Crise de l'immobilier : « le robinet du crédit est ouvert », assure le ministre du Logement Guillaume Kasbarian

Choc de l'offre, production de logements intermédiaires, solvabilisation des ménages, fiscalité locative... Pour la première fois depuis sa nomination, le nouveau ministre du Logement - le troisième en deux ans - dresse sa feuille de route pour La Tribune Dimanche.
César Armand
Guillaume Kasbarian (photo) est ministre du Logement depuis le 8 février 2024.
Guillaume Kasbarian (photo) est ministre du Logement depuis le 8 février 2024. (Crédits : MTECT)

LA TRIBUNE DIMANCHE - Sept ans après avoir baissé de cinq euros les aides personnalisées au logement (APL), une petite musique gouvernementale se fait entendre sur la suppression desdites APL. Qu'en est-il ?

GUILLAUME KASBARIAN - Je démens. Il n'est pas question de toucher aux APL. Aucune réforme n'est dans les cartons. Cela n'a même jamais été évoqué. Ma feuille de route fixée par le Premier ministre est de réaliser un choc d'offre, avec plus d'offres locatives et plus de logements neufs. Il y a cinq semaines, nous avons annoncé le programme « Territoires engagés pour le logement ». Sur 63 candidats, une première salve de 22 a été sélectionnée. L'objectif est de sortir 30.000 logements en deux ans et demi.

Combien d'argent est sur la table ? A l'époque, Matignon parlait de « plusieurs dizaines de millions d'euros ».

Plusieurs dizaines de millions en effet ! Nous avons choisi des collectivités locales en très forte tension, comme Dunkerque qui accueillera 4.000 emplois industriels d'ici à 2030 ou Penly où doit sortir la première paire d'EPR2. Ce sont des territoires qui rencontrent tant des obstacles administratifs que des difficultés économiques et financières. Nous mettons tout le monde autour de la table et l'Etat permet la concrétisation de ces projets. Les préfets ont pour mission d'accélérer les procédures, par exemple sur la libération du foncier public.

Du rapport du député (MoDem) Jean-Luc Lagleize en 2019 au travail du Conseil national de la refondation (CNR) dédié au logement en 2023, en passant par la Commission sur la relance durable de la construction en 2021, toutes les parties prenantes plaident pour un encadrement des prix des fonciers...

Au-delà de ces rapports, la proposition de loi Lagleize a été adoptée et a, notamment, permis de développer le bail réel solidaire, qui permet de distinguer les coûts du foncier et du bâtiment. Aujourd'hui, dans le cadre du projet de loi Logement en cours de rédaction, nous réfléchissons à intégrer des outils permettant aux élus de mieux maîtriser leur foncier afin de créer du logement. Nous travaillons sur des mécanismes qui feront sans doute débat, mais qui visent à donner des outils pour construire.

Lesquels par exemple ?

Le Parlement vient d'adopter le projet de loi relatif à la rénovation des copropriétaires dégradées. Outre les 1,5 million de logements concernés, le texte crée des mesures de simplification pour accélérer. Le gouvernement soutient par ailleurs la proposition de loi du député (MoDem) Romain Daubié relative à la transformation de bureaux en logements. Quand vous avez en Île-de-France 4,5 millions de mètres carrés d'espaces de travail qui sont vacants, vous devez faciliter leur reconversion en logements. Par ailleurs, les mesures de simplification présentées au Marché international de l'immobilier (Mipim) auront une traduction législative et réglementaires dans les semaines et mois à venir. Il s'agit de réduire les délais des recours, d'améliorer le traitement de ces derniers ou encore de densifier de manière douce. D'autres encore suivront dans le projet de loi Logement pour booster l'offre.

Vous avez signé mercredi un pacte avec les opérateurs du secteur en vue de produire 75.000 logements locatifs intermédiaires (LLI) d'ici à 2027, mais l'Union sociale pour l'habitat (USH), qui fédère les bailleurs sociaux, redoute déjà que cela se fasse au détriment du logement social.

