BONNES FEUILLES. « Wall Street en Feu » 28/28

ÉPISODE 28/28. La Tribune vous offre 28 épisodes d'un thriller financier hautement addictif. Si vous avez aimé La Firme de John Grisham, alors vous succomberez au premier roman de Thomas Veillet, ex-trader de la banque UBS devenu journaliste financier : « Après avoir vécu l'horreur des combats en Afghanistan, Tom Kelcey pose son paquetage à New York. Bien résolu à se défaire des stigmates de la guerre, il entame une prometteuse carrière de trader à Wall Street, dans une prestigieuse salle des marchés. Son sens de l'observation lui permet de détecter des anomalies et de réaliser des profits colossaux ; sans le savoir il vient de déranger de puissants intérêts ».
(Crédits : Talent Editions)

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CHAPITRE 17

30 novembre 2021 - 16 h 25 - New Haven, Connecticut - USA

L'homme d'affaires atterrit au Roberston Airport dans la banlieue d'Hartford, la capitale du Connecticut. Son Gulfstream G700 disposait de tout le confort d'un jet moderne. Son voyage depuis Aspen avait été parfait. Cependant, l'appareil ne pouvait pas approcher plus près de New Haven, faute d'aéroport adéquat. C'est donc en hélicoptère, un H160 de chez Eurocopter, qu'il se rendit ensuite à son rendez-vous. Durant ce dernier saut de puce aérien, il apprit la contrariante nouvelle. Trois de ses hommes s'étaient crashés en essayant de récupérer le type de chez Brodman & Zimmermann qui lui échappait depuis presque trois jours. Il ne ressentait absolument rien pour ses hommes de main, de simples employés dont il ne connaissait même pas les noms. Des gars parfaitement interchangeables. En revanche, son incapacité à mettre hors d'état de nuire ce trader le rendait dingue.

Et ce type n'avait aucune idée de ce qu'il avait dans les mains.

Il devait l'intercepter au plus vite, lui et toute sa clique, avant qu'ils ne mettent en danger ses projets et pire, sa précieuse personne. La rage transpirait dans son regard, les muscles de sa mâchoire carrée se contractaient en permanence. Il regrettait de ne rien avoir à massacrer sous la main. Sa collection de combinés téléphoniques lui manquait !

Tom, Vanessa et Lamar quittèrent l'aérodrome, non sans avoir remercié chaleureusement Marty qui leur avait répété au moins trente fois de ne pas s'inquiéter pour l'impact de balle dans la queue du Bell 212. Après vérification, le projectile n'avait fait que traverser la tôle, entraînant des dommages plus esthétiques que mécaniques. Marty faisait partie de ces vieux pilotes chevronnés que plus rien n'impressionne. Il couvait Vanessa comme un père : il se serait fait arracher les ongles un par un plutôt que de la dénoncer ou la mettre dans le moindre embarras. Alors que les trois fugitifs s'éloignaient du hangar, Marty agitait la main en leur criant de revenir quand ils voulaient. Au fond de lui, Tom espérait sincèrement que personne ne viendrait fouiller dans les affaires de Marty.

Décidément, Vanessa semblait encore avoir lu dans ses pensées.

- Ne t'inquiète pas pour Marty, lui confia-t-elle. Il en a vu d'autres.

Tom fut totalement pris au dépourvu, cette femme était pleine de surprises.

- Pardon ?

- Je te dis qu'il ne faut pas t'inquiéter pour Marty. Personne ne trouvera l'hélico.

- Mais je ne m'inquiète pas, protesta-t-il.

- Bien sûr que si ! Je commence à te connaître, Tom Kelcey. T'as le front tout plissé et à force, tu vas avoir de vilaines rides. Ton problème, c'est que tu te fais plus de soucis pour les autres que pour toi-même. Du coup, j'imagine que tu flippes qu'il arrive quelque chose à Marty. Ne t'inquiète pas. C'est le type le plus surprenant que je connaisse. Je te parie que le temps qu'on arrive au chalet, l'hélico sera réparé. Et il aura aussi changé de couleur. De toute façon, il n'est pas enregistré ici, on ne le retrouvera jamais. Il n'y a rien à craindre.

