour un bond en termes de production alors qu'Airbus va atteindre cette année une cadence de production de 60 A320 par mois, commencer à préparer la un nouveau système de production pour le successeur de l'A320, Airbus doit accélérer la transformation technologique de ses moyens de production, avec plus d'automatisation, de robotisation, de digitalisation...La digitalisation pourrait permettre de réduire le cycle de développement des avions, diminuer les coûts de 30% et pouvoir monter en cadence plus rapidement.

Le sujet est crucial. Car, selon plusieurs observateurs, la guerre entre Airbus et Boeing risque moins de se faire sur les améliorations de performance qui sont peu ou prou similaires entre les deux avionneurs mais sur le prix de vente, et donc sur les coûts. Surtout, Boeing est en avance dans ce domaine et serait capable aujourd'hui d'être en mesure de lancer un nouvel avion 15% moins cher que ne le fait Airbus aujourd'hui, selon des sources internes à l'avionneur européen. Cette montée en puissance de la digitalisation permettrait également à Airbus de valoriser davantage ses services auprès des compagnies aériennes au-delà de la plateforme Skywise de partages des données avec les compagnies aériennes.

5/ Préparer le successeur de l'A320

L'avion n'est certes pas prévu avant 2030. Mais le successeur de la vache à lait d'Airbus doit être préparé très en amont. La production des avions commerciaux représentant les trois-quarts du chiffre d'affaires du groupe Airbus et l'A320 représentant plus de 80% des ventes d'avions, Airbus a intérêt à ne pas se rater sur cet appareil. Et donc de le préparer très amont. Beaucoup chez Airbus craignent aujourd'hui que Boeing vienne mordre sur le haut de la gamme de l'A320 avec son fameux NMA (New Midsize Aircraft). Cet avion n'est pas encore-là. Avec les déboires rencontrés par Boeing sur son B37 MAX, immobilisé depuis près d'un mois après l'accident d'Ethiopian Airlines avec 157 personnes à bord, les incertitudes sur son lancement qui existaient déjà avant cet accident, sont renforcées aujourd'hui. Boeing pourrait en effet être tenté de concentrer toute son énergie sur la résolution du problème du B737.

6/ Imposer sa gamme sur le long-courrier face à Boeing

Si Airbus domine Boeing sur le marché des avions monocouloirs avec son A320 Neo, il reste en retrait sur le marché des long-courriers. Aujourd'hui, seul l'A350-900 (314 sièges en version tri-classes) tire son épingle du jeu. L'arrêt de la production de l'A380 en 2021 se double en effet d'une faiblesse des ventes de l'A350-1000, la plus grosse version de ce biréacteur long-courrier (365 places en configuration tri-classes d'Airbus), désormais la seule arme pour contrer le B777X, prévu en 2020. L'A350-1000 n'a donc pas le droit à l'erreur, sous peine de laisser Boeing occuper seul tout le haut du marché commercial, celui des avions de plus de 350 sièges. Airbus planche déjà sur une version plus longue, que d'aucuns appellent déjà l'A350-2000, lequel pourrait voir le jour au milieu de la prochaine décennie avec l'arrivée de nouveaux moteurs. Les enjeux sont très lourds également sur le segment de marché allant de 260 à 320 sièges, correspondant aux deux versions de l'A330-800 et à l'A350-900. Si le second s'est déjà bien vendu, les premiers sont à la peine sur le plan commercial, face au B787.