Dès le jeudi 14 mars, nous avons réuni les assureurs qui se sont engagés à investir plus de 400 millions dans le logement locatif intermédiaire (LLI). Ce dernier, qui a vocation à être un des outils du choc d'offre au service des classes moyennes, constitue en effet un produit 10 à 15% moins cher que le logement libre. L'Union sociale pour l'habitat (USH) a d'ailleurs signé le pacte de mercredi dernier, sachant que des bailleurs sociaux en construisent tous les jours, considérant que c'est un levier important. Outre son prix inférieur au parc privé, le LLI a deux vertus : il répond à l'attente interminable des classes moyennes qui ont des difficultés à se loger dans le secteur locatif libre et il s'agit d'un produit économiquement viable.

Associations et élus locaux craignent un effet d'éviction des publics les plus fragiles.

Au contraire, intégrer du logement intermédiaire dans une opération de logement social se fait toujours au service de la mixité sociale. Cela évite qu'il n'y ait des bâtiments composés que de logements sociaux ou que de logements libres, tout comme cela rend viable des opérations immobilières. Quand je répète que je veux de l'offre, de l'offre et de l'offre, je dis que je veux plus d'offres sociales, plus d'offres intermédiaires et plus d'offres libres. Je n'oppose rien.

Vous ne parlez jamais de la demande, alors que la crise du logement est aussi une crise de la demande.

La crise de la demande est liée à l'envolée des taux d'intérêts ces dix-huit derniers mois. Aucun marché n'est plus sensible aux taux d'intérêt que le marché immobilier. Leur hausse continue et substantielle, avec des taux supérieurs à 4%, conjuguée à la baisse du pouvoir d'achat a engendré une impossibilité de réaliser les projets. Bonne nouvelle : nous assistons à une stabilisation voire à une légère diminution des taux d'intérêt. Les banques nous indiquent que le robinet du crédit est ouvert, avec plus de 35% de prêts octroyés en février par rapport à janvier. Certes, le niveau de production de crédits est encore bas mais la tendance est à l'amélioration.

Soutiendrez-vous en ce sens la proposition de loi du député (Renaissance) Lionel Causse visant à réformer le Haut conseil de stabilité financière (HCSF) ?

Le HCSF fixe des règles contraignantes comme un taux d'effort maximal de 35% des revenus, ce qui peut empêcher des ménages solvables de souscrire un prêt. Nous privilégions un assouplissement de ces règles pour faciliter les acquisitions, d'autant que la demande s'est effondrée. Le taux d'intérêt a longtemps été la variable reine de l'immobilier. J'ai de l'espoir quand je vois la stabilisation. A cela s'ajoutent des acteurs qui se positionnent sur la location-accession à la propriété. Ce n'est pas la solution miracle, mais cela fait partie de la palette d'options. La France reste en outre un modèle de taux fixe avec l'avantage de la stabilité et de la protection des emprunteurs.

Votre ministre de tutelle, Christophe Béchu, a néanmoins ressorti des vieilles recettes, comme le crédit in fine ou le crédit hypothécaire. Quid de la portabilité ou des transferts de prêts ?

Nous avons justement réuni les banquiers pour donner le libre choix aux Français sur des produits un peu innovants. Certains établissements ne veulent pas en faire, tandis que d'autres y réfléchissent. Il n'est pas d'ailleurs pas dans leur intérêt de n'avoir aucune activité. Leur modèle de demain dépend donc aussi de ces innovations financières pour permettre aux Français de se loger et de réaliser leur rêve. Plus nous mettrons d'offres sur le marché, plus nous obtiendrons d'impacts sur les prix. C'est lorsque vous disposez d'une pléthore de solutions que vous rendez possible les acquisitions. Seule la baisse des prix couplée à l'augmentation de l'offre permettra de réamorcer la demande.

Sauf que le marché de l'immobilier ancien est lui aussi bloqué. Le parc locatif est gelé et l'interdiction à la location des passoires thermiques classées G interviendra dès 2025...

Le budget de l'Etat consacré à Ma Prime Rénov' n'a jamais été aussi élevé. L'année dernière, l'enveloppe qui lui était consacrée n'a pas été utilisée dans son intégralité. Il y a donc un enjeu de simplification pour faciliter son accès pour qu'un maximum de Français puissent en bénéficier pour rénover leur logement. C'est pour cela que nous en avons simplifié l'accès en partenariat avec les artisans et les entreprises du bâtiment. D'ici à juin, plus de 600 structures seront ainsi homologuées « Mon Accompagnateur Rénov' » pour accélérer sur la rénovation globale, ça correspond à environ 5.000 Accompagnateurs Rénov'. Nous avons également rouvert jusqu'au 31 décembre prochain la prime aux monogestes pour changer le chauffage, y compris dans les logements G et F. Aussi, je dis à vos lecteurs que si vous envisagez des travaux de rénovation, l'Etat sera à vos côtés. Faites vos devis et, d'ici à mi-mai, vous bénéficierez des premières mesures de simplification. Avec le nouveau site Internet de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH), tout sera plus simple.

