BONNES FEUILLES. « Wall Street en Feu » 20/28

ÉPISODE 20/28. La Tribune vous offre 28 épisodes d'un thriller financier hautement addictif. Si vous avez aimé La Firme de John Grisham, alors vous succomberez au premier roman de Thomas Veillet, ex-trader de la banque UBS devenu journaliste financier : « Après avoir vécu l'horreur des combats en Afghanistan, Tom Kelcey pose son paquetage à New York. Bien résolu à se défaire des stigmates de la guerre, il entame une prometteuse carrière de trader à Wall Street, dans une prestigieuse salle des marchés. Son sens de l'observation lui permet de détecter des anomalies et de réaliser des profits colossaux ; sans le savoir il vient de déranger de puissants intérêts ».
(Crédits : Talent Editions)

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Bill Callahan restait planté derrière l'immense baie vitrée de leur refuge. Ses yeux se perdaient dans le vague. Il n'aurait su dire ce qu'il regardait, tant la nuit était noire. Difficile d'oublier ce qu'il avait vécu ces dernières heures. La mort, le fait d'être dorénavant un meurtrier, quelles qu'en soient les justifications. Les images des cadavres de sa femme et de Rebecca tournaient en boucle dans sa tête. Bill venait de prendre une douche chaude, mais l'odeur tenace de la poudre lui collait à la peau. Insupportable.

Sa femme, qui avait été son âme sœur durant ces trente dernières années, n'était plus. Depuis que leurs enfants avaient quitté la maison, ce n'était plus pareil, évidemment. Ils ne se parlaient plus vraiment, se comprenaient à travers les non-dits. Par moments, il la soupçonnait même de mener une vie parallèle. Comment lui en vouloir ? Il n'était jamais là. Il partait à 6 h et revenait souvent après 20 h. Ça limitait les échanges. Depuis que leur fils avait quitté la région pour s'installer en Californie, les sujets de conversation se faisaient rares. Mais il sentait déjà un vide immense en lui. Une vie saccagée en quelques heures. Plus aucune perspective. Hier encore, il se souvenait avoir pensé vouloir changer de vie et ce soir, plus rien n'avait de sens.

Il sursauta en entendant Tom rentrer par la porte principale avec un énorme panier rempli de bois. Il se dirigea vers l'imposant âtre de la cheminée qui trônait au milieu du salon. Le jeune trader commença à préparer le feu. Le chalet ne devait pas afficher une douzaine de degrés, sans compter l'humidité qui vous glaçait de l'intérieur.

Bill secoua la tête en essayant de se départir de ses idées sombres :

- Tu me racontes pour cette maison ?

- Il n'y a rien de bien original, répondit Tom en craquant une allumette. Pendant une certaine période de sa vie, mon père a eu des occupations que je qualifierais de mystérieuses. Pour être franc, je ne sais même pas ce qu'il faisait, si c'était légal ou pas. Toujours est-il qu'il avait besoin d'une base arrière, d'un endroit à lui où personne ne pourrait le trouver.

L'ancien Marine marqua une pause et Bill vit passer comme un voile de nostalgie dans ses yeux sombres. Puis il continua :

- Il a donc acheté ce chalet via une série de sociétés-écrans basées dans différents paradis fiscaux. C'est l'une d'elles qui est propriétaire de cet endroit. À la disparition de notre père, mon frère et moi sommes devenus actionnaires de la société à cinquante-cinquante.

Callahan tenta de compléter l'histoire :

- Et donc cette cabane en forêt est devenue votre base de repli quand vous ne voulez pas qu'on vous trouve, c'est ça ?

- C'est devenu ma base de repli. Mon frère est décédé l'an dernier.

- Merde, désolé, je ne savais pas. T'en as jamais parlé.

- Pas de raison. Il a eu un accident de la route juste après la disparition de notre père. Il a fini dans le coma pendant trois ans, avant de mourir. Pour moi, il est mort il y a quatre ans. J'ai récupéré sa part de la cabane et sa caisse : le Ford Raptor.

- Je suis vraiment désolé. Tu as encore ta mère ?

- Non. Cancer foudroyant il y a dix ans. Elle a tenu deux mois.

- J'suis désolé, Tom.

- Arrête d'être désolé. Ce sont de vieilles histoires, j'ai fait mon deuil. Et voyons le positif ! Les gars qui nous courent après pour Narragan Biosciences ont l'air plutôt adroits pour nous pister. Mais ils ne trouveront pas la voiture, et encore moins la maison. Le Raptor est encore enregistré au nom de mon frère.