Sur le bas du marché long-courrier (220 à 260-280 sièges), Airbus se retrouve en revanche dans une position idéale pour couper l'herbe sous le pied à Boeing et son projet d'avion neuf sur ce segment de marché. Déjà baptisé par la communauté aéronautique B797, ce projet de NMA (New Midize Airplane) était jusqu'ici prévu pour entrer en service vers 2025 pour remplacer son B757 et son B767. Or Airbus a déjà dans ses cartons un A321 XLR, une version disposant d'un rayon d'action encore plus important que l'A321 LR, la version long-courrier de l'A321 Neo. Selon un observateur, l'A321 XLR pourrait permettre par ailleurs à Airbus de préparer un nouveau membre nécessitant plus de modifications que le XLR. Reste une question. En raison les déboires du B737 MAX, celui-ci va-t-il être maintenu. Ou sera-t-il décalé voire annulé. Ce qui laisserait un boulevard encore plus grand à Airbus sur ce marché.

7/ Assurer la montée en cadence

Après avoir atteint 800 livraisons l'an dernier, l'avionneur européen entend livrer entre 880 et 890 appareils en 2019. Sauf imprévu comme de nouveaux problèmes de livraisons des motoristes de l'A320, aujourd'hui entrés dans l'ordre, l'objectif devrait être atteint. Au-delà de 2019, l'un des enjeux principaux d'Airbus sera d'assurer la montée en cadence de la production sur une plus longue durée. Guillaume Faury devra donc s'entendre avec les motoristes de l'A320 Neo, Pratt & Whitney et CFM International (General Electric-Safran), pour atteindre à terme une cadence de 70 livraisons d'A320 par mois, contre 60 prévus mi-2019. Si les négociations tournent effectivement sur le chiffre de 70, plusieurs experts parient plutôt sur 65 à l'horizon 2021-2022. Cette montée en cadence est nécessaire sur le plan commercial.

L'ampleur du carnet de commandes d'Airbus est telle qu'elle peut constituer un obstacle à de nouvelles ventes. Devoir attendre 7, 8 ou 9 ans avant de recevoir ses avions dissuade certaines compagnies aériennes de passer de nouvelles commandes. Reste à voir combien de temps il faudra à Boeing pour résoudre les problèmes du B737 MAX. Pour plusieurs experts, ces derniers ne devraient pas entraîner un impact positif pour Airbus sur la durée. Quand la page de cette affaire sera tournée, Boeing risque fort de casser les prix pour maintenir ses parts de marché.

8/ Réussir le futur avion de combat européen

Plus qu'aucun autre groupe, Airbus est au cœur de la coopération franco-allemande dans le domaine de la défense. Et les dossiers sont nombreux. A commencer par le plus important pour l'Europe de la défense et pour le groupe européen, le système de combat aérien futur (SCAF). Ce sera un système de plateformes et d'armements interconnectés, centré autour d'un aéronef de combat polyvalent, permettant de conserver la supériorité aérienne à l'horizon 2040. Airbus, qui doit coopérer avec Dassault Aviation, doit jouer le jeu pour réussir ce programme en mettant de côté les ego.

Par ailleurs, des études menées en coopération avec l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie sont actuellement poursuivies en vue du lancement du programme de drone MALE européen en 2019 et de la livraison d'un premier système en 2025. Paris et Berlin réfléchissent également au lancement de plusieurs autres programmes militaires : avion de patrouille maritime PATMAR et surveillance de l'espace exo-atmosphérique. Enfin, la France et l'Allemagne ont décidé de moderniser l'hélicoptère de combat Tigre.

9/ Faire décoller le programme A220

Augmenter les prises de commandes et les cadences de production tout en baissant les coûts de fabrication : c'est le triple défi d'Airbus pour faire redécoller le programme C-Series de Bombardier, rebaptisé A220 (du 100 à 150 sièges (en dessous de l'A320)  depuis que le groupe européen en a pris le contrôle en juillet dernier en raflant, pour un dollar symbolique, 50,01% du capital aux côtés de Bombardier et de la province de Québec. Pour y parvenir, Airbus va injecter des outils digitaux comme il le fait en Europe. Avec le savoir-faire d'Airbus, l'A220 pourrait se vendre par "milliers", avait prédit le prédécesseur de Guillaume Faury, Tom Enders.