Tom la fixa avec autant d'amusement que de perplexité. Ce faisant, il ne savait plus trop quoi faire de son paternalisme.

Ils montèrent dans le Ford Raptor alors que Lamar commençait à peine à reprendre figure humaine. Depuis qu'il avait remis les pieds sur terre, il n'avait toujours pas prononcé le moindre mot, encore secoué par ce trop-plein d'émotions.

- Ça va, Lamar ? Tu récupères ? le questionna Tom en lui passant la main sur l'avant-bras.

- Mouais... Vanessa, je ne vous connais pas, mais sachez que je vous déteste cordialement, répondit-il sur un ton monocorde.

La jeune femme pouffa et lui répliqua le sourire aux lèvres :

- C'était une idée de Tom. Je n'étais que l'instrument de votre souffrance. Promis, la prochaine fois, je me laisserai gentiment descendre par l'ennemi pour éviter de trop vous chahuter avec mes manœuvres...

Le pick-up démarra dans une atmosphère un peu plus détendue, loin encore de l'euphorie. La menace planait, avec ces hommes de main qui sortaient de nulle part, à tout instant. Aux aguets, Kelcey prit la direction de chez lui à quelques kilomètres de là.

Bill Callahan rêvassait dans un des fauteuils Adirondack installés sur l'immense terrasse du chalet. Il s'était emmitouflé dans une épaisse couverture, la température commençant sérieusement à descendre en cette fin de journée. Il peinait à digérer le fait d'être devenu un tueur, d'avoir ôté la vie à deux individus même s'ils étaient de sinistres meurtriers qui avaient supprimé deux femmes de sang-froid. Tiraillé entre culpabilité et soif de vengeance. Il abattrait encore les deux hommes des centaines de fois s'il le fallait. Il liquiderait sans état d'âme le cerveau de cette horrible machination s'il se présentait devant lui. Plongé à son insu dans une spirale de violence, il semblait maintenant s'y complaire. Un meurtre en appelant d'autres. La loi du talion jusqu'à plus soif. Sa dernière nuit fut agitée. Les visages de ses victimes le narguaient entre rêves, cauchemars et réalité. Le visage de Mary jamais loin.

Bill inspira profondément la fumée, ses poumons largement offerts au goudron. Il essaya de penser à autre chose, d'accorder une pause à son esprit malmené. Le verre de whisky single malt posé sur l'accoudoir du fauteuil en bois l'y aiderait.

Bill avait passé l'après-midi à éplucher le cas des huit autres sociétés impliquées dans ce qui ressemblait de plus en plus à un complot. Il s'était concentré sur ce qui avait fait dévisser le cours de leurs actions. Dans le cas de Narragan, c'était une disparition de leurs données de recherches. Pour les huit autres, rien de tel. Les stratèges financiers derrière ce plan machiavélique avaient pris soin d'inventer un accident différent pour chaque société, sans que cela ne se remarque trop. Pas question de faire la une du Wall Street Journal avec un scénario un peu trop facilement identifiable.

Parmi les calamités qui s'étaient abattues sur les entreprises victimes de ce mystérieux ennemi invisible, on trouvait un incendie qui avait détruit le siège et les entrepôts d'une société de e-commerce en devenir, le patron d'une boîte de consulting légal impliqué dans une sombre histoire de viol, un accident de voiture étrange qui avait coûté la vie au responsable de la recherche d'une entreprise pharmaceutique. Ce à quoi l'on pouvait encore ajouter un suicide plus que douteux, une agression mortelle au couteau dans un quartier respectable, ainsi qu'un accident de plongée lors d'une de ces séances de team-building à la mode qui avait détruit une équipe d'informaticiens promettant de révolutionner le secteur des cryptomonnaies.

