Meublés touristiques : « Nous réfléchissons à un nouvel outil de régulation » (Patrice Vergriete)

GRAND ENTRETIEN - A la veille du Congrès des maires et de l'arrivée du budget 2024 au Sénat, le ministre du Logement, Patrice Vergriete, s'exprime, en exclusivité, sur le prêt à taux zéro, la location meublée et la décentralisation de la politique du logement.
César Armand
L'ex-maire (Divers gauche) de Dunkerque (Nord) est ministre du Logement depuis juillet 2023. Patrice Vergriete est resté président de la communauté urbaine de Dunkerque.
L'ex-maire (Divers gauche) de Dunkerque (Nord) est ministre du Logement depuis juillet 2023. Patrice Vergriete est resté président de la communauté urbaine de Dunkerque. (Crédits : © Firas Abdullah/ABACAPRESS.COM)

LA TRIBUNE DIMANCHE - En déplacement dans votre ville de Dunkerque jeudi dernier, la Première ministre Elisabeth Borne a annoncé que 6 millions de Français pourraient bénéficier d'un prêt à taux zéro en 2024. Est-ce à dire que le budget va être revu et corrigé avant son passage au Sénat le 23 novembre ?

PATRICE VERGRIETE - Le prêt à taux zéro (PTZ), qui permet de financer la première accession à la propriété, devait s'arrêter le 31 décembre prochain. Nous avons préféré le garder, non pas en réduisant l'ambition mais en le ciblant sur les priorités des territoires et sur les populations qui en ont le plus besoin, par exemple en rehaussant le montant maximal à 100.000 euros. Plus de 40.000 ménages devraient en bénéficier l'année prochaine.

Il n'empêche... l'enveloppe dédiée passe de 1,2 milliard d'euros à 800 millions.

Le PTZ est recentré sur le neuf en zone tendue - là où l'offre est inférieure à la demande - et sur les logements anciens avec travaux en zone détendue - là où l'offre est supérieure à la demande. Par exemple, dans la Creuse, où plus de 50% des logements sont des passoires thermiques classées F ou G, et où il subsiste un taux de vacance de 15%, il est normal que l'aide publique soit prioritairement axée sur l'acquisition-rénovation des logements existants.

Vous retirez ainsi du PTZ les maisons individuelles neuves dans ces zones détendues, alors qu'elles constituent l'idéal de 75% des Français.

Je n'ai rien contre la maison individuelle et je vis moi-même dans une maison individuelle au cœur de la ville, mais construire des maisons neuves à 80 km du lieu de travail des personnes, ce n'est plus acceptable pour des questions écologiques et sociales. Après avoir construit des villes dans lesquelles les Français voient leur pouvoir d'achat dépendre à ce point du prix des carburants, avec des vies impossibles en termes de rythmes de vie, nous devons arrêter l'éloignement des populations.

Sauf qu'en parallèle, le PTZ pour le collectif neuf en zone tendue va être synonyme de densification, déjà difficilement acceptée dans ces communes en tension...

A Dunkerque, nous allons accueillir 20.000 emplois industriels dans les 10 ans qui viennent. Nous devons donc multiplier par 2,5 le nombre de constructions neuves par an, pour disposer de 11.500 logements de plus d'ici 2033. Sauf que nous ne voulons pas faire un mètre carré supplémentaire d'extension urbaine. Nous avons donc identifié tout ce qui pouvait être muté en habitat dans la partie déjà urbanisée de l'agglomération. Il se trouve que depuis que j'ai mis en place la gratuité des bus, un tiers des parkings en centre-ville sont vides.

Lire aussiLogement neuf : l'inexorable descente aux enfers des promoteurs immobiliers

Nous allons donc transformer des parkings en logements mais aussi réhabiliter des friches portuaires et de bureaux, construire dans les dents creuses et sur les délaissés... et même construire au-dessus d'un musée. Cela bouscule les habitudes, mais ça ne gêne pas les habitants car nous ne perdons jamais de vue la qualité de vie. Ainsi nous travaillons parallèlement à la renaturation d'espaces publics et de friches ainsi que sur le retrait des voitures sur nos bords à canaux pour concilier ville-nature et production de nouveaux logements.