10/ Faire entrer Airbus dans le New Space

Séduit par le New Space, Tom Enders a beaucoup misé sur la constellation OneWeb. Mais un doute s'est installé sur la réussite commerciale de cette mégaconstellation de 650 satellites dans laquelle Airbus a investi. Un doute très sérieux. Tout comme un doute plane sur la réussite d'Ariane 6, le futur lanceur européen. Non pas sur le développement du programme mais sur sa réussite commerciale. Car déjà la France, en coopération avec l'Allemagne, travaille sur un projet de lanceur réutilisable (Ariane 6+ ou Ariane 7) pour mieux coller au marché et concurrencer plus efficacement SpaceX et Blue Origin. Un programme qui pourrait être lancé lors de la conférence ministérielle de l'Agence spatiale européenne (ESA) prévue fin 2019 en Espagne.

11/ Encaisser le résultat des enquêtes anti-corruption

Des enquêtes sont ouvertes depuis 2016 par le Serious Fraud Office (SFO), l'agence britannique anti-fraude, puis le Parquet national français (PNF) sur des éventuels faits de corruption. Aux États-Unis, le ministère de la Justice (DoJ) reste quant à lui en embuscade. En octobre 2017, Airbus avait révélé qu'il avait informé fin 2016 Washington de "certaines inexactitudes dans les déclarations faites au Département d'État américain au titre de la partie 130 de la réglementation américaine sur la commercialisation d'armes (ITAR ou International traffic in arms regulations)". Deux ventes qui concernent l'avion de combat Eurofighter et de transport CASA. A priori, des peccadilles.

En 2019, voire en 2020, Airbus saura enfin ce qu'il devra payer comme amende à la Grande-Bretagne et à la France à l'issue des enquêtes du SFO et du PNF. Airbus sera alors confronté au grand déballage des affaires, ce qui pourrait avoir des conséquences commerciales et financières très sévères. Toutefois, les marchés financiers ont depuis longtemps déjà intégré le montant de l'amende. Il n'y aura donc pas de tsunami au sein du groupe, tout au plus un bon coup tabac.

12/ Atteindre enfin une marge opérationnelle à 10%

Tom Enders avait promis en 2013 d'atteindre 10% d'EBIT en 2015. Il n'a pu tenir sa promesse. Airbus en est loin, très loin. Le groupe européen a enregistré une marge opérationnelle de 6,7% en 2014, puis 6,4% en 2015, 5,9% 2016, 5,4% en 2017 et, enfin, 9,2% en 2018. Guillaume Faury va-t-il réussir là où Major Tom a échoué ? En tout cas, lorsqu'il était PDG d'Airbus Helicopters, l'Ebit du constructeur de Marignane a plafonné dans un contexte difficile : 5,2 % en 2017, 4,6 % en 2016 et 6,3% en 2015. Pour autant, Guillaume Faury arrive à la tête d'Airbus dans un contexte financier moins compliqué, grâce notamment à la stabilisation du programme A400M, qui a encore plombé les comptes de 2017 (1,3 milliard d'euros de charges en 2017) et de 2018 (436 millions).

13/ Bien positionner les activités Urban Air Mobility

Nichées au sein de la stratégie, les activités Urban Air Mobility ne se sont pas encore bien positionnées dans le groupe : les projets oscillent entre la direction technique (CTO), Airbus Defence & Space et Airbus Helicopters. Résultat, ces activités sont sans véritable pilotage, ni perspectives.

14/ Payer à temps les fournisseurs

Selon nos informations, le problème de paiement des fournisseurs devient de plus en plus aigu. Alors qu'Airbus réclamait en 2018 une baisse de 20% à ses fournisseurs, les retards de paiement affectent semble-t-il tout le groupe aussi bien pour les achats directs et indirects : pièces aéronautiques, prestations en vue de moderniser les usines. Tous les fournisseurs sont aujourd'hui sur les dents car Airbus ne paie plus à l'heure.

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