LA TRIBUNE - Depuis deux ans, vous parlez de « bombe sociale » à venir concernant le logement. Pensez-vous que cette bombe a explosé ?
ROBIN RIVATON - Oui, la crise est bien là, mais il est difficile de dire si la bombe a explosé, car nous ne sommes pas tous égaux face au logement. Les propriétaires occupants qui ont déjà remboursé leur emprunt ne sont pas dans la même situation que les locataires du parc privé. En France, l'écart entre la part des revenus consacrée au logement par les propriétaires et celle consacrée par les locataires est le plus élevé de l'OCDE.
Qui sont les plus touchées par cette crise ?
Les primo-accédants qui souhaitent devenir propriétaires pour la première fois ou les nouveaux locataires, les étudiants quittant le domicile familial, les couples divorcés, les personnes devant déménager ou changer de région. Pour toutes ces personnes, le marché se bloque et la mobilité résidentielle diminue fortement.
Au cours des vingt dernières années, la France a construit de nombreux logements de bonne qualité. Cependant, cette augmentation du parc immobilier a masqué les problèmes sous-jacents. Le taux de propriétaires n'a pas évolué depuis 17 ans, malgré des taux d'intérêt historiquement bas. Aujourd'hui, nous sommes passés de 400.000 logements supplémentaires par an à 250.000, ce qui entraînera un déficit d'un million de logements d'ici la fin de la décennie. Au passage, cela met le secteur du BTP, dont la bonne santé a participé à la décrue du chômage, en grande difficulté.
Pourquoi les pouvoirs publics ne prennent-ils pas de mesures à la hauteur des enjeux, alors que les alertes sont là ?
Le problème est que Bercy est convaincu depuis près de 15 ans que les prix de l'immobilier sont trop élevés, et que la solution pour les faire baisser est de réduire la demande. Cependant, cette approche n'a pas fonctionné et les prix du résidentiel ont augmenté dans tous les pays développés. De plus, une partie de l'administration estime que le logement n'a pas suffisamment contribué à la transition environnementale et a mis en place des règles de rattrapage strictes, telles que la ZAN et la réglementation sur la DPE. Ces deux approches ont contribué à la crise actuelle.
N'y a-t-il pas une contradiction entre la volonté de réindustrialiser les territoires et l'absence de politique cohérente en matière de logement ?
Le logement est en train de devenir un frein majeur à la croissance économique du pays. Dans les années 2000, la dynamique des prix a entraîné une hausse des salaires qui a pesé sur la compétitivité. Aujourd'hui, le problème est encore plus grave : il n'y a pas assez de logements pour permettre aux gens de déménager lorsqu'ils trouvent un emploi dans une autre région, ce qui contribue au chômage structurel de 7 %. Pour attirer les gens, il faut les loger.
Le choc d'offre annoncé par le gouvernement n'est pour l'instant que des mots. Quelles mesures concrètes devraient être prises pour débloquer la situation ?
Il est nécessaire de revenir en arrière sur certaines réglementations environnementales, telles que le ZAN et le DPE, qui vont peser sur le stock de logements. Il faut également inciter les communes à trouver un intérêt financier à la construction de nouveaux logements ou à l'accueil de nouvelles populations sur leur territoire. Aujourd'hui, les collectivités territoriales n'ont pas le droit de prendre une participation au capital des sociétés civiles de construction-vente, sauf pour les structures à durée déterminée. Il est nécessaire de modifier la loi pour permettre aux communes d'entrer au capital des SCI de construction-vente pour une durée indéterminée, afin qu'elles puissent acheter un terrain, le développer et le vendre. Cela leur permettrait de gagner de l'argent et d'aider à faire avancer des projets.
Le nouveau ministre, Guillaume Kasbarian, connaît bien le sujet. Avez-vous de l'espoir en lui ?
Oui, j'ai beaucoup d'espoir en lui. Il semble avoir compris que l'immobilisation du marché est le principal risque. Si le marché s'immobilise, c'est la catastrophe, en particulier en ce qui concerne l'accès à l'emploi et la mobilité éducative. Si les gens commencent à renoncer aux études parce qu'ils ne peuvent plus se loger, cela signifie renoncer à leur potentiel de talents.
N'est-il pas temps de prendre des mesures plus radicales pour débloquer le marché ? Faut-il être plus libéral en matière de logement ?
Ce n'est pas la priorité. Bien que le rapport entre propriétaires et locataires ne soit pas parfaitement équilibré, il n'est pas non plus à des niveaux insupportables. En revanche, nous avons un problème avec la réglementation environnementale. Au nom d'un prétendu universalisme, nous nous sommes fixé des objectifs que nous ne pouvons pas nous permettre. Il est nécessaire de revenir en arrière, d'exonérer les petites surfaces du DPE et de décréter un moratoire pour le ZAN. Il faut également arrêter l'hémorragie dans la construction de logements neufs. Nous avons besoin de 400.000 nouveaux logements par an, qu'ils soient de la construction, de la rénovation, de la transformation de bureaux, et tout le monde s'accorde sur ce chiffre.
La baisse des taux aura-t-elle un impact ?
Cela stimulera la demande. Cependant, sans offre, cela fera augmenter les prix dès que les gens redeviendront solvables. Les personnes qui sont dans des logements à un prix décent n'en sortent plus, ce qui crée un cercle vicieux : offre faible, demande forte, prix bloqués et rareté des biens disponibles. Pour en sortir, il est nécessaire de faire bouger plusieurs leviers en même temps pour aligner les intérêts de toutes les parties prenantes. C'est la complexité de la situation.
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