Décentralisation et internationalisation : le double défi de la proptech en 2021

WeMaintain, Deepki, Proprioo... Les startups de l'immobilier, qui allient technologie et terrain, veulent révolutionner la fabrique de la ville. En synergie avec les grands groupes et les collectivités territoriales, ses porte-paroles Robin Rivaton (Real Estech) et Pierre Leroy (French Proptech) poussent aussi la ministre du Logement, Emmanuelle Wargon, à sortir du bois sur la construction hors-site.
(Crédits : iStock)

De la même manière que le savoir-faire des startups du BTP accélère la transition écologique des majors, l'écosystème proptech bouleverse les métiers historiques de l'immobilier. Ainsi, la jeune pousse WeMaintain, spécialisée dans la maintenance prédictive des ascenseurs pour grands comptes et syndics de copropriété, vient d'acquérir Shokly, experte de la sécurité incendie. Grâce à des objets connectés (de l'Internet of Things ou IoT), dont des capteurs sur des systèmes d'alarme, cette dernière suit à distance les équipements avant de notifier, en temps réel, les propriétaires en cas de dysfonctionnement.

« Allier le terrain et la technologie »

« Nos clients ressentent la même frustration que pour les ascenseurs : ils ne savent pas ce qui se passe et signent des devis sans les comprendre », explique la co-fondatrice de WeMaintain. « Désormais, ils ont une vue d'ensemble, automatisée et unifiée, alors que les équipementiers traditionnels ont chacun leur système IoT », ajoute Jade Francine.

Remarquée après sa levée de 7 millions d'euros en 2019, la proptech, qui vient de devenir une entreprise à mission, veut « continuer à allier le terrain et la technologie ». De 21 salariés, elle en compte désormais 65 et a ouvert un bureau à Londres en septembre. Son modèle économique restant le même : les gestionnaires d'actifs (AG2R-La Mondiale, Axa, Foncia ou Groupama) rentrent l'adresse -du ou de leurs biens, enregistrent le nombre d'ascenseurs, avant qu'un technicien ne réalise une pré-visite. Ensuite, elle propose un montant de contrat, via un algorithme, et suggère des travaux si nécessaire.

Un bureau aux Etats-Unis

Deepki avait levé 8 millions d'euros en 2019. Elle revendique désormais le passage de « jeune entreprise innovante à leader européen ». Depuis 2014, elle automatise la collecte de données environnementales et énergétiques (eau, électricité, déchets) avant de les rendre intelligibles pour les bailleurs propriétaires et/ou occupants en France et à l'international. Outre son implantation dans 29 pays, son principal client est la direction immobilière de l'Etat (DIE) qui vient de débloquer 2,7 milliards d'euros pour la rénovation de ses immeubles.

« C'est via notre plateforme que l'Etat va mesurer l'évolution de la performance de ses bâtiments » déclare le président de Deepki. « Nous avons le sentiment d'assister à une lame de fond où les acteurs privés et publics s'approprient ce discours et le mettent en musique », poursuit Vincent Bryant.

Outre la dernière lettre de Larry Fink, pdg de BlackRock, la crise sanitaire a eu ce mérite : celui d'accélérer les prises de décision des investisseurs en matière de développement durable dans la gestion de leurs actifs. Quelles que soient les connaissances techniques, les obligations et réglementations voire les spécificités culturelles qu'elle rencontrera, la jeune pousse au terrain de jeu d'un million de bâtis (groupe SNCF, mairie de Paris, Swiss Life Asset Managers...) s'est donc déjà fixée un objectif pour 2022 : ouvrir un bureau aux Etats-Unis voire en Asie, si une nouvelle levée de fonds le lui permet.

Investir dans la R&D

20 millions, c'était la somme record qu'avait récoltée l'agence dématérialisée Proprioo en 2019. Dans l'écosystème, la nouvelle avait effet l'effet d'une bombe, la startup ayant changé deux fois de modèle économique en dix-huit mois et réussi, malgré tout, à lever six premiers millions d'euros sur la même période. En ce début 2021, elle propose, non plus forfait fixe ou commission aux parties prenantes, mais un barème local - 3 à 5% selon la ville concernée - qui lui permettrait d'être 20% moins cher que la concurrence.

