BONNES FEUILLES. « Wall Street en Feu » 23/28

ÉPISODE 23/28. La Tribune vous offre 28 épisodes d'un thriller financier hautement addictif. Si vous avez aimé La Firme de John Grisham, alors vous succomberez au premier roman de Thomas Veillet, ex-trader de la banque UBS devenu journaliste financier : « Après avoir vécu l'horreur des combats en Afghanistan, Tom Kelcey pose son paquetage à New York. Bien résolu à se défaire des stigmates de la guerre, il entame une prometteuse carrière de trader à Wall Street, dans une prestigieuse salle des marchés. Son sens de l'observation lui permet de détecter des anomalies et de réaliser des profits colossaux ; sans le savoir il vient de déranger de puissants intérêts ».
(Crédits : Talent Editions)

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CHAPITRE 14

29 novembre 2021 - 12 h 45 - Cataumet, Massachusetts - USA

Vanessa avait compris trop tard sa méprise. Ce colosse aux cheveux rasés n'était pas Tom Kelcey. Elle s'en voulait de s'être laissé berner comme une bleue. Pourtant, tout laissait croire que ce type n'y connaissait rien en trading, à commencer par ses yeux de fauve. Pourquoi avait-elle suivi cet homme qui ressemblait plus à un tueur qu'autre chose, alors qu'elle aurait pu rester tranquillement dans le café, sous la surveillance de Maddy et des employés ?

En sortant du Chart Room, la brute l'avait tout de suite saisie par le bras dans un silence pesant. Vanessa avait bien tenté de se libérer plusieurs fois de son étreinte, mais sa main d'acier resta inflexible. Le niveau de panique commençant à monter, elle avait tenté de hurler et une seconde pince d'acier s'était abattue sur sa bouche. Ils parcoururent ainsi deux cents mètres sans croiser personne.

L'homme ouvrit la porte d'un vieux hangar à bateaux désaffecté. À l'intérieur, il faisait sombre, ça sentait la rouille, l'humidité et la pourriture. Des herbes folles poussaient au travers des lattes de bois placées au sol. De façon désespérée, Vanessa accrocha son regard sur le moindre détail, espérant trouver un moyen de se défendre. À côté d'un vieux bidon d'huile pendait une espèce de barre de fer oxydée. Vanessa se laissa tomber de tout son poids, éventrant ainsi son jean et s'écorchant le genou. Le colosse, un peu surpris, lâcha sa proie qui se jeta sur la barre de fer. Le bidon d'huile se retrouva un mètre plus loin, laissant échapper son visqueux contenu. La jeune femme parvint à saisir la barre tel un bâton d'aïkido. Elle se releva, mais ses jambes chancelantes n'offraient pas de garanties. Reconstituant toute son énergie, elle se projeta sur le colosse pour le frapper au visage avec plus de conviction que d'efficacité. De l'avant-bras, il para facilement le coup, comme s'il avait affaire à une enfant turbulente. Il contre-attaqua avec un coup de poing d'une violence inouïe dans son estomac. Le souffle coupé, Vanessa s'effondra et se recroquevilla sur le sol. Entre ses larmes de douleur, elle voyait le sourire de satisfaction de son bourreau. Elle sentit la haine et l'impuissance monter en elle.

- Où sont ces documents, capitaine ?

Les lèvres serrées, elle le défia du regard, tout en soupesant ses maigres options. Vu du sol, son kidnappeur semblait immense. Son visage rectangulaire, comme taillé dans le marbre, ne laissait paraître aucune expression d'humanité. Sa bouche dessinée à la serpe s'agita de nouveau :

- Écoutez-moi bien, capitaine...

Sans se mettre au garde-à-vous, l'homme paraissait respecter un tant soit peu son grade. Cela ne lui servirait certainement pas éternellement de bouclier. Il pouvait la tuer en une pichenette, comme on se débarrasse d'un insecte. Ce type avait certainement fait partie de l'armée, avant de bifurquer dans le côté obscur. On lui avait inculqué le respect de la hiérarchie. Et il avait l'air d'obéir à des ordres avec détermination :

- Vous avez le choix... Me les donner sans discuter et profiter d'une mort rapide. Si vous refusez, ce sera long et douloureux, mais vous finirez par me donner ces documents.

Encore groggy, Vanessa ne parvenait pas à se concentrer, encore moins à prendre l'initiative, elle qui faisait la moitié de la taille de son adversaire. De plus, il venait de sortir une arme de sa grande vareuse. Un revolver muni d'un long silencieux vissé sur le canon. Si près, il ne pouvait manquer sa cible.

