« Les indices boursiers pourraient très bien croître d'environ 10% en 2024 » (Philippe Oddo, Oddo BHF)

Le président du groupe Oddo BHF, spécialisé dans le conseil aux investisseurs, livre une analyse de la conjoncture économique de l'année 2024 à l'occasion de la 27e édition du Forum Oddo BHF, qui se déroule du 11 au 12 janvier à Lyon. Si le contexte géopolitique va bel et bien jouer un rôle prépondérant dans les cours à venir, Philippe Oddo expose également « les contradictions » d'un marché tenu par deux éléments : la tendance à la réindustrialisation d'un côté, et à l'innovation de l'autre.
Philippe Oddo est associé gérant du groupe Oddo BHF, groupe franco-allemand-suisse qui porte des activités bancaires, de gestion d'actifs et de conseil en investissement.
Philippe Oddo est associé gérant du groupe Oddo BHF, groupe franco-allemand-suisse qui porte des activités bancaires, de gestion d'actifs et de conseil en investissement. (Crédits : ODDO BHF)

Chaque année, depuis 27 ans, le groupe Oddo BHF réunit entreprises et investisseurs pour son forum éponyme. Après avoir organisé le pendant américain à New York, il y a quelques jours, la société a invité à Lyon (Rhône), ce 11 et 12 janvier, près de 335 entreprises, majoritairement françaises et allemandes, ainsi que 850 investisseurs venus d'Europe, d'Asie et des Etats-Unis.

L'occasion d'aborder avec Philippe Oddo, associé gérant du groupe, et Matthias Desmarais, directeur de la recherche et de l'intermédiation actions, la conjoncture économique de l'année à venir, notamment marquée par des élections en Europe et aux Etats-Unis, dans un contexte géopolitique instable. Entretien conjoint avec la rédaction d'Investir.

LA TRIBUNE- Votre groupe invitait, il y a quelques jours, 66 grandes sociétés allemandes à New York, à la rencontre de 340 investisseurs nord-américains. Quel constat dressez-vous des investissements dans les entreprises européennes ?

PHILIPPE ODDO- Les investisseurs nord-américains, à savoir les Etats-Unis et le Canada, détiennent à peu près 33 % de la capitalisation boursière allemande. Soit 450 milliards de dollars sur une capitalisation boursière totale de 1.250 milliards. Pour la France, ces données sont à peu près similaires. C'est un message très important : les investisseurs américains jouent un rôle clé dans le financement des sociétés européennes. Nous entretenons une grande proximité avec ces investisseurs nord-américains : nous avons des équipes à New York, avec lesquelles nous organisons des road show entre ces investisseurs et des sociétés européennes.

Du côté des entreprises cette fois, les grandes sociétés vont bien, elles vont de l'avant et investissent, bénéficiant notamment de leur exposition aux marchés américain et asiatique, à l'exception de la Chine. Prenons l'exemple des sociétés allemandes : plus elles s'internationalisent, mieux elles se portent. Leur exposition en Allemagne est, quant à elle, plutôt pénalisante et en Europe, globalement, il n'y a pas de dynamique de croissance forte.

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De même, comment analysez-vous la place de l'Europe d'un point de vue conjoncturel sur la scène internationale ? Quelles sont les grandes dynamiques à l'œuvre depuis un an?

MATTHIAS DESMARAIS- L'Europe est un peu à la traîne, tandis que la croissance américaine reste très solide. La Chine, quant à elle, est problématique pour beaucoup de sociétés. L'année dernière, toutes les discussions se focalisaient sur l'environnement économique, et maintenant tout le monde revient vers les fondamentaux des entreprises : comment développer de nouveaux marchés ? Il y a aussi de grandes problématiques liées à l'inflation, qui va très probablement se maintenir. Elle soulève maintenant la question des volumes : vont-ils repartir après une année compliquée ? Et quelle est la capacité des sociétés à continuer à composer avec les hausses de prix ?

Quels sont les effets de la crise en mer rouge sur les prix ?

P.O. Le canal de Suez est aujourd'hui inaccessible. Les bateaux vont avoir un retard compris entre 15 jours et un mois, car ils devront repasser par le sud de l'Afrique. Compte tenu du désordre, on parle plutôt d'un retard d'un mois. Cela risque d'avoir des conséquences sur les chaînes logistiques et, à nouveau, sur les prix. S'il y avait bien une dynamique de baisse des prix, elle est à nouveau freinée par cette problématique du canal de Suez.

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Comment se sont portés les investissements en Bourse en 2023 ?

P.O. Nous revenons d'une année très positive sur le plan boursier. Les clients ont gagné beaucoup d'argent. Cela encourage à réinvestir. Les indices boursiers ont été extrêmement élevés. Et à peu près toutes les classes d'actifs, obligataires et d'actions, ont été positives en 2023. Je m'attends à ce qu'il y ait des flux également positifs cette année, peut-être plus importants encore.

A quoi faut-il s'attendre en 2024 ?

M.D. Nous parions sur une baisse des taux dès cette année. Et si cela arrive, cela va soutenir les marchés. Nous nous attendons aussi à un taux de résultat du bénéfice par action (BPA) compris entre 6 % en Europe et 8 % aux Etats-Unis cette année, à taux stables. Mais on pourrait très bien avoir une croissance des indices boursiers autour de 10 %. De même, il n'y aura a priori pas de récession cette année : les Etats-Unis tiennent, l'Europe aussi à part l'Allemagne, la Chine a ralenti, mais l'Inde performe bien.

