Deux opérateurs munis de gants blancs -c'est la règle pour tous- caressent amoureusement les courbes scintillantes d'une Alpine A110 avec des délicatesses de vestales. Lampe en main, ils scrutent les moindres détails de la finition, des jantes aux rétroviseurs. C'est la première image qui saute aux yeux quand on pénètre dans l'usine Alpine de Dieppe, berceau historique de la marque. Du reste, faut-il parler d'une usine? Fraîchement rebaptisé Manufacture Jean Rédélé, du nom du concepteur de la première berlinette, l'endroit ressemble plus à un atelier artisanal qu'à une fabrique automobile du 21e siècle.
Ici ni bruit ni armada d'automates. Sur la quinzaine de bolides qui sortent quotidiennement des lieux (près de 3.000/an), tout ou presque est encore assemblé manuellement, pièce par pièce.
« On compte à tout casser sept robots, calcule à voix haute Guillaume Dauzou, directeur de la performance industrielle. Un pour appliquer la colle autour du pare-brise, le reste pour la peinture extérieure. »
Un travail d'orfèvrerie
Peu de machines mais des techniciens de haut vol. Ne pénètrent dans le temple de l'Alpine que ceux qui ont apporté la preuve de leur dextérité au terme d'une formation de deux mois. « Il est, par exemple, exigé de savoir visser de la main gauche aussi bien que de la main droite », détaille notre guide. Même les intérimaires -au nombre de 80 en ce moment- doivent impérativement suivre un cursus de plusieurs semaines avant d'espérer rejoindre leur poste. Le prix à payer pour des cadences infiniment moindres que dans la moyenne de l'industrie automobile.
« Chaque opérateur a entre vingt minutes et une demi-heure pour effectuer une tâche, là où cela n'excède pas la minute dans d'autres usines » précise Guillaume Dauzou, non sans une certaine fierté. L'établissement (près de 400 salariés) ne rencontre d'ailleurs aucune pénurie de main-d'œuvre : le bassin d'emploi local y pourvoit. À Dieppe, où l'on voue un véritable culte à l'Alpine, on a coutume d'y travailler de père en fils. « Le prestige de la marque attire les jeunes générations », confirme le directeur du site, Francis Ferini.
Le choix de Luca de Meo
Il n'empêche, ce « fleuron du patrimoine industriel français », comme le qualifie le ministre de l'Économie, a senti passer le vent du boulet. Début 2020, malgré la relance de la marque, des rumeurs insistantes prédisent la fermeture de l'usine normande. L'A110, malgré un succès d'estime, ne suffit pas à saturer les lignes de production. Leur déménagement semble inéluctable. La nomination, quelques mois plus tard, de Luca De Meo, grand aficionado de voitures sportives, change la donne. Connu pour avoir sauvé Lamborghini, l'ancien patron de Fiat fusionne Renault Sport avec Alpine et mise sur la marque au A pour « créer de l'émotion et monter en gamme ». Dieppe reprend espoir.
Pendant ce temps, en coulisses, le locataire normand de Bercy, épaulé par le député communiste Sébastien Jumel, plaide la cause auprès du nouveau venu italien. « L'une des premières choses que Bruno Le Maire m'a dites, c'est qu'allez-vous faire de Dieppe ? », se souvient l'intéressé.
Deux ans plus tard, l'heure est donc à la consécration. En annonçant lui confier l'assemblage d'un SUV haut de gamme dont le moteur sera fabriqué à Cléon (Seine-Maritime) et la caisse à Douai (Nord), l'homme fort de Renault donne un gage de longévité à la Manufacture Jean Rédélé.
« On va jouer dans la cour des grands et être en compétition avec des monstres sacrés », a-t-il martelé devant ses salariés.
Les applaudissements ont été nourris.
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