Une bouffée d'espoir... Du coin de l'œil, Vanessa distingua une lueur, loin en arrière-plan. Puis une autre, tout aussi furtive. À l'instinct, elle voulut gagner du temps. Ce seraient toujours quelques secondes de plus à vivre sur cette Terre.

- Ils sont... dans le coffre... de mon appartement... sur la base... Je peux vous y accompagner. Les bases des gardes-côtes... sont des... vraies... passoires.

- Pas besoin de toi ! Juste besoin de savoir où sont ces papiers, répondit-il en brandissant une carte officielle du FBI. Avec ça, je vais où je veux sur les bases fédérales. Tu sais ce que je vais faire ? Je vais te tirer une balle dans chaque genou, pour être sûr que tu ne vas pas t'enfuir... Je reviendrai peut-être t'achever quand j'aurai bien récupéré ce dossier !

Mauvaise pioche, Vanessa n'avait pas pensé à pareille éventualité. Elle leva ses mains tremblotantes et les agita dans le vide, comme si cela allait la protéger. Entre deux sanglots, elle hurla dans un dernier soubresaut de vie :

- NON ! NON, attendez !!!

Le colosse pointa son arme dans la direction de Vanessa et fit durer le plaisir. Elle ferma les yeux, résignée. C'est donc comme ça que ça se termine.

Aucune douleur, mais un simple un choc, sourd. Quand elle osa rouvrir les yeux, elle distingua une masse informe à terre : le faux agent du FBI. Un type engoncé dans une énorme parka verte l'observait sous sa casquette des Nets. Il tenait un énorme tuyau en métal dans la main droite. Sans doute un vieil axe de transmission de bateau au vu des coquillages encore fossilisés dessus. De la tête de son ravisseur à terre coulait un généreux filet de sang. L'homme ne bougeait plus. Elle se fichait d'ailleurs pas mal de son état de santé.

Son sauveur lui tendit la main en ramenant le tube contre sa poitrine.

- Mon nom est Kelcey, Tom Kelcey, un vieil ami de Jimmy. Je ne sais pas s'il va se réveiller, mais il faudrait vite se barrer d'ici. Vous pouvez marcher ?

- Oui, vaguement... je pense... J'ai juste perdu cinquante pour cent de ma capacité pulmonaire pour quelques heures, mais je peux vous suivre.

- Parfait, alors on y va. On doit disparaître le temps d'y voir plus clair.

- On n'appelle pas la police ? Ça serait peut-être mieux, non ?

- Dans un monde normal, c'est ce que je ferais ! Sauf que depuis quarante-huit heures, je ne vis plus dans un monde normal, je n'ai plus confiance en personne. Surtout pas en la police. Et là, tout de suite, j'ai une mauvaise nouvelle pour vous.

- Ah... Plus mauvaise que le fait d'avoir failli mourir il y a deux minutes ?

- Oui... Vous venez de pénétrer dans mon monde, et je peux vous garantir que ceux qui ont essayé de vous assassiner vont recommencer.

Une fois à l'air libre, Tom sortit un de ses burners et composa le 911. En bon citoyen, il expliqua à son interlocutrice avoir aperçu un homme armé pénétrer dans un hangar à Cataumet. Il décrivit rapidement le hangar et raccrocha au moment où on lui demandait son identité. Avec un peu de chance, les flics du coin garderaient quelque temps au chaud le ravisseur de Vanessa. Ils l'interrogeraient sur l'arme qu'il trimbalait, même si Tom était certain du permis de port d'arme en bonne et due forme de l'homme de main. Quelques précieuses heures de gagnées.

Puis il s'adressa à la pilote d'hélicoptère encore recroquevillée sur elle-même, à la recherche de son souffle :

- Excusez-moi de vous poser la même question que l'autre brute, mais où sont les documents ?

- Dans le coffre de la vieille Honda rouge, à cent mètres sur votre gauche.

- OK, vous allez me conduire à la voiture. Ensuite, on ira se mettre au vert pour étudier tout ça.

- Je vois que le rentre-dedans continue, glissa la jolie brune.

- Belles facultés de résilience ! Après être passée à deux doigts de la mort, vous n'avez pas perdu le sens de l'humour.

- Ce n'est pas tous les jours que l'on rencontre deux Tom Kelcey à trente minutes d'intervalle. J'en profite au maximum. J'espère d'ailleurs que vous êtes le bon Kelcey...