Beaucoup de coïncidences pour Bill. Il était persuadé que si l'on fouillait un peu, il n'y aurait pas besoin d'aller très loin pour trouver des dénominateurs communs à toutes ces affaires. Et en grattant sur le Net, Bill découvrit le premier cas de manipulation, une sorte de galop d'essai un peu bâclé. Basée à Akron au sud de Cleveland, dans l'Ohio, la société cobaye s'appelait SelfYou. Une petite entreprise qui démarrait très fort, avec un bel avenir devant elle. Elle produisait des semi-conducteurs destinés plus particulièrement aux voitures autonomes. Un marché d'avenir qui faisait saliver les investisseurs.

Bill avait sorti les graphiques boursiers de SelfYou et vérifié la performance avant l'« accident » et ce qui s'était passé après. Tout cela remontait à neuf mois, alors que la pandémie faisait encore rage, quelques semaines après la prise de pouvoir des démocrates à Washington. Le secteur des semi-conducteurs affichait alors une insolente santé, le titre de SelfYou avait connu une hausse de cent quarante pour cent sur les neuf derniers mois de 2020. Selon le Time and Sales et les déclarations des ventes à découvert, les shorts, le processus avait débuté le 3 février 2021. Ils avaient ensuite continué les ventes short dans un cycle et dans des volumes comparables à Narragan et aux sept autres entreprises. On observait sur le graphique que les volumes augmentaient pendant que le titre cessait sa progression, malgré de bons chiffres publiés mi-février 2020. Puis le 27 février, vingt-quatre jours après les premières ventes, l'usine de fabrication de SelfYou fut en grand partie détruite par un incendie qui ne laissait aucun doute sur son origine criminelle. Le début de la fin pour certains, les énormes profits pour d'autres...

Wall Street se fichant pas mal de la responsabilité de qui que ce soit, le titre chuta de soixante-dix-huit pour cent durant les trois jours qui suivirent le sinistre. Ensuite, la plupart des positions vendues durant le cycle des trois semaines précédentes furent couvertes pour un gain avoisinant le milliard de dollars. Extrêmement lucratif pour un peu moins d'un mois de boulot. Callahan ne s'était pas lancé dans le calcul du tarif horaire, sans doute indécent.

Un incendie maladroitement déclenché, un suspect arrêté et relâché dans les vingt-quatre heures grâce à un avocat trop cher compte tenu de son pedigree, des transactions douteuses autour de SelfYou... Comment la SEC avait-elle pu rester de marbre ? L'hypothèse de complicités au plus haut niveau ne faisait plus l'ombre d'un doute. Une évidence pour Bill et Tom, mais il fallait maintenant du concret. Si un beau jour, un tribunal devait mettre son nez dans ce dossier, il faudrait y joindre des preuves. Heureusement que la finance mondiale, suffisamment pointilleuse, conservait les traces de toutes les opérations, qu'elles soient légales ou non. Et cette accumulation de preuves permettrait à Bill et Tom de se sortir du pétrin. Les gens derrière tout cela avaient manœuvré habilement pour en faire de parfaits boucs émissaires : des escrocs de haut vol couplés à des meurtriers que tout le monde voudrait voir derrière des barreaux. Tandis que les véritables coupables profiteraient de leurs milliards on ne sait où...

Callahan s'extirpa du fauteuil pour se dégourdir les jambes, la couverture sur les épaules telle un poncho. Il crut apercevoir du mouvement dans la forêt. Un buisson épineux qui bougeait bizarrement. Un craquement de branche ou d'autre chose... Un bref sentiment de terreur lui parcourut l'échine. Puis il aperçut l'arrière-train d'une biche qui détalait à toute vitesse. Cette foutue nature aurait sûrement raison de son système cardiorespiratoire un de ces jours. En bon New-Yorkais, il s'était parfois aventuré au parc public de Tarrytown, guère plus loin, pour nourrir les écureuils avec son fils aîné alors haut comme trois pommes.

Il se rassit dans son fauteuil et poursuivit sa réflexion. En prenant des notes, il s'était aperçu de la similitude des cycles vendeurs et acheteurs. Les ventes débutaient vingt-quatre jours avant l'« accident » dans des volumes modestes, puis grossissaient de façon constante. Chose étrange, la dernière transaction était toujours deux fois plus importante que l'avant-dernière. Elle se faisait immanquablement la veille de l'événement funeste qui frappait l'entreprise. La couverture des shorts se faisait ensuite en trois jours.