Il est par conséquent possible de faire de la densification intelligente. Il faut, par ailleurs, penser la question du logement abordable de manière plus globale. La Première ministre a ainsi annoncé un plan d'un milliard d'euros dans le logement intermédiaire, permettant de doubler la production annuelle d'ici 2026. L'Etat et la Caisse des dépôts mettront 500 millions d'euros dans ce plan. Les investisseurs institutionnels seront mobilisés pour apporter une contribution à cet effort d'investissement. Et donc naturellement dans les communes en tension.

Certes, mais comment faire dans les grandes villes comme Nantes, Rennes ou Toulouse, qui accueillent, chaque année, toujours plus d'habitants ?

Dans ces grandes villes, il faut réfléchir à l'échelle de la métropole. Demain, les RER métropolitains apporteront à leurs habitants une offre de transports en commun à cette échelle pour sortir du modèle de la ville étalée. Par ailleurs, il faut refaire de l'aménagement du territoire. Par exemple, plutôt que de concentrer les universités en cœur de métropole - ce qui pose des problèmes majeurs de logements étudiants -, nous devrions installer davantage d'antennes dans les villes moyennes. La Première ministre a en outre annoncé à Dunkerque un plan ambitieux pour augmenter la production de logements étudiants au cours des prochaines années. Arrêtons de dire que ce n'est pas possible, changeons de logiciel et ayons le courage de desserrer ces activités.

Autre point commun de ces métropoles : la location de longue durée est de plus en plus remplacée par la location touristique de courte durée. Les maires se sentent démunis pour répondre à leurs administrés qui n'arrivent plus à se loger...

A Dunkerque, le nombre de meublés touristiques a bondi de 47% en deux ans. Autant d'habitats qui se sont substitués aux logements pour les habitants du territoire. Je l'évoquais avec la Première ministre : « Vous savez, ce n'est pas une question de fiscalité - ces locations sont déjà rentables - mais de régulation ». Aussi je propose qu'on puisse donner aux maires un nouvel outil.

Sous quelle forme ?

Le numéro d'enregistrement que les villes délivrent aux propriétaires qui souhaitent louer leur logement ainsi que les mécanismes de compensation ne suffisent plus.

Nous réfléchissons donc à un nouvel outil, par exemple sur le modèle de la commune de Saint-Malo qui a mis en place un quota de meublés touristiques par rapport au nombre total de logements.

Je m'appuierai donc sur la proposition de loi transpartisane qui arrive à l'Assemblée en décembre. Si tout se passe bien, ce texte, qui visera à faire évoluer les outils de régulation pour les rendre plus efficaces et pour sécuriser au plan juridique les pratiques de certaines collectivités, sera promulgué en avril prochain.

Ce quota est attaqué en justice...

Il n'est effectivement pas sécurisé juridiquement, mais j'ai échangé avec mes homologues québécois, portugais et allemand afin de trouver l'outil le plus pertinent.

Qu'en est-il de la fiscalité sur les meublés touristiques ?

A titre personnel, j'ai toujours été pour un alignement de la fiscalité entre les meublés, touristiques ou non, et les locations nues à titre de résidence principale. Mais cela mérite d'être évalué finement en tenant compte notamment de l'ensemble des paramètres fiscaux des investisseurs locatifs qui peuvent par exemple opter pour un régime dit « au réel » parfois plus avantageux que celui de l'abattement forfaitaire.

Cela ne dit pas si vous allez toucher à l'abattement fiscal...

Dès la mi-octobre, j'ai annoncé le lancement d'une mission parlementaire sur la refonte de la fiscalité locative dont j'attends les conclusions pour le premier trimestre 2024. Les députées Annaïg Le Meur (Renaissance) et Marina Ferrari (MoDem) chargée de cette mission, n'ont pas vocation à traiter seulement le cas des meublés touristiques, mais aussi de réussir à faire venir plus d'investisseurs particuliers et institutionnels dans le logement comme résidence principale.

