« La technologie est la meilleure arme pour défendre l’environnement » (Florent Menegaux, président du groupe Michelin)

ENTRETIEN - Entré chez le numéro deux mondial du pneumatique en 1997, ce diplômé de Paris-Dauphine préside depuis 2019 la multinationale française installée dans le Puy-de-Dôme.
Au siège de l’entreprise à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), le 20 décembre.
Au siège de l’entreprise à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), le 20 décembre. (Crédits : Corentin Fohlen pour La Tribune Dimanche)

LA TRIBUNE DIMANCHE - L'objectif fixé pour 2030 mise sur 20 à 30 % du chiffre d'affaires réalisé avec d'autres activités que le pneu. Celui-ci reste-t-il au cœur de votre modèle ?

FLORENT MENEGAUX - Bien sûr, et il le restera encore longtemps. Nous souhaitons conserver le savoir-faire technologique unique développé dans le pneu depuis des décennies. Mais aussi le valoriser dans d'autres domaines au-delà de la mobilité, notamment dans les matériaux composites.

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Par exemple ?

Des joints pour l'aérospatiale ou la construction, des courroies pour une chaîne d'approvisionnement, des tissus techniques pour le maritime, des colles pour l'ameublement... Tous font appel aux mêmes expertises technologiques de pointe développées dans le pneu, un produit incroyable, qui se rapproche de la Deep Tech. C'est un « composite critique », capable de performances contradictoires, rond et plat à la fois, souple mais rigide, soumis à des mauvais traitements quotidiens et très résistant. Sa conception, sa composition et son assemblage relèvent d'une extrême technicité, avec 200 matériaux qui cohabitent pour remplir des fonctions apparemment incompatibles.

Quels sont les points clés de votre stratégie ?

Notre objectif est de construire un leader mondial des composites qui transforment le quotidien des gens. Bien sûr, continuer à croître dans le pneu. Mais aussi nous développer dans les matériaux composites dans des domaines en forte croissance. En ayant confiance en notre capacité d'innover et en accentuant encore notre attention aux personnes qui travaillent dans le groupe, dont le taux d'engagement est déjà très élevé, à 84 %. Être heureux au travail est à mes yeux fondamental. Notre conscience environnementale y participe : elle est un puissant facteur de motivation. Michelin a une architecture particulière, fondée sur un système de valeurs que nous faisons vivre au quotidien. Notre modèle de leadership interne fonctionne en cohérence avec ce système.

Vous dirigez un grand groupe industriel. La réindustrialisation en cours en France et en Europe vous satisfait-elle ?

L'industrie est au centre de nos vies. Elle continue de pâtir d'une mauvaise image, alors qu'elle est l'ancrage de toute l'économie. Ce qui n'empêche évidemment pas son évolution en fonction des progrès technologiques. Nous avons de plus en plus recours à l'intelligence artificielle. Les usines actuelles n'ont plus rien à voir avec celles d'autrefois. Nous sommes capables aujourd'hui de cuire un pneu électriquement, et non plus à la vapeur, ce qui entraînait une évaporation de 80 % de l'énergie dans l'air. Notre dépendance au gaz s'en trouve considérablement diminuée. L'industrie est un objet vivant, qui passe son temps à s'adapter. Chez Michelin, la transformation se constate dans les chiffres. À mon arrivée dans le groupe, il y a vingt-sept ans, Michelin réalisait environ 8 milliards d'euros de chiffre d'affaires, contre près de 30 milliards aujourd'hui.

Comment voyez-vous l'année qui s'annonce ?

Je veux rester optimiste. La résolution d'un grand nombre de difficultés passera par les entreprises. Elles font partie de la solution, face à des défis technologiques complexes. Ces collectivités humaines, qui décident de réaliser des projets ensemble, représentent l'organisation sociale la plus efficace pour l'aboutissement et la concrétisation de nouvelles idées. En un siècle, la population humaine a plus que doublé et des centaines de millions de personnes sont sorties de la pauvreté. On ne peut pas renoncer au progrès.