C'est donc plutôt positif pour les entreprises européennes

M.D. Les investisseurs américains sont très positifs sur l'Europe, en voyant que le marché n'est pas très cher par rapport aux autres marchés mondiaux. Ils commencent à regarder pour réinvestir alors que les investisseurs européens s'avèrent quant à eux plus prudents. Finalement, les décollectes des dernières années et la prudence constituent un réservoir de croissance pour les marchés financiers et la Bourse. Nous pourrions très bien avoir une bonne année.

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Quels pourraient être les effets de l'élection présidentielle américaine de novembre prochain ?

P.O. La réponse n'est pas évidente. Si jamais les Etats-Unis s'écartent de l'OTAN, cela signifie de facto que la crédibilité d'un armement américain diminue, et que la nécessité d'un armement européen devient plus forte. Les effets sur les sociétés d'armement européennes seraient alors extrêmement favorables. Mais sur les barrières à l'entrée, les droits de douane, verra-t-on une évolution ? C'est un peu trop tôt pour l'analyser. Finalement, nous ne pouvons pas dire que cela aura un impact très positif ou au contraire très négatif sur la bourse. En revanche, nous pourrions observer les effets sur des sociétés et des secteurs, positifs d'un côté et négatifs de l'autre.

Le secteur de l'intelligence artificielle reste selon vous des poids lourds sur lesquels il faut penser sur le long terme ?

P.O. On voit bien que la digitalisation, phénomène amorcé dans les années 2000, est toujours en plein déploiement. Les entreprises n'ont pas du tout fini de digitaliser. On est dans les tous débuts de l'intelligence artificielle, que les entreprises vont déployer dans les dix à quinze prochaines années. C'est un nouveau paradigme, et un thème auquel nous croyons beaucoup. Nous avons même un fonds, nommé ODDO BHF Artificial Intelligence : il a réalisé une performance de 47 % cette année. De même, l'année dernière, les valeurs technologiques des « sept magnifiques » (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft, Tesla et Nvidia) représentaient presque la totalité de la performance du marché. Je crois que cette tendance à avoir des secteurs prédominants n'a aucune raison de s'arrêter. Le choix va être de plus en plus sectoriel et de moins en moins géographique.

Pourtant, de nombreux pays et coalitions poussent vers la relocalisation de leurs productions : la géographie, donc la géopolitique, sont des déterminants qui se sont renforcés ?

P.O. Il y a deux forces un peu contradictoires : la géopolitique d'un côté et l'innovation de l'autre. La géopolitique pousse à la réindustrialisation des zones. C'est vrai aux Etats-Unis, avec l'Inflation reduction act (IRA), aussi en Europe avec la volonté de rapatrier un certain nombre de savoir-faire, ainsi qu'en Chine, qui devient assez protectionniste. A côté, il y a aussi une dynamique d'innovation de plus en plus forte, avec l'accélération des vitesses de de calcul, l'augmentation des espaces de stockage de l'information. Un certain nombre d'éléments structurels vont aider l'innovation, que ce soit en matière technologique, de santé etc. Est-ce qu'une zone géographique peut se passer des innovations d'une autre zone ? C'est toute la question. Et cela me paraît difficile. Si une zone géographique refuse d'utiliser le savoir-faire d'une autre, elle risque de prendre un retard considérable. C'est pour cela que l'innovation va continuer de pousser une tendance à la globalisation.

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Commentaires 8
à écrit le 14/01/2024 à 8:06
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L économie casino dans toute sa splendeur , c'est le salaire des petits qui doit augmenter pas l assistanat aux nantis ! Ce type me donne des frissons d 'horreur

à écrit le 14/01/2024 à 0:34
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Comme (repenti et finalement ex-whistleblower de la crise du subprime US) ancien spécialiste des marchés financiers à l'international (ayant prédit correctement deux krachs financiers), ces propos me font bien sourire dans ce monde qui n'est plus qu'...

à écrit le 13/01/2024 à 9:10
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Comme l'on dit : les conseilleurs ne sont pas les payeurs et les publicitaires, des consommateurs !

à écrit le 13/01/2024 à 8:54
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Les résultats de la bourse semblent bien déconnectés des indicateurs du réel : pouvoir d’achat en baisse, immobilier en crise, chômage qui remonte, contexte international en guerre.

le 13/01/2024 à 22:22
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Il le seront toujours car l'investisseur boursier fait un pari sur le futur et s'ajuste en fonction de l'avancée du temps, des résultats trimestriels sectoriels et de la perception qu'il a entre autres des paramètres économiques ,financiers et géopol...

à écrit le 13/01/2024 à 8:43
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Et si 2024 était l'année d'un crack !!

à écrit le 13/01/2024 à 8:07
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"Si le contexte géopolitique va bel et bien jouer un rôle prépondérant dans les cours à venir" Bref vous savez pas mais ça ne mange pas de pain de faire des annonces dans le vide, ok génial et merci bien hein. Allez maintenant passez un bon week-end ...

à écrit le 12/01/2024 à 19:16
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Moi, j'ai vu Mme Irma, la Pithie et j'ai saupoudré d'un peu d'IA. Résultat de la tambouille et ben ça "pourrait être 10%" ...ou plus...et ça "pourrait aussi être moins"🤣.

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