En mai justement, votre grand projet de loi Logement sera présenté en Conseil des ministres, avant d'arriver au Sénat en juin. Contiendra-t-il un nouvel avantage fiscal type Pinel ou Scellier ?

Non. Il faut d'abord tout faire pour réaliser le choc d'offre. Cela passe par déverrouiller le secteur, intégrer du logement locatif intermédiaire, laisser les maires attribuer les nouveaux logements sociaux et encourager les maires bâtisseurs.

Sous quelle forme et comment avancez-vous sur la promesse du président-candidat Macron de décentraliser les politiques de l'habitat ?

Toutes les options sont sur la table. Après avoir reçu mercredi l'association France urbaine, j'auditionne toutes les associations d'élus locaux en ce moment et ce pour une durée de trois semaines. Je n'ai pas de tabou pour encourager les maires bâtisseurs. Nous devrons leur donner des outils pour les encourager à construire et à lever les blocages. Pour l'heure, nos services étudient la faisabilité technique de l'ensemble des propositions. Nous abordons le projet de loi de manière très ouverte.

La députée (Renaissance) du Finistère Annaig Le Meur doit vous remettre son rapport sur la fiscalité locative d'un jour à l'autre. Où en est-elle ? Comment se traduira-t-il dans la loi ?

Là encore, plusieurs scénarios sont sur la table pour encourager la location traditionnelle et lutter contre l'éviction de l'offre au profit de la location touristique. Nous voulons permettre à davantage de bailleurs particuliers et/ou d'investisseurs institutionnels d'aller vers une offre locative pérenne. Actuellement, la demande est énorme pour le parc locatif et nous avons besoin de davantage d'offres. Des centaines de candidats font la queue chaque jour dans les immeubles pour décrocher un logement. Ce sera le gros des préconisations de la députée Le Le Meur à qui le gouvernement a confié une mission. Son travail aura vocation à être traduit dans la prochaine loi de finances. Notre objectif à terme est de redonner confiance aux propriétaires et d'encourager la location longue durée.

César Armand

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Commentaires 7
à écrit le 25/03/2024 à 16:39
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En parlant de logement : Elle exigeait cadeaux, parfums et bakchichs contre des logements sociaux : une adjointe administrative de la ville de Marseille a été condamnée ce lundi à quatre ans de prison, dont 18 mois avec sursis, pour une vaste affa...

à écrit le 25/03/2024 à 13:33
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Le robinet peut-être ouvert les acheteurs sensés ne veulent pas boire de cette eau trop chère. La baisse des prix immobiliers est insignifiante pour ne pas dire invisible et ne compassent pas la très forte hausse des taux. Les déclarations du gouv...

à écrit le 25/03/2024 à 9:42
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La question n'est pas là. La question, c'est que le neuf est devenu beaucoup trop cher pour les jeunes ménages, entre la greedflation chez les marchands de matériaux et les normes énergétiques de plus en plus tordues. Il n'y a plus qu'à attendre qu...

à écrit le 24/03/2024 à 17:57
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A comparer aux chiffres de 1989 : 339000;

à écrit le 24/03/2024 à 16:48
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Pour ouvrir le robinet du crédit, il faut que l'argent ruisselle, sinon les ménages français se retrouveront tout autant endettés que leur Etat. Le gouvernement précédent nous avait promis le ruissellement mais pour l'instant, on ne le voit pas : le...

à écrit le 24/03/2024 à 10:04
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« le robinet du crédit est ouvert » : genre d´affirmation qui veut dire exactement l´inverse. N´oublions pas que quand la BCE a augmenté les taux volontairement trop tard, pour déclencher de l´inflation, Bercy a aussi dit aux banques de la place de r...

le 24/03/2024 à 15:11
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le probleme c est que les electeurs de macron cont par les vieux et les gens gagnant plus de 5000 €/mois (cf le sondage du monde pour les europeennes). 2 categories qui ne veulent en aucun cas que le prix des logements baissent car ca les impactera d...

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