2022, l'année de la comète

VOTRE TRIBUNE DE LA SEMAINE. Tout est-il vraiment joué d'avance pour le premier, voire le second tour, de l'élection présidentielle ? Mécontents d'une campagne qui n'a pas vraiment eu lieu, les électeurs français livreront leur verdict dimanche. De nombreux débats ont été occultés, à commencer par celui du climat. Pourtant, la comète se rapproche. Demandez le programme, en chanson, d'un weekend printanier qui s'annonce pluvieux. Vivement dimanche et autres informations brûlantes de la semaine écoulée.
Philippe Mabille
(Crédits : Reuters)

Nous vous envoyons exceptionnellement cette newsletter ce vendredi soir afin de respecter la période de silence électoral. Un direct sur les résultats du premier tour de l'élection présidentielle et les réactions des milieux politiques et économiques sera réalisé par nos rédactions à partir de dimanche 10 avril 20h00. Suivez nos newsletters en vous inscrivant ici.

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C'est une jolie chanson oubliée, qui résonne furieusement bien avec l'actualité de ce triste début d'année. Écrite en 1986, par l'immense Nino Ferrer (Le Sud, Mirza, le Téléfon, Oh hé hein bon...) - 1986, vous l'avez reconnue, l'année de... Tchernobyl bien sûr, vous nous voyez venir oh hé hein bon... Les paroles de cette chanson, intitulée l'année de la comète, méritent d'être relues et méditées en ce weekend de printemps pluvieux alors que les Ukrainiens attendent les bombes russes dans le Donbass et que les électeurs français s'apprêtent à voter sans enthousiasme pour un premier tour de la présidentielle qui consacrera la victoire du populisme, désormais majoritaire en additionnant tous les candidats qui le représentent sans bien sûr s'en réclamer.

Ces paroles, les voici : « L'année de la comète a commencé par un feu, dans le ciel, Cap Kennedy. Une comète, une navette, une planète un peu fragile, une espèce dominante habile, une espérance à peu près nulle pour l'An 2000. Laisse-moi te raconter ce que disait un prophète qui vit l'étoile Absinthe. A Tchernobyl, tout est tranquille. Et sur la mer et sur les villes flotte une atmosphère immobile, Peut-être riche en particules indélébiles. "Hey Goldfinger, écoute, arrête un peu ta machine J'ai la tête comme un melon. Arrête un peu ta sacrée machine J'entends quelque chose qui ne tourne pas rond. Dans un de tes systèmes bidons. Mais arrête... t'es con... mais freine...". "Je ne peux pas, la manette est coincée !" »  (...)

Mais quel rapport direz-vous ? Et pourquoi pas un peu de poésie dans ce monde nouveau. Un monde nouveau, autre chanson plus actuelle de Feu! Chatterton, qui donne ça : « Un vent, un grand vent nouveau soufflait sur le pays, très chaudement. Dans un bain, un bain de foule dévot à moitié ébahi, on se mouillait mollement. La glace fondait dans les spritzs, c'était à n'y comprendre rien (...) Un monde nouveau, on en rêvait tous, mais que savions nous faire de nos mains ? Zéro, attraper le bluetooth, presque rien »  (...)

Revenons à la comète, celle que ne n'avons pas voulu voir, comme dans le film de Netflix Don't look up qui a marqué la fin 2021. Elle est pourtant bien là à nouveau, dans le ciel de Tchernobyl et de partout ailleurs. La comète de Nino Ferrer, on la voit dans le nouveau rapport, celui du groupe III du GIEC pour le climat, censé proposer des solutions pour nous adapter à un réchauffement climatique devenu plus qu'inévitable, inéluctable. « Plus on attend pour agir, plus il sera difficile et coûteux d'atteindre le même objectif », disent les experts du GIEC. Ce troisième volet, le plus politique, précise les mesures concrètes à prendre d'urgence pour atténuer les effets les plus graves du changement climatique, qui sont de la responsabilité de chacun et notamment des grands secteurs économiques que sont l'énergie, le transport, l'alimentation. Ils appellent à une mutation en profondeur de nos modes de consommation et de production faute de quoi l'objectif de 1,5° sera inatteignable (en vérité c'est probablement déjà le cas), rapporte Juliette Raynal. Une mutation que la guerre en Ukraine et ses conséquences économiques pourrait accélérer bon gré mal gré...

