Rachat de Microtecnica : « L'Allemagne et l'Italie nous font un procès d'intention » (Olivier Andriès, Safran)

Dans le cadre du projet d’acquisition des activités d'actionnement et de commandes de vol de Collins Aerospace, Safran a été informé de la décision du gouvernement italien avec l'appui de l'Allemagne, de s’opposer à la vente de Microtecnica, société italienne regroupant les actifs localisés en Italie, au groupe français. Rome peine à convaincre sur le bien-fondé de cette décision.
Michel Cabirol
L'Italie s'oppose au rachat de Microtecnica par Safran
L'Italie s'oppose au rachat de Microtecnica par Safran (Crédits : GONZALO FUENTES)

Délit de sale gueule... Safran a fait l'objet d'un délit de sale gueule en Italie, avec la complicité active de l'Allemagne. Une décision à la fois incroyable et aberrante à l'issue d'une enquête à charge de Rome et de Berlin contre le groupe français. Dans un décret daté du 16 novembre, que La Tribune s'est procurée, l'Italie s'est opposée sans aucune concertation au préalable à la vente de Microtecnica à Safran. Pour Rome, cette opération constitue « une menace exceptionnelle pour les intérêts essentiels de la défense et de la sécurité nationales ». Rien que ça... De son côté, l'Allemagne considère Microtecnica, considéré comme étant « d'un intérêt stratégique en tant que fournisseur de pièces de rechange et de services pour les programmes Eurofighter et Tornado, principaux avions de combat utilisés par l'armée de l'air allemande ».

« Cette décision fait suite à une concertation très forte entre l'Allemagne et l'Italie. Ce blocage provient à la fois des deux pays même si c'est Rome qui a exercé son opposition, Microtecnica étant une société italienne. C'est une opération concertée entre Berlin et Rome », constate le directeur général de Safran, Olivier Andriès, dans un entretien accordé à La Tribune. « Il n'y a eu avec Safran aucun dialogue préalable. Cela nous aurait permis soit de rassurer les préoccupations de l'Italie et de l'Allemagne, soit de proposer des mesures visant à les rassurer. Mais il n'y a pas eu ce dialogue préalable et le décret est tombé comme un couperet ».

Via sa filiale américaine Safran USA, l'équipementier français souhaite racheter des activités d'actionnement et de commandes de vol du groupe américain Collins Aerospace, dont certains actifs sont basés chez Microtecnica en Italie, qui représente environ 15% du périmètre de cette acquisition. Une opération qui avait été annoncée par Safran en juillet dernier. Pourtant, observe le directeur général de Safran, les actifs de Microtecnica ne sont pas les actifs les plus stratégiques de notre opération auprès de Collins Aerospace. « Il n'y a pas de technologies critiques particulières en Italie », précise Olivier Andriès.

Sur l'opération globale en elle-même, Safran est « en train d'évaluer nos options ». « Nous restons attachés à cette opération mais nous regardons quelles sont nos options. Nous discutons évidemment avec le vendeur », résume le patron de Safran.

Un procès d'intention

Publié vendredi, ce décret a surpris très désagréablement Olivier Andriès qui n'est pas content. Mais vraiment pas. « L'Allemagne et l'Italie nous font un procès d'intention », affirme-t-il. Pourtant partenaires dans de multiples coopérations avec des industriels français, y compris avec Safran, ces deux pays ont conclu à l'issue d'une enquête que le groupe français en mettant la main sur Microtecnica pourrait interrompre la livraison de pièces de rechange et de services dans le cadre de plusieurs programmes militaires comme les avions de combat Eurofigther et Tornado, l'avion de transport C-27J, l'avion d'entrainement M-346, ou encore certains hélicoptères de Leonardo, dont l'EH101, selon le décret italien.

Le plan industriel et les objectifs stratégiques à long terme de Safran, ainsi que les assurances fournies sur Microtecnica, « ne permettent pas d'exclure de manière concluante que Safran ne puisse pas accorder la priorité nécessaire aux lignes de production industrielle d'intérêt pour la défense nationale », souligne l'Italie dans les attendus du décret.