Tom resta muet quelques secondes puis lâcha un sourire en coin. Il n'était pas spécialement habitué à sauver des demoiselles en détresse, mais celle-là lui semblait être un sacré numéro.

La capitaine Hartmann continua de parler tout en essayant de marcher au même rythme que lui.

- Au fait, merci, Tom Kelcey !

- Pour quoi ?

- M'avoir sauvée, monsieur le chevalier blanc... D'avoir explosé la tête de l'autre enfoiré... Vous connaissiez ce gars ? demanda-t-elle.

- Non. Jamais vu. Par contre, quand vous verrez dans quoi je vous embarque, je ne suis pas certain que vous me remercierez.

Vanessa déverrouilla la Honda et Tom s'assit sagement côté passager. La voiture sentait le vieux désodorisant automobile. Les narines de Tom furent légèrement importunées. Heureusement que le trajet serait bref. La jeune femme démarra en lançant :

- Vous me guidez ?

- De l'autre côté de la jetée à cinq cents mètres. Un pick-up Ford bleu, vous le reconnaîtrez facilement.

- Moi qui suis incapable de faire la différence entre une Jeep et une Tesla...

- Vous me vexez, répondit-il en souriant. Le Raptor est une voiture mythique.

Ils stationnèrent la frêle Honda à côté du massif Ford Raptor. Au moment où Vanessa tirait sur le frein à main, Tom se racla la gorge avant de rompre le silence.

- Bon... il faudrait peut-être que vous nous sortiez ce fameux dossier de sa cachette.

- La confiance, ça se mérite ! Après ce que vous avez fait à mon ravisseur, je pense pouvoir vous l'accorder, monsieur Kelcey. Sans transition, la jeune femme sortit du véhicule et se précipita vers le coffre. Un coup de clé et le hayon couina dans d'horribles souffrances, signe que l'entretien de la Honda laissait à désirer. Tom était prêt à passer l'éponge. Il avait suivi la jeune femme qui farfouillait déjà sous la moquette épaisse du coffre.

Dans le logement de la roue de secours apparut le dossier bleu à sangle de Martin Lawrenson.

Tom Kelcey n'osa pas tendre la main pour le récupérer. Il ne voulait pas paraître trop avide et réveiller la méfiance de Vanessa. Cet objet brûlant contenait certainement de quoi démêler une partie de l'énigme. Il impliquerait peut-être des figures de la haute finance new-yorkaise. Il avait surtout failli coûter la vie à une jeune femme pleine de charme.

Vanessa, dans une spontanéité désarmante, s'en saisit avant de le lancer en direction des mains de Tom. Ce dernier se recula d'un pas, jongla maladroitement deux fois avant de le laisser tomber. N'est pas quarterback qui veut. Par bonheur, retenus par la sangle, les précieux papiers ne terminèrent pas leur course sur le macadam détrempé.

- Pas beaucoup de réflexes, monsieur le trader.

- Mouais, se contenta de répliquer Tom, piqué au vif. On ferait mieux de ne pas trop traîner dans le secteur. Les flics vont rappliquer, sans compter les complices de votre ami dans le hangar...

Ils prirent la route en direction du nord. Encore sous le choc des derniers événements, la jeune femme s'abandonna dans une réflexion silencieuse, le front contre la vitre passager. Tom sentait qu'il devait respecter ce sas de décompression. Lui laisser comprendre que sa vie venait de basculer dangereusement. Soudain, après une quinzaine de minutes, Vanessa remonta à la surface et demanda :

- Vous savez où on va ?

- Pour être honnête, il faudrait qu'on s'arrête dans un restaurant. J'ai besoin de faire un break. Je dois vous expliquer toutes les horreurs qui me sont tombées dessus depuis deux jours. J'aimerais aussi jeter un premier coup d'œil au dossier...

Elle acquiesça en hochant la tête. Tom s'immobilisa un instant en la fixant dans les yeux, puis reprit la fin de sa phrase :

- Et puis, je vous propose que l'on passe au tutoiement, je crois sincèrement que cela va faciliter nos relations. Mon instinct me dit qu'on va passer pas mal de temps ensemble, conclut-il en esquissant un sourire.

- Quand je pense que l'on parlait de rentre-dedans il y a quelques heures, vous n'avez pas perdu de temps à ce que je vois, rétorqua-t-elle en minaudant. Va pour le « tu », alors !

A suivre...

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