Mais qui a lu les rapports du GIEC ? Jadot peut-être, Jancovici sûrement et quelques sommités. Qui en a parlé dans cette morne campagne électorale marquée par la peur et le repli sur soi d'une France rabougrie, qui s'apprête pourtant, comme dans un drap d'ombre, à rejouer le même match que celui de 2017. Comme si le monde n'avait pas changé. Comme le rappelle Frédéric Dabi, DG Opinion de l'IFOP dans l'entretien qu'il nous a accordé, Emmanuel Macron a échoué dans sa volonté de faire reculer les extrêmes, comme il s'y était engagé au soir de son élection, face à Marine Le Pen déjà.

Si, quelque chose a changé : la comète est plus proche. C'est vrai pour le risque climatique, encore lointain, mais présent. Cela fait deux printemps qu'il gèle en avril après une fin d'hiver presque estivale : les cerisiers en fleur en feront les frais. Si, autre changement, avec la hausse du prix du gaz, nous ne mangerons plus de tomates sous serres en hiver... ou alors au prix du caviar ! Comme le note Giulietta Gamberini8 produits alimentaires sur 10 sont touchés par l'inflation avec une hausse qui pourrait atteindre 4% à la fin de l'année. Comme avec le premier confinement, de nombreux consommateurs achètent par précaution des stocks de pâtes et d'huile, contribuant à leur pénurie et à la hausse des prix...

Le choc sur le pouvoir d'achat

La comète, c'est aussi que 2022 n'est pas 2017. Il y a la guerre à nos portes et ses premières conséquences économiques avec un impact imprévisible sur l'opinion. « Le niveau d'incertitude est inégalé. Les milieux politiques estiment que le conflit va durer et il va être pénible », a déclaré l'économiste Patrick Artus lors d'une récente réunion avec des journalistes à laquelle a participé Grégoire Normand. « Nous sommes dans une économie de guerre", a averti le conseiller de la Banque Natixis et "le choc sur le pouvoir d'achat des plus modestes est monstrueux ».

Ce choc sur le pouvoir d'achat explique pourquoi ce sera plus serré, très serré même, entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Qui a dit déjà que 2017 était la dernière élection avant la victoire de l'extrême-droite ? Il n'est pas impossible que la présidente du RN soit en tête du premier tour dimanche (alors que le score de 2017 était de 24% pour Macron et de 21,3% pour Le Pen). La gauche fera-t-elle barrage à cette comète électorale dès dimanche en projetant par un « vote utile »  Jean-Luc Mélenchon au second tour ? Tout va se jouer entre les courses et le bureau de vote ce weekend : que feront les nombreux indécis et encore plus nombreux abstentionnistes qui risquent de dépasser le triste record de 2002 ?

« Au premier tour, on élimine, au second, on choisit »

Rarement élection présidentielle n'a été aussi décisive. Pour la France et pour l'Europe. Car il ne faut pas s'y tromper : si la France tombe dans le populisme, c'est toute l'Europe qui risque d'y sombrer. Comme le disait l'inénarrable Guy Mollet, « au premier tour, on choisit, au second, on élimine». La guerre de Poutine n'a pas éliminé celles et ceux qui ont eu une attitude plus qu'ambiguë à l'égard de l'autocrate russe. La comète est encore trop loin. Personne ne croit qu'elle pourrait nous atteindre alors même que son impact économique et social est déjà plus que perceptible. Il se mesure dans la flambée des prix de l'énergie, électricité, gaz, et surtout à la pompe. Il n'y a qu'à baisser la TVA à 5,5% dit l'une ; ou bloquer les prix, dit l'autre... Ben voyons !, comme dirait le troisième dont le nom commence par Z... La démagogie est aux portes du pouvoir, c'est l'un des effets magiques et délétères du « quoi qu'il en coûte », un concept qui s'use quand on s'en sert trop, et quand les taux d'intérêt flambent...