L'intelligence artificielle menace-t-elle l'emploi ?

L'inconnu effraie toujours. Mais d'autres emplois se créeront demain grâce à elle. C'est déjà le cas aujourd'hui.

Quel est le risque le plus important aujourd'hui ?

Sans aucun doute celui de la fracturation sociale. La hausse des inégalités en est l'une des composantes. Le travail doit pouvoir continuer à permettre de s'élever socialement. D'où l'importance d'une juste rémunération du travail, par rapport à celle du capital. Aucune performance ne peut se réaliser sur la misère sociale, qui favorise de surcroît le populisme.

La technologie est la meilleure arme pour défendre l'environnement, même s'il faut lutter contre les gaspillages

Ceux qui critiquent le « technosolutionnisme » se trompent-ils ?

Je le pense. La technologie est la meilleure arme pour défendre l'environnement, même s'il faut lutter contre les gaspillages éphémères inutiles et tout mettre en œuvre pour améliorer les performances environnementales. C'est la technologie qui permettra le développement des avions propres. C'est aussi déjà grâce à elle que le volume d'émissions de CO2 des voitures diminue d'année en année. Il faut croire à la technologie, parce que nous n'avons pas d'autre choix, et ne jamais relâcher les efforts de formation : chez Michelin, le nombre total d'heures de formation - 5 millions d'heures par an pour 130 000 salariés - est deux fois supérieur à celui en vigueur dans d'autres entreprises. Le nombre de véhicules en circulation dans le monde augmentera inéluctablement d'ici à 2040, pour atteindre 2,8 milliards. D'où l'importance de nos innovations dans le pneu. Et ailleurs.

Dans quels domaines ?

Lors de la pandémie, nous avons par exemple développé en quelques semaines des coussins gonflables pour permettre de plus facilement manipuler des patients en réanimation. Des ombrières gonflables peuvent diminuer les températures de 4 à 5 degrés. Mais c'est aussi dans le champ médical, avec les stents cardiaques, ou dans l'espace, pour récupérer des débris. Nous innovons en permanence dans le pneu aussi, entre autres avec les modèles « CrossClimate », utilisables en toute saison. Nous avons créé cette nouvelle catégorie. Ces pneus enregistrent une croissance à deux chiffres en Europe. Innover est ardu. Il faut parfois dix ans pour qu'un projet aboutisse. Valoriser cet effort est nécessaire.

La baisse du niveau en mathématiques constatée en France vous inquiètet-elle ?

Oui, parce que les mathématiques sont indispensables à tous et partout. Elles sont essentielles à la compréhension du monde. Pour notre avenir, il faut absolument redonner goût à l'enseignement des mathématiques. Et plus largement des sciences.

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Commentaires 5
à écrit le 09/01/2024 à 7:15
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L'exemple donné par Florent Menegaux montre bien à quel point il se trompe sur sa croyance que "la technologie va nous sauver". Une règle de trois (quel est son niveau de mathématiques) et l'écoute un peu plus attentive de Jancovici lui permettrait d...

à écrit le 08/01/2024 à 7:12
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Heureusement que nous avons encore en France des sociėtés de très hautes technologie et elles créent des milliers d'emplois. Arrêtons de critiquer les dividendes !,,,,,, Soyons positifs, nous avons la chance d'avoir les ingénieurs parmi les meille...

à écrit le 07/01/2024 à 15:45
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"la technologie" , précisément " l'innovation " technologique .Reste à convaincre les actionnaires que les investissements d'aujourd'hui seront les bénéfices de demain plutôt que de distribuer des dividendes pour complaire aux bourses !!!

à écrit le 07/01/2024 à 10:36
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On nous invente des histoires pour que rien ne change, c'est à dire : de pouvoir rester dans notre cocon artificiellement construit ! ;-)

à écrit le 07/01/2024 à 9:13
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"Plus tard, demain, attendre..." LOL !

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