BONNES FEUILLES. « Wall Street en Feu » 22/28

ÉPISODE 22/28. La Tribune vous offre 28 épisodes d'un thriller financier hautement addictif. Si vous avez aimé La Firme de John Grisham, alors vous succomberez au premier roman de Thomas Veillet, ex-trader de la banque UBS devenu journaliste financier : « Après avoir vécu l'horreur des combats en Afghanistan, Tom Kelcey pose son paquetage à New York. Bien résolu à se défaire des stigmates de la guerre, il entame une prometteuse carrière de trader à Wall Street, dans une prestigieuse salle des marchés. Son sens de l'observation lui permet de détecter des anomalies et de réaliser des profits colossaux ; sans le savoir il vient de déranger de puissants intérêts ».
(Crédits : Talent Editions)

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Tom Kelcey avait roulé aussi vite que le Ford Raptor lui permettait, en évitant de se faire flasher par les flics ; ça n'était pas le moment. La fuite meurtrière de ses poursuivants l'obnubilait. Il espérait vraiment que Vanessa Hartmann l'avait pris au sérieux, qu'elle s'était mise à l'abri le temps qu'il arrive. Une nouvelle mort sur la conscience était la dernière chose dont il avait besoin. La douleur de l'assassinat de Rebecca encore trop fraîche, il ne parvenait pas à se faire à l'idée. Le corps de sa compagne criblé de balles. La peur et la souffrance qu'elle avait dû ressentir... Pourvu qu'elle soit morte sur le coup. L'effondrement de sa famille, eux qui étaient si unis.

Inlassablement, la pluie s'abattait sur le pare-brise depuis le contournement de Boston. Son GPS lui indiquait encore quarante-cinq minutes de trajet avant d'atteindre Cape Cod. La jeune pilote avait envoyé un SMS pour lui indiquer le restaurant où elle patientait, le Chart Room. L'analogie avec son métier le fit sourire. Il pianota du pouce sur son smartphone tout en gardant un œil sur la route. Il déclencha le micro et envoya un message vocal à Vanessa Hartmann :

Je viens de passer Middleborough. Je suis censé être là dans quarante-cinq minutes. Tout va bien de votre côté ? Quasi instantanément, il reçut un émoji de pouce levé. Une bonne nouvelle, la jeune femme était passée inaperçue, mais tant qu'il ne serait pas en sa présence, il ne s'estimerait pas complètement rassuré. Le regard fixé sur l'autoroute, bercé par le ronron rauque du V8, il laissa à nouveau vagabonder son esprit qui revenait inlassablement à Rebecca.

Sagement installée au mess des gardes-côtes, à l'abri dans l'enceinte de la base, Vanessa ne se sentait pas en danger. Cependant, le ton alarmant de Tom Kelcey l'incitait à prendre la pleine mesure de la menace. Avait-elle échappé de peu à la mort la veille ? Elle regarda machinalement son poignet et sa JaegerLecoultre Master Compressor offerte par son père. Bientôt midi, son estomac commençait déjà à gargouiller. Elle fit un rapide calcul : il lui fallait un petit quart d'heure pour aller au Chart Room. Le temps de récupérer les documents dans le coffre de sa chambre et de rejoindre sa vieille Honda sur le parking de la base ; elle pouvait déjà commencer à y aller. Son estomac pourrait patienter. Maddy lui servirait bien un petit quelque chose pendant qu'elle attendrait Kelcey.

Au milieu de la forêt, Bill Callahan épluchait les opérations réalisées sur les huit sociétés déclarées suspectes par Tom, en plus de Narragan. Lamar Loggins lui avait envoyé toutes les Time and Sales des trois dernières semaines, des listings de chiffres assez indigestes, avec le volume de chaque transaction, le prix payé et son horaire. Un non-initié ne s'y serait pas retrouvé, mais Callahan, lui, savait lire entre les lignes. Il étudiait minutieusement les périodes précédant les krachs des huit entreprises, celles où les vendeurs avaient dû agir. Le contact de Dalmore au club-house avait cité en exemple ces entreprises comme gage du sérieux de ses informations. Callahan observait des transactions vendeuses à découvert qui semblaient se répéter cycliquement, de façon extrêmement rigoureuse. Aux États-Unis, les transactions shorts, le fait de vendre avant d'avoir acheté le titre, devaient être scrupuleusement signalées et apparaissaient sur le Time and Sales.

Bill avait acquis une certitude : ces ventes à découvert étaient programmées à l'avance et les ordres émanaient d'un ordinateur. Sur chaque société, les trades identifiés étaient les mêmes, avaient lieu au même moment de la journée, pour des montants qui ne représentaient jamais des chiffres ronds. Tout cela avait été programmé en amont, et le compte concerné derrière chaque transaction devait probablement être unique, en dépit du fait que les opérations provenaient de banques ou de plateformes d'exécution différentes.

Callahan se leva pour s'étirer et se frotta les yeux afin de retrouver une vision normale. Il fit les cent pas dans le salon et alluma la télévision pour se changer les idées. Il commença à zapper sur les chaînes d'infos et la télécommande faillit lui tomber des mains.