Bill acquiesça silencieusement et Tom l'invita à s'asseoir près du feu de bois naissant. Épuisés et déprimés l'un comme l'autre, ils n'avaient toutefois pas le loisir de sombrer dans le sommeil. Il fallait maintenant mettre au point une stratégie. Tom ne se voyait pas rester toute sa vie planqué en forêt avec un Irlandais au caractère difficile.

Lamar Loggins venait d'arriver au quarante-troisième étage, chez Brodman, Zimmerman & Sons. Il s'assit à son bureau et la chaise couina sous son poids, comme de coutume. Elle lui rappelait sans cesse de se bouger, de se remettre au sport, de courir. Et tous les soirs, il oubliait.

Il régnait une tension inhabituelle. Lamar sentait qu'il allait se passer quelque chose. Mort d'inquiétude, il avait passé sa soirée à essayer de joindre Tom ou leur boss, Bill. Un trader l'avait prévenu hier soir de la série de meurtres. La femme de Bill Callahan avait été retrouvée morte dans l'après-midi, accompagnée de deux inconnus criblés de balles. Rebecca, la copine de Tom, avait subi le même sort tôt dans la journée, ainsi que son patron. Pour couronner le tout, Bill et Tom ne répondaient plus au téléphone. Ni l'un ni l'autre. Dans ses moments de doute les plus intenses, Lamar en venait à les soupçonner. Après tout, Tom Kelcey en connaissait un rayon question maniement d'armes.

Mais Lamar ne voulait pas y croire, même si hier, le comportement de son pote avait été plutôt suspect. Sans parler de Bill Callahan qui avait déserté son bocal précipitamment, ce qui ne lui arrivait jamais. Malgré l'heure matinale, Lamar sentait qu'on ne discutait que de ça parmi les traders déjà sur place. Le boss et un des traders les plus en vue impliqués dans une série de meurtres... Il y avait de quoi en perdre son latin, ou plutôt ses chiffres. La séance de ce matin ne s'annonçait pas sous les meilleurs auspices. Jusqu'à lui-même qui n'avait rien pu avaler à son petit déjeuner.

Son téléphone fixe sonna. D'après l'indicatif, on l'appelait du Vermont. Il ne connaissait personne dans cet État. Mais pourquoi devenait-il aussi parano ? Lamar tendit la main et décrocha la ligne.

- Allô ?

- Lamar, c'est moi.

- Putain, Tom ! T'es où ? Qu'est-ce que tu fous dans le... Tom lui coupa la parole.

- Écoute-moi et ne dis pas un mot : je ne peux pas tout t'expliquer pour le moment, surtout pas au téléphone. Je suis dans une cabine et je ne vais pas traîner. Tu vas recevoir un fichier via Dropbox. Tu le lis, tu fais ce qui est indiqué dessus et tu effaces tout immédiatement après. J'attends que tu me rappelles.

Et il raccrocha sans autre forme de congé.

Lamar était pétrifié, le téléphone contre l'oreille. Le temps qu'il reprenne ses esprits, il avait une alerte mail de Dropbox sur son ordinateur. Il cliqua machinalement dessus.

Une fois le fichier téléchargé, une simple feuille Word apparut avec un numéro et des instructions :

  • Achète un téléphone jetable ;
  • Crée une adresse mail sur Gmail ;
  • Appelle-moi à ce numéro et ne le donne à personne. Si on me cherche, tu demandes le contact et je rappellerai ;
  • Bill est avec moi et on va bien.

Estomaqué, Lamar fut tout de même rassuré par la teneur de ce message. Son pote Kelcey ne se comportait pas en vulgaire assassin. Il se savait traqué et prenait toutes les précautions nécessaires. Il savait pouvoir compter sur Lamar. Ce dernier se leva pour aller acheter un téléphone jetable chez l'Indien, en bas de l'immeuble. Alors qu'il enfilait sa veste, la ligne directe de Tom sonna. Il hésita un bref instant avant de répondre.

- Bureau de Tom Kelcey, j'écoute. Une voix féminine lui répondit.

- Bonjour, je m'appelle Vanessa Hartmann et je voudrais parler à Tom Kelcey, s'il vous plaît. De la part de Jimmy Patton, crut-elle bon d'ajouter.

- Je suis désolé, Tom n'est pas là et il ne reviendra pas aujourd'hui. Lamar voulut interrompre la conversation et approcha son index de la plateforme Etrali qui gérait les appels, mais la jeune femme insista :

- Vous savez si je peux le joindre ailleurs ? C'est important.

- Puis-je vous demander de quoi il s'agit ?