« Sur un marché 2020 où il y a eu moins de 15% en volumes, nous arrivons à faire plus 100% », assure le co-fondateur de Proprioo. « Nous allons continuer d'investir dans la recherche et le développement (R&D) pour proposer toujours plus de services, aller au-delà de notre visite virtuelle avec un commentaire en direct », annonce Henri Pagnon à La Tribune.

Présent dans le Grand Paris - Paris, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne et Val-d'Oise principalement -, ainsi qu'à Aix-en-Provence et Nice, l'agence en ligne a ouvert, mi-mars, un bureau à Lyon, où elle compte déjà quatorze agents. Si elle réalise actuellement deux tiers de son chiffre d'affaires dans la région-capitale et un tiers en région, elle prévoit de doubler encore son nombre de transactions en 2021, après 1.500 ventes en 2020 contre 750 en 2019.

La fabrique de la ville en pleine révolution

Si la rénovation énergétique dans le logement et le tertiaire et la commercialisation de l'immobilier dans le neuf concentrent la lumière, la multiplication des jeunes pousses dans la gestion locative, la conception zéro carbone d'un bâtiment - constructech - ou encore la ville intelligente (la smart city) démontre que la fabrique de la ville se trouve en pleine révolution.

« On commence à voir émerger les gagnants, avec des phénomènes d'acquisition ou de concentration », relève ainsi Robin Rivaton, directeur de l'association Real Estech (400 startups et grands groupes) et directeur d'investissement chez Idinvest Partners.

« Demain on fournira plus qu'un logement dont la couche logiciel permettra de dialoguer avec l'extérieur », abonde Pierre Leroy, président de French Proptech (200 startups) et co-fondateur d'EP.

En synergie avec les grands groupes

D'autant que cet écosystème travaille toujours plus en synergie avec les grands groupes sans que ces derniers n'entrent nécessairement au capital des startups. « On est sorti de la preuve de concept. De vraies relations d'affaires avec des contrats stratégiques et cruciaux se nouent », avance ainsi le DG de Real Estech Robin Rivaton. De la même façon, French Proptech a doublé - de 7 à 15 - le nombre de ses partenaires (Icade, Foncière Magellan, Bouygues Immobilier, Procivis, In'li) « qui ont besoin de ressources pour se transformer et digitaliser leur process », selon son président Pierre Leroy.

Elections départementales et régionales obligent, 2021 sera aussi l'année des interactions avec les collectivités. Robin Rivaton de Real Estech cite le coliving, « assez valorisé par les mairies et leurs services d'urbanisme », car ne nécessitant pas la construction d'équipements collectifs type écoles, crèches ou gymnases. Pierre Leroy de French Proptech a, lui, créé une « vingtaine d'ambassades » (Bretagne, Normandie, Pays de la Loire, Sud-Ouest, Rhône-Alpes, Centre-Val de Loire, Grand-Est, Ile-de-France...) constituée de trois entrepreneurs chacune. « Ça décuple la dynamique », estime-t-il.

Avec Wargon sur la construction hors site

Tous deux, enfin, jouent sur les scènes nationale et internationale. Dans le cadre de petit-déjeuner avec ou sans son cabinet, ou de rendez-vous en tête-à-tête, ils ont, chacun, rencontré, deux fois, la ministre du Logement. Robin Rivaton comme Pierre Leroy la décrivent « très intéressée par ces sujets ». L'un comme l'autre tentent de pousser Emmanuelle Wargon à sortir du bois sur la construction hors-site.

Avec l'ex-patron de Gecina désormais président de Viparis Bernard Michel, Robin Rivaton avait remis un rapport sur la construction industrialisée à son prédécesseur Julien Denormandie. « Nous avons hâte que le ministère du Logement et Bercy l'utilisent de manière plus concrète. Beaucoup de propositions demeurent pertinentes dans ce contexte de relance », insiste le DG de Real Estech.

« Dans un pays qui ne construit pas assez vite où l'on assiste à une flambée des prix de l'immobilier, il faut trouver des solutions. Et là, la construction hors site a des atouts », renchérit son homologue Pierre Leroy. Pour le président de French Proptech, cette solution coche beaucoup de cases : construire moins cher, plus écologique, plus rapidement... et concurrencer les géants du numérique qui arrivent avec leur technologie.

En attendant le déclic politique, Real Estech appuie les JEI qui chassent en meute, quand French Proptech rejoint le mouvement European Proptech House Association.

Lire aussi : Construire 250.000 logements sociaux en deux ans, mission impossible ?

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