Sur l'écran d'origine coréenne, le visage de Tom s'affichait aux côtés de celui de Bill. Sans doute un cliché fourni par les autorités militaires. Le sien provenait de son badge d'accès à Brodman, Zimmerman & Sons. Deux fugitifs lambda pas vraiment sympathiques et surtout très dangereux selon le bandeau déroulant : les deux hommes avaient assassiné leurs compagnes et dérobé des millions de dollars à leur employeur. Un numéro d'appel figurait en haut à droite de l'écran pour fournir tout renseignement utile dans la chasse à l'homme engagée.

Recherché pour meurtre... Un meurtre qu'il n'avait pas commis... Et ses deux enfants qui s'étaient sans doute réveillés en Californie au son de cette effroyable nouvelle... Bill Callahan ne voyait plus qu'une issue : se rendre au premier poste de police venu... Il ferma les yeux de longues secondes, comme pour reformater son cerveau submergé par l'émotion. Puis une lueur de réflexion apparut dans le chaos de son esprit. Comment Tom et lui pouvaient-ils être accusés de vol ? Le meurtre, cela pouvait se comprendre, leur disparition les rendaient plus que suspects... Mais le vol ? Moins de vingt-quatre heures après avoir obéi aux exigences des maîtres chanteurs et effectué le virement ? Les flics n'auraient jamais pu comprendre aussi vite et éplucher des centaines de transactions. Comment les journalistes pouvaient-ils déjà être au courant ? La réponse s'imposa à Bill : une complicité interne à l'entreprise. Et si Jason Dalmore l'avait manipulé depuis le début ?

Au volant de sa voiture, Tom tentait de rester calme. Les dernières infos fournies par Bill ne laissaient rien présager de bon. Il commençait à se demander s'ils n'étaient pas des boucs émissaires providentiels pour cacher une opération d'une ampleur inédite. Mais il fallait garder la tête froide et procéder dans l'ordre. D'abord les documents. Tom approchait du lieu de rendez-vous et selon Google Maps, un parking faisait face à l'établissement. La paranoïa aidant, le trader décida de se garer de l'autre côté de la jetée. Il coupa le contact et entendit les cris stridents des mouettes. Il régnait une ambiance de curée dans un coin de la marina. Des volatiles se chamaillaient autour d'une vieille carcasse de poisson. Tom enfonça sa casquette des Nets sur la tête et partit au petit trot en direction du café qu'il devinait au loin, dans la pluie fine de ce début d'après-midi.

La rusticité du Chart Room était à des années-lumière des bars branchés et tape-à-l'œil fréquentés par les traders du sud de Manhattan. L'établissement ressemblait à une ancienne cabane de pêcheurs rénovée il y a déjà bien longtemps. Le bois de la façade mangé par les embruns s'ouvrait sur de grandes fenêtres entourées de mastic blanc, et les bouées posées à même le sol lui donnaient un charme désuet et foutraque.

Tom poussa la porte et tomba sur une salle sombre et vide de tout client. Vanessa Hartmann lui aurait-elle joué un mauvais tour ? Un désagréable sentiment s'empara de tout son être. Ses yeux s'accoutumèrent à la faible luminosité et confirmèrent l'absence de la pilote. Il fit marche arrière dans un mouvement réflexe pour se retrouver sur la terrasse. Il se blottit dos à la façade. Déjà ça de pris. L'ennemi ne pourrait pas l'attaquer par derrière. Il balaya les alentours du Chart Room une poignée de secondes, mais ne nota rien de suspect à l'horizon. Il relâcha quelque peu sa vigilance. Après tout, Vanessa pouvait être en retard de quelques minutes. Il décida de rentrer à nouveau dans le restaurant. Il se dirigea lentement vers le bar et s'assit sur un tabouret bancal. Il consulta nerveusement son téléphone. Soudain, une silhouette vive surgit de derrière le comptoir :

- Bonjour, je suis Maddy ! Qu'est-ce que je vous sers ?

Tom sursauta, son cœur fut propulsé de quelques centimètres dans sa cage thoracique.

- Euh... Je veux bien une Bud Light... Merci...

- Vous attendez quelqu'un ? demanda Maddy.

- Je suis censé rencontrer Vanessa Hartmann, vous connaissez ?

- Oui, bien sûr. Mais elle vient de partir avec un type avec qui elle avait rendez-vous.

Le sang de Tom se glaça instantanément.

- Par où sont-ils allés ? Ça fait combien de temps ? demanda-t-il en se levant brusquement du tabouret qui s'écrasa au sol.

- Deux minutes, pas plus. Vous les avez ratés d'un rien. Pourquoi ?

La serveuse était devenue livide en voyant la violence de sa réaction.

- Parce que c'est avec moi qu'elle avait rendez-vous !

Elle lui désigna la gauche du bâtiment d'une main tremblante :

- Ils sont partis en direction des hangars à bateaux juste derrière !

Tom sprinta vers la porte et l'arracha presque de ses gonds.

A suivre...

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