Nous voulons faire en sorte que les propriétaires, qui détiennent 4-5 logements voire plus, se tournent encore plus vers le locatif de longue durée. C'est donc l'ensemble de la fiscalité locative que ces députées vont étudier et pas uniquement la question de l'abattement fiscal des contribuables qui optent pour le régime fiscal « simplifié ».

En parallèle, vous préparez deux projets de loi : l'un sur l'habitat indigne et les copropriétés dégradées pour début 2024, le second sur la décentralisation de la politique du logement pour le printemps prochain. Que peuvent en attendre les maires qui se réunissent en congrès du 21 au 23 novembre ?

Nous allons mener une concertation avec les associations d'élus pour savoir justement ce qu'ils seraient prêts à prendre en charge et les outils juridiques, fiscaux dont ils ont besoin pour assurer cette prise de responsabilité. L'autre jour, la maire de Calais, Natacha Bouchart, m'a appelé car après avoir contacté tous les propriétaires de sa commune pour lutter contre la vacance, elle m'a dit qu'elle aurait bien aimé pouvoir augmenter la taxe sur les logements vacants. C'est l'exemple même qui me convainc que les maires devraient pouvoir moduler le taux de cette taxe, ainsi que le taux de la taxe d'habitation sur les résidences secondaires.

Lire aussiMeublés touristiques : le gouvernement temporise (encore) sur la fiscalité

Certains demandent aussi la main sur l'attribution des logements sociaux.

Là-dessus, je pense qu'il faut jouer sur les deux niveaux mais ce point devra être concerté dans le cadre du projet de loi. A mon sens, les maires sont parfaitement légitimes pour jouer un rôle majeur dans les politiques d'attribution de logements sociaux sous réserve de contribuer aux responsabilités qui auront été confiées aux intercommunalités en matière d'accueil des publics prioritaires.

A cet égard, beaucoup de maires s'émeuvent déjà d'un courrier que vous avez adressé aux préfets le 11 octobre et qui ne concerne que les communautés de communes, d'agglomération, métropoles et non les communes...

J'ai été maire pendant neuf ans et j'étais le premier à souhaiter plus de prérogatives. Si je reste président d'intercommunalité, c'est justement parce que je pense qu'il y a des choses à faire avec les communes concernées. Les communes ont évidemment un rôle central dans les politiques de l'habitat que personne ne cherche à remettre en cause. Au contraire, nous proposons sur plusieurs sujets de leur donner davantage de leviers. A l'heure où toutes les associations d'élus parlent de différenciation, travaillons ensemble pour adapter la politique du logement aux réalités locales plutôt que de surréagir.

César Armand

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 5
à écrit le 20/11/2023 à 14:05
Signaler
Meublés touristiques : il conviendrait de distinguer celui qui loue son bien ponctuellement pour rentrer dans ses frais (charges + taxe foncière + taxe d'habitation, lesquels ont tendance à exploser, sans compter les frais dit "de notaire" qui représ...

à écrit le 19/11/2023 à 13:21
Signaler
Toute aide l'achat d'un bien immobilier ne fait qu'augmenter la marge du vendeur en lui offrant l'opportunité d'augmenter le prix (l'acheteur ayant davantage de ressources). Toujours cette fausse bonne idée symbolique qui coûte une fortune aux contri...

le 20/11/2023 à 7:41
Signaler
Si un prélèvement de 25% était fait à la source des locations de courtes durées au profit des communes elles pourraient investir dans des logements , pour leurs résidents à l’année il y aurait beaucoup moins de problèmes. surtout que les prix de l...

le 20/11/2023 à 7:41
Signaler
Si un prélèvement de 25% était fait à la source des locations de courtes durées au profit des communes elles pourraient investir dans des logements , pour leurs résidents à l’année il y aurait beaucoup moins de problèmes. surtout que les prix de l...

le 20/11/2023 à 10:34
Signaler
tout a fait, il faut arreter de subventionner l immobilier afin que les prix soient en rapport avec les revenus des acheteurs. C est sur que ca va faire mal aux boomers mais le contribuable n a pas a financer leur plus value. Il est urgent d arreter ...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.