« La manette est coincée ! »

Ce qui se joue dimanche n'est pas seulement notre pouvoir d'achat. De toute façon, son avenir est sombre car quoi qu'il arrive, nous allons prendre cher et pour plus longtemps qu'on ne l'imagine. C'est aussi le sort des cinq, des dix, peut-être des quinze prochaines années. Quelle vision, quelle stratégie, quelle place pour la France ? Aux électeurs de choisir. En pensant à la comète de Nino Ferrer : « Mais arrête... t'es con... mais freine... Je ne peux pas, la manette est coincée ! »

Les bourses mondiales et singulièrement le CAC 40 ont commencé à subir le contrecoup de la comète. Eric Benhamou a interrogé deux gérants pour savoir si oui ou non nous sommes entrés dans un nouveau cycle baissier des marchés financiers. Notre Pour ou Contre est à lire ici.

La France ne va pas si mal pourtant. Le bilan de Macron sur le front de l'emploi, de la baisse du chômage et de la réindustrialisation est bon, du moins jusqu'en 2021, souligne le cabinet Trendeo qui recense les nouvelles usines. Mais cela suffira-t-il ? On ne se fait élire sur un bilan, Balladur et Jospin ont payé pour le savoir en 1995 et en 2002. Grégoire Normand fait aussi le bilan de Bruno Le Maire et de son quinquennat à Bercy, percuté par les crises, du Covid au choc énergétique actuel. De quoi le porter à Matignon le 25 avril pour mener les nouvelles réformes de Macron s'il est réélu ? Bruno Le Maire s'y voit déjà, comme dirait Aznavour, dans cette chronique décidément très chanson française.

Emmanuel Macron lui s'y voit encore. Offensif face à Marine Le Pen qu'il a accusé de « racisme » sur RTL, il dit avoir "l'esprit de conquête plutôt que l'esprit de défaite". Il a en tout cas promis une chose : pas de hausses d'impôts s'il est réélu. Le candidat de la France qui va bien est plébiscité par les entrepreneurs, largement devant Zemmour et Pécresse.

Sujet souvent clef dans une présidentielle, la fiscalité est assez peu présente : c'est pourtant le vrai marqueur pour distinguer sa droite de sa gauche, relève Grégoire Normand qui a fait le tour des programmes fiscaux des candidats, de l'ISF climat des uns à la réforme des donations et successions des autres en passant par les impôts de production ou la suppression de la redevance. Mais les nouvelles réformes sociales d'Emmanuel Macron sont encore imprécises : remplacer Pôle Emploi par France Travail ne sera pas qu'un changement sémantique, souligne Fanny Guinochet, sceptique.

Le futur Premier ministre d'Emmanuel Macron aura en tout cas de quoi jouer les paratonnerres de mesures impopulaires. La loi reportant progressivement à 65 ans l'âge de la retraite sera votée à l'automne, ce qui promet une rentrée sociale agitée.

Faut-il donc être fou pour devenir président de la République, interroge notre chroniqueur politique Marc Endeweld. Pourquoi pas, en effet. Pour Denis Lafay, il y a eu entre Emmanuel Macron et ses électeurs de 2017 comme une déception, un véritable rendez-vous manqué. Mais tant que la comète n'est pas tombée, on a tous droit à une seconde chance...

Une chose est sûre aussi, ce n'est pas la campagne qui a permis d'éclairer les électeurs sur le financement de leurs promesses. Jamais sans doute élection présidentielle n'aura été aussi floue sur les impacts budgétaires des réformes. Grégoire Normand a décortiqué le programme de Marine Le Pen et ses zones d'ombres. Chez Eric Zemmour aussi, dont les sondages se sont effondrés en fin de campagne, les finances publiques ne sont pas son fort.

Autre sujet dont l'absence des débats frappe, la santé alors même que nous sortons difficilement et même pas totalement de deux ans de pandémie de Covid. Florence Pinaud analyse les défis des industries de santé françaises, à la recherche de leur leadership perdu. Et Emilie Guédé fait le tour des propositions des candidats pour tenter de répondre aux cancers de notre système de soin qui n'est plus le meilleur du monde tant vanté (il suffit de passer une soirée aux urgences pour s'en convaincre) : hôpital en souffrance, déserts médicaux dans les campagnes et de plus en plus même dans les villes, pour la santé ce devra être l'état d'urgence.