- Je préférerais lui en parler personnellement, si vous n'y voyez pas d'inconvénient. Je suis la capitaine Vanessa Hartmann du corps des gardes-côtes.

Parfois, son grade et sa fonction faisaient effet.

Lamar ne savait que faire. Il vacilla et se rassit sur sa chaise. D'un naturel confiant, surtout avec les femmes, il était à deux doigts de donner le numéro de Tom à cette Vanessa qui lui paraissait fort agréable. Il ouvrit la bouche pour commencer à articuler les premiers chiffres et s'arrêta soudain, pris d'une illumination :

- Si vous me donnez votre numéro, il vous rappellera dans quinze minutes. Dites-moi de quoi il s'agit et ça pourrait même aller plus vite.

- Vous avez des méthodes bien mystérieuses dans votre société.

- Je ne fais qu'obéir aux instructions, madame, répondit Lamar.

Son interlocutrice capitula, donna sa ligne directe et épela son nom. Elle expliqua qui lui avait communiqué les coordonnées de Kelcey. Lamar nota le nom de Patton, même s'il n'en n'avait jamais entendu parler. Et pour terminer, elle lui révéla la raison de son appel du bout des lèvres : Narragan Biosciences.

Il se liquéfia en entendant le nom de la société qui faisait la une des journaux. Ce matin même on avait retrouvé le patron, Martin Lawrenson, mort dans son voilier au large des côtes du Rhode Island. Et pour rajouter du mystère, le voilier avait ensuite explosé sous les yeux des gardes-côtes. Fox News en faisait son titre principal. Et cette femme des gardes-côtes qui voulait parler à Tom. Enfin, si elle disait la vérité...

Il coupa court et regarda au-dessus de ses écrans, comme si toute la salle avait suivi mot après mot sa conversation. Mais il n'observa qu'un désintérêt le plus total ; dans son champ de vision, tout était normal. Les immenses télévisions diffusaient CNBC en boucle, l'énorme écran central affichait les ordres passés par les clients ; les opérations se déroulaient à toute vitesse. Le trader en charge de Narragan semblait au bord de la crise de nerfs. Il ne pouvait manifestement plus gérer tous les appels qui arrivaient sur sa centrale téléphonique. Personne n'avait remarqué que Lamar Loggins avait pratiquement changé de couleur depuis l'appel de la capitaine Hartmann, et pour un Afro-Américain, ce n'était rien de le dire.

Après quelques profondes respirations, Loggins se leva et partit en direction de l'ascenseur, en essayant de ne pas éveiller les soupçons de ses collègues. Il devait absolument parler à Tom.

À l'autre bout du fil, Vanessa observa son téléphone avec étonnement. L'appel s'était brutalement terminé. Son interlocuteur avait raccroché dès qu'elle avait prononcé le nom de Narragan. Elle espérait que Kelcey serait tenu au courant, cette histoire commençait à la troubler au plus haut point et le besoin de comprendre ce qui se passait devenait pressant.

Elle posa son smartphone à côté de son lit et le fixa pendant de longues secondes, comme s'il allait lui livrer les réponses qu'elle attendait.

L'inspecteur Dickinson n'avait pas perdu une miette de la discussion entre Vanessa Hartmann et Lamar Loggins. Il avait obtenu un mandat d'écoute téléphonique pour la ligne professionnelle de Tom Kelcey. Le trader étant fortement soupçonné d'être impliqué dans le massacre de Tarrytow, le fait qu'il ait disparu de la surface de la planète en même temps que Callahan ne plaidait pas en sa faveur. Débordé par plusieurs dossiers à gérer de front, le juge n'avait pas posé trop de questions.

Avec cette écoute, Dickinson venait de marquer des points. Il composa immédiatement le numéro de son contact qui décrocha à la première sonnerie.

- Que se passe-t-il, Dickinson ? répondit la voix grave à l'autre bout du fil. Une voix qui avait le don d'angoisser l'inspecteur. Ce type lui foutait des frissons dans le dos.

- Je suis tombé sur quelque chose en écoutant la ligne de Kelcey. Enfin, je crois, balbutia-t-il.

- Quoi donc ? rétorqua la voix.

- Vous m'avez parlé hier d'une fille qui bosse pour les gardescôtes, c'est juste ?

- Oui...

Dickinson sentit une pointe d'agacement dans la voix de son correspondant. Un agacement qui voulait dire : va droit au but, imbécile ! Dickinson se préserva tout de même un temps mort pour faire son petit effet. Il reprit dans un souffle théâtral :

- Elle vient d'appeler Tom Kelcey.

A suivre...

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