Très clairement, l'Italie et l'Allemagne reprochent expressément à Safran de faire partie du programme français Rafale qui est l'un des principaux concurrents de l'Eurofighter à l'exportation... alors que Collins Aerospace, actuel propriétaire de Microtecnica, est l'un des partenaires majeurs du programme F-35, le principal concurrent de l'avion réalisé en coopération européenne (Grande-Bretagne, Allemagne, Italie et Espagne). « Que Collins Aerospace soit l'actionnaire américain de Microtecnica ne gêne aucunement ni l'Italie, ni l'Allemagne mais que Safran, un groupe français et européen, prenne le contrôle de ces activités, les gêne et  représente une menace exceptionnelle », s'étonne Olivier Andriès. Deux poids, deux mesures pour Rome et Berlin ? Mais l'Italie et l'Allemagne ne sont pas à un paradoxe près...

Car cette décision prise en commun entre l'Italie et l'Allemagne est d'autant plus déconcertante que Safran est déjà un fournisseur critique de plusieurs programmes cités par le décret italien, dont l'Eurofighter. Via une de ses filiales en Grande-Bretagne, Safran fournit notamment les trains d'atterrissage des Eurofighter et des Tornado. Et jusqu'ici la question de la fourniture d'équipements critiques pour ces deux avions de combat par Safran ne s'était pas posée... Sur le M-346, l'équipementier français fournit à partir de la France les APU (moteurs auxiliaires de puissance) tandis qu'il livre des moteurs pour les hélicoptères de Leonardo, qui au cours de l'enquête, a affirmé « le caractère essentiel et irremplaçable de Microtecnica Srl pour le système de chaîne d'approvisionnement lié aux différents systèmes utilisés par les Forces armées ».

« C'est un très mauvais signal qui est envoyé par l'Allemagne et l'Italie sur l'avenir de la coopération européenne dans le domaine de la défense », martèle Olivier Andriès en conclusion. Cela ressemble à un règlement de comptes entre faux amis...

Michel Cabirol

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Commentaires 8
à écrit le 22/11/2023 à 18:02
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Les 2 pays sont à la botte des USA, et l'Allemagne essaie depuis plusiurs dizaines d'années de piquer des technos françaises pour duppliquer. L'Europe se délite.

le 24/11/2023 à 12:53
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Ici en Italie on oublie pas ce qui est arrivé a Fincantieri en France......

à écrit le 20/11/2023 à 22:35
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Il faut peut-être chercher du côté de Bruxelles (si,si) actuellement le rachat d'ITA par la Lufthansa est bloqué par Bruxelles. La presse italienne est persuadée que la France est à l'origine de se blocage, Air France-KLM était pressenti pour rachete...

à écrit le 20/11/2023 à 19:28
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C'est absolument normal les allemands sont extremement faible en science et dans l'inginerie ils ont peur.

à écrit le 20/11/2023 à 19:16
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Si l'opération était inversée (rachat par les allemands d'une boîte avec une filiale Fr qui bosse sur le Rafale), tout le monde se serait insurgé... dommage pour Safran mais je comprends la réaction des 2 autres pays

à écrit le 20/11/2023 à 18:23
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Quand on prend des mesures protectionnistes de ce type on le fait toujours sur la base d'un procès d'intention. Les français s'étonnent toujours d'une réalité qui est banale selon le point de vue des allemands et des italiens: les américains sont le...

à écrit le 20/11/2023 à 18:03
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INTERET EUROPEEN A GEOMETRIE VARIABLE SELON LES INTERETS NATIONAUX..SUR QU AVEC CE TYPE DE COMPORTEMENT ON PESE RIEN FACE A LACHINE LES USA LA RUSSIE LA TURQUIE L IRAN ...

à écrit le 20/11/2023 à 17:35
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a la place de Safran je laisserais , pas besoin d'eux, par contre dans 5 ans on en reparle, vont être à l'agonie !!!!

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