Le climat aussi, est passé au second plan des préoccupations. La comète n'est pas verte et la vague de même couleur s'est évanouie. Les rares débats sur la transition écologique et énergétique se sont focalisés sur la place du nucléaire dans notre mix électrique, alors que les marges de manœuvre pour décarboner davantage notre économie se situent ailleurs, regrette Juliette Raynal.

Avec Marine Godelier, elle propose aussi un décryptage complet de l'action d'Emmanuel Macron sur la transition énergétique depuis cinq ans. Bilan : des errances stratégiques sur le nucléaire, tranchées en sa faveur après la fermeture controversée de Fessenheim, et des investissements insuffisants au regard des ambitions. Les résultats ne sont pas au rendez-vous, jugent-elles. En Allemagne aussi, les erreurs stratégiques de l'Energiewende, la sortie du nucléaire, risquent de se payer cher et pour longtemps à cause de la dépendance au gaz russe.

Vers un embargo total sur le gaz russe cet hiver

Sortir du carbone au plus vite pour forcer Poutine à arrêter la guerre, le pari n'est pas gagné. Le Royaume-Uni accélère à la fois sur le nucléaire et l'exploration de ses ressources fossiles en mer du Nord.

Le massacre de Boutcha, ville martyre au nord de Kiev où l'armée russe en déroute a violé et tué change la donne : on s'oriente donc peu à peu vers un embargo total. C'est déjà fait sur le charbon et presque sur le pétrole. Et la France se prépare donc pour un arrêt éventuel de tout approvisionnement en gaz russe dont elle dépend moins que l'Allemagne. Pourvu que l'hiver 2022-2023 ne soit pas trop froid.

La Russie de son côté tiendra-t-elle ? Après quatre salves de sanctions, elle affronte sa pire situation depuis 30 ans, estime le Premier ministre de Poutine, plus pessimiste encore que Biden. Pour la Russie, se tourner vers l'Asie est devenu la seule planche de salut, analyse dans un entretien l'économiste Jacques Sapir, dont les thèses critiques sur la mondialisation se voient confortées par la situation géopolitique actuelle. Et ce n'est pas fini : outre la Russie, l'Allemagne tire la sonnette d'alarme sur sa dépendance économique à la Chine, dont on craint qu'elle ne profite du momentum pour envahir Taïwan. Ne la freinerait que la reprise violente de l'épidémie de Covid qui paralyse Shanghai ou Hong Kong. Préparons nous car, le nouvel ordre mondial sera à coup sûr un nouvel ordre économique, industriel, monétaire et financier, dans une dimension dont nous n'avons probablement pas idée ni encore rien vu.

2022, l'année de la comète, ne fait que commencer.

Philippe Mabille

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Commentaires 5
à écrit le 09/04/2022 à 9:32
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" Comme le disait Charles Pasqua, avec son « assssent » inimitable, « au premier tour, on élimine, au second, on choisit »" Si vous écoutez ce vieux roublard de Pasqua c'est qu'en effet la fin du monde est à nos portes. Non au premier tour on élimine...

à écrit le 08/04/2022 à 22:59
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Si tout est vraiment joué d'avance pour le premier, voire le second tour, alors il y a de quoi s'inquiété pour les cinq ans qui viennent!

le 10/04/2022 à 12:32
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ce sera apres les legislatives le grand desordre sans majorite ou le retour de la 4ieme republique et un ou une presidente sans pouvoir reel

à écrit le 08/04/2022 à 21:19
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On ne peut pas dénier aux gens de vouloir un avenir meilleur. Ils pensent trouver des réponses dans les propositions biaisées des partis extrêmes ou marginaux. Mais peut être faut il passer par une grande déconvenue (déconfiture) pour retrouver un jo...

à écrit le 08/04/2022 à 21:19
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On ne peut pas dénier aux gens de vouloir un avenir meilleur. Ils pensent trouver des réponses dans les propositions biaisées des partis extrêmes ou marginaux. Mais peut être faut il passer par une grande déconvenue (déconfiture) pour retrouver un jo...

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