Bill ne comprenait pas la nécessité d'une telle répétition de cycles : trop voyant, trop évident pour un regard un tant soit peu perspicace. Inévitablement, un beau jour, un type comme Tom allait s'apercevoir du manège et tenter de l'utiliser à son profit ou de dénoncer la manœuvre aux autorités boursières. D'ailleurs, Tom n'avait pas manqué de jouer dans la même cour que ces escrocs avec un profit de 3,7 millions de dollars ! Cette répétition du mode opératoire, quasiment robotisée, offrait peut-être une chance à Tom et Bill d'affronter ces ordures sur leur propre terrain. Ce dernier était en train noter une idée sur son bloc-notes quand le bruit caractéristique du V8 du Raptor se fit entendre.

En sortant du véhicule, Lamar aperçut Bill avec son bonnet orange et sa couverture sur le dos. C'était la première fois en quatre ans qu'il voyait son boss dans un autre environnement qu'une salle de trading. Et surtout habillé autrement qu'avec un pantalon de costard et une chemise blanche. Il avait d'ailleurs fini par se demander s'il portait autre chose que des chemises blanches. La réponse se présentait maintenant devant lui : Bill Callahan était capable de s'habiller comme un chasseur à l'affût au milieu des bois ou un préretraité perclus de rhumatismes.

- Salut, boss, content de voir que tu vas bien ! La chasse a été bonne ?

Bill marqua un mouvement de recul et s'adressa à Tom de façon légèrement hautaine :

- Tu l'as trouvé où, celui-là ? Qui reste au bureau pour garder la baraque ? Je ne vous paie pas pour camper en forêt pendant que la boîte tourne toute seule !

Lamar baissa les bras, faisant mine d'être vexé :

- Moi aussi, j'suis content de te voir, lâcha-t-il en sifflant entre ses dents.

L'humour des salles de trading... Cette propension à envoyer des vannes à tout le monde jusqu'à ce que l'un des deux se vexe vraiment... Une constante que l'on retrouve partout dans le monde. Mettez deux traders au milieu d'une forêt en pleine chasse à l'homme face à une armée d'assassins et le naturel revient au galop malgré les circonstances.

Tom ouvrit la benne du Raptor et sortit les sacs de nourriture achetée au Walmart sur le chemin. Loin de tout, il fallait aussi gérer l'intendance.

- Si monsieur Loggins veut bien se donner la peine, articula Bill en mimant une révérence et en désignant l'escalier vers le chalet.

- Je vais l'accompagner dans sa chambre, dit Tom en lui tendant un sac de victuailles.

Bill entra dans la maison et tint la porte à ses deux employés. La télévision ronronnait en bruit de fond. Un reporter micro en main parlait en plein champ, devant un amas de ferraille fumant. Callahan nota le bref temps d'arrêt des deux hommes qui jetèrent un œil à l'écran.

- Vous n'allez pas encore me dire que c'est vous qui avez fait ça ?

Tom regarda Lamar d'un air surpris tout en se dirigeant vers la cuisine.

- Quelle question, Bill, ce n'est pas du tout notre style... C'est entièrement la faute de Vanessa.

Et il s'empressa de fuir pour poser ses courses sur l'îlot central de la cuisine. Vanessa, elle, se laissa tomber dans un canapé et déclara :

- C'est la faute de personne ! Une simple boîte à outils mal arrimée et une porte malencontreusement ouverte. C'est tout ce que pourra trouver la FAA durant son enquête.

Bill hocha la tête :

- Je ne veux pas le savoir... Ah, au fait, Tom, Darrell a rappelé. Il attend ton coup de fil.

Tom ressortit de la cuisine avec quatre bières décapsulées, deux dans chaque main. Avec des gestes sûrs, il fit la distribution. Vanessa protesta quelques instants pour la forme. Elle aurait préféré une coupe de champagne. Lamar s'interrogea :

- Qu'est-ce qu'on est censés boire après avoir abattu un avion ennemi avec une batte de baseball... ?

- Quand il y a un gros ventilateur sur le toit, on appelle ça un hélicoptère, précisa Vanessa d'un ton faussement acide.

Tom observait la scène en souriant. Pour la première fois depuis l'Afghanistan, il sentait naître une forme de camaraderie autour de lui. L'adversité comme accélérateur d'amitié. Ses yeux s'embuèrent légèrement, mais il réservait ses larmes pour Rebecca...

Seul dans son appartement de Seattle, Darrell venait de vérifier une nouvelle fois les verrous sur sa porte d'entrée. Ce qu'il avait découvert ne lui disait rien de bon. Tom avait mis les pieds dans une machination aux ramifications qui le dépassaient... et de de très loin. L'informaticien avait fait de l'humilité une vertu essentielle de son métier. Il était pratiquement certain de n'avoir laissé aucune trace dans les méandres du cyberespace... Pratiquement... Il partait toujours du principe qu'il y avait inévitablement quelqu'un de plus fort que soi quelque part. On ne pouvait donc être sûr de rien quant à d'éventuelles traces. Dans la vie réelle comme dans le numérique. Avec tous ces gamins qui naissent un clavier entre les mains, il fallait s'attendre à tout.

Darell tournait en rond entre le balcon et la cuisine quand le téléphone fixe retentit. Il répondit à la première sonnerie.

- Tom, bordel, dans quel merdier tu t'es mis ?

- Euh... Pour être franc, je me doute que ce n'est pas joli-joli...

- Alors, écoute, c'est une conspiration dans laquelle un paquet de personnes semblent impliquées. Je ne peux pas te fournir une liste de noms. Tout le monde se cache derrière des pseudos, comme sur les forums Reddit. Je pense qu'il y a une sorte de conseil d'administration qui prend les décisions, mais le plus dur reste d'identifier la tête pensante. Quant à les prendre sur le fait, c'est un peu de la science-fiction.

- Je te mets sur haut-parleur, nous sommes maintenant quatre à être dans la même galère. Donne-nous les détails de ce que tu as déniché.

DC expliqua comment il avait remonté la piste en s'intéressant à la provenance des transactions. Il avait minutieusement suivi le chemin de chaque deal vendeur et trouvé la banque, le compte et la personne à qui avaient été empruntées les actions pour mettre en place les opérations shorts. Depuis la folie de janvier 2021 où des forums d'investisseurs avaient fait vaciller fortement des actions à Wall Street, les transactions que l'on qualifiait de « ventes à découvert » étaient extrêmement surveillées par les autorités, et donc par les spéculateurs. Le cerveau ou la structure derrière ces opérations connaissait par conséquent l'impératif de discrétion et ne pouvait se permettre aucune contrepartie. Autrement dit, un seul bénéficiaire. Une fois l'argent gagné, il devait repartir instantanément sur plusieurs comptes et se perdre dans les méandres des virements bancaires. Des compagnies « d'hommes de paille » devenaient nécessaires. Darrell était parvenu à identifier quatorze compagnies d'investissements différentes impliquées dans chaque opération. Que ce soit pour les huit premières, dont SelfYou, ou dans le cas de Narragan Biosciences, on retrouvait toujours les mêmes quatorze sociétés.

Darell s'était ensuite attaché à les identifier et les localiser. Un travail de fourmi sans grand résultat : même en pénétrant le serveur des banques par lesquelles les transactions avaient été initiées, il n'obtenait jamais grand-chose. Des coquilles vides sans rien derrière à creuser. Des bureaux fantômes dans des immeubles abandonnés. Des sociétés-écrans à l'autre bout du monde. Les noms des bénéficiaires finaux sur des listings déposés dans des coffres de paradis fiscaux. Il fallait peut-être se rendre sur place pour découvrir de vrais noms et de vraies sociétés au travers desquelles les flots de capitaux avaient été transférés avant de disparaître. La toile patiemment tissée ne laissait que peu de possibilités de remonter jusqu'au véritable donneur d'ordres. À celui qui avait déclenché les ventes de façon cyclique, comme l'avait découvert Bill.

Darell s'était employé à remonter la ou les adresses IP responsables de la passation des ordres. C'est là qu'il avait décelé une lueur d'espoir. Seules deux adresses étaient à l'origine de ces flux financiers faramineux. Une dans le Colorado et l'autre dans le Nevada. Un début de piste sans plus de précisions.

- Je suis stupéfait de ne pas pouvoir en savoir plus. Ils ont sans doute des pare-feux et des montages de haute volée pour balader le premier hacker venu, ce que je ne suis pas.

- Si je comprends bien, tu as plus ou moins ciblé le modus operandi et la structure qui va avec sans mettre de nom dessus ? demanda Bill.

- Exact, mais je ne me suis pas laissé démonter. J'ai balancé des centaines de requêtes avec des mots-clés dans les serveurs emails de tout le pays. Des sortes d'appâts pour voir s'il y avait quelque chose à remonter. Et bingo ! J'ai découvert des opérations sur Narragan Biosciences à partir d'une adresse physique à Hoboken. Il s'agissait d'une livraison de matériel high tech dans une cave de la ville natale de Frank Sinatra.

Tom, soudain captivé, interrompit son ancien compagnon d'armes :

- Et tu en tires quelle conclusion ?

Darrell soupira, puis marqua une imperceptible pause, histoire de ménager ses effets.

- C'est là que ça devient intéressant... On dirait que la livraison de matériel informatique à Hoboken aurait été passée par Narragan. Et si j'en crois ce que j'ai pêché sur le Darknet, la destruction des datas de Narragan a pour origine une adresse à Hoboken. Étrange coïncidence ! Cela revient à dire que la société Narragan aurait fourni le matériel informatique pour se faire bousiller ses propres datas, ce qui paraît tout bonnement irréaliste.

Dans un geste félin, Vanessa bondit du canapé sur ses pieds :

- Dans les documents que mon plongeur a récupérés sur le bateau du patron de Narragan, il était question d'échanges avec un type qui s'appelait Malagacchi. Il me semble qu'il y avait un lien avec Hoboken, non ?

- Tout à fait, répliqua Darrell. J'ai creusé sur ce dénommé Malagacchi. Ce type est un poème. Ex-hacker de la CIA, viré pour consommation de drogue, disparu pendant pas mal de temps et qui ressurgit soudainement à Hoboken. C'est une légende de l'informatique. Il a développé des protocoles qui permettent... devinez quoi ?

- D'effacer des données par contamination !

- Waouh... Qui a dit ça ? demanda Darrell.

Et tout le monde se retourna en direction de Lamar.

- Désolé, mais il m'arrive de lire de temps en temps. Je suis tombé sur un article alarmiste il y a un moment. Il y était question de back-up. Il suffisait de savoir où et comment déclencher la contamination, et la totalité des données sauvegardées par une entreprise ou une organisation située n'importe où sur la planète pouvaient disparaître.

- Exact, répondit Darrell. Ce Malagacchi a certainement été engagé pour effacer les données de Narragan. Et il était en contact avec le patron de la boîte juste avant, ce qui a dû lui faciliter la tâche. Sans vouloir minimiser le travail de ce collègue, conclut-il sur un ton cynique.

- Il faut retrouver ce gars et lui soutirer des informations sur ses employeurs, s'emballa Tom.

DC le coupa abruptement :

- Bonne idée, lieutenant, sauf que... Malagacchi a été retrouvé carbonisé et poignardé dans sa cave hier matin. Ou plutôt poignardé et carbonisé, si l'on veut respecter la chronologie. Tu trouveras le rapport préliminaire du médecin légiste d'Hoboken dans les fichiers que je t'ai envoyés par mail. Et pour la petite histoire, le flic qui s'occupe de l'enquête s'appelle Maverick.

- Et alors ? lança Callahan.

Vanessa éclata de rire. Et tout le monde toisa Bill.

- Attendez voir un instant, fit Darrell. On sonne à mon interphone en bas de l'immeuble.

- Ne réponds pas ! cria Tom.

- T'inquiète pas, lieutenant, je... Et la ligne fut coupée